Monsieur le ministre, le Sénégal est frappé ce week-end par une vague de pluies qui a causé beaucoup de dégâts. Votre réaction?
Je voudrais exprimer ma compassion et ma solidarité à l'endroit de l’ensemble des populations du pays et particulièrement aux couches les plus vulnérables qui ont été durement affectées par ce phénomène récurrent. Voilà des décennies que les mêmes populations de manière récurrente perdent ce qu'elles avaient difficilement réussi à construire comme habitat ou mobilier de maison, et reprennent à zéro et sont à nouveau durement frappées.
Ça semble être un cycle sans fin, pourtant nous sommes un pays pauvre en eau, comparé à un pays comme le Cameroun, la RD Congo, la Côte d’Ivoire plus proche de nous, qui sont moins affectés que nous pour ces genres de phénomène, en tout cas de manière aussi massive qui paralyse tout le pays. Nous sommes un pays qui manque fondamentalement d’eau et qui devrait s’organiser pour pouvoir stocker ces eaux là et pouvoir les réutiliser le plus longtemps possible, puisque nous sommes un pays sec.
Le plan ORSEC a été lancé par le chef de l’État Macky Sall après cette pluie diluvienne. Pensez-vous que ce plan va résoudre le problème ?
Je disais récemment que les phénomènes extrêmes comme les pluies diluviennes, la sécheresse, les invasions acridiennes et les pandémies seront de plus en plus à l’ordre du jour au niveau mondial et surtout dans la région sub-saharienne et nous devons nous organiser pour être plus résilient face à cette situation aussi bien en repensant notre agriculture, notre habitat, nos modes de vie. Mais le gouvernement doit organiser des capacités de riposte beaucoup plus importantes en s’équipant et en aménageant davantage le pays.
Cependant force est de constater que le gouvernement a une grosse part de responsabilité et beaucoup de collectivités locales, de mairies ont une grosse part de responsabilité dans ce qui arrive. Parce que le débat qu’on a eu récemment sur l’occupation des terres, des jardins publics, le découpage anarchique des rares réserves foncières qui existaient et qui ont été bâties et vendues dans des conditions opaques, tout ça contribue à réduire les espaces d’écoulement d’eau sans que des infrastructures adaptées soient mises en place parallèlement. Donc l’État est ses démembrements au niveau des collectivités locales ont une grosse part de responsabilité dans ce qui nous arrive actuellement.
Au demeurant, quand Macky Sall est arrivé, il nous avait promis d’en finir avec le plan ORSEC. Ce qui se passe ici aujourd’hui et sur l’ensemble du territoire national en période de pandémie, qui a affecté toutes nos capacités de riposte, montre que c’est un geste désespéré, une épée dans l’eau, mais véritablement nous devons peut être compter d’abord sur nous-mêmes, les populations vont malheureusement devoir compter sur elles-mêmes, parce qu’on ne sait que trop ce que signifie ce plan ORSEC.
C’est terrible de voir les images des cimetières envahis par les eaux. Même nos morts ne peuvent pas se reposer en quiétude. C’est terrible des voir les maisons envahies, des voitures complètement noyées dans des eaux. Ce sont des images absolument terribles qui n’auraient dû plus jamais existé. Mais c’est le résultat du tableau clinique de l’échec patent du système à éradiquer un problème dont il avait fait une priorité et qui était déjà là au moment de son arrivée.
Et nous sommes déjà à près de dix ans de gouvernance de Macky (…), on voit bien quelles sont les priorités de Macky Sall et de son gouvernement. Tout le débat ces derniers temps, c’était sur le dialogue politique, sur le troisième mandat, sur le statut du chef de l’opposition, alors que le peuple est dans des abris provisoire, alors que tout le monde voyait venir cette pluviométrie importante, heureusement qu’elle s’est passée après le baccalauréat. Donc le plan ORSEC c’est un acte de désespoir quasiment.
Les autorités font état de plus de 750 milliards investis dans la gestion des inondations. Apparemment ça n’a pas réglé le problème !
Vous dites plus de 700 milliards ont été investis dans la gestion des inondations, mais nous n’avons même pas besoin d’attendre la saison des pluies pour voir que face à une pluie un peu importante nous serions inondés en pleine saison sèche.
Nous voyons tout le réseau d’assainissement de Dakar qui dégouline dans les rues, qui ne fonctionne pas, qui dysfonctionne totalement. Nous le voyons chaque jour à divers endroits du pays, comment le réseau d’assainissement là où il existe n’est pas fonctionnel et alors que le réseau d’évacuation de l’eau pluviale est jusqu’ici embryonnaire par rapport à la densité du pays.
Si vous prenez une ville comme Thiès, c’était inimaginable au temps de la colonisation et même au début des années 80-90, que la chambre de commerce soit totalement inondée. Et dans tous nos pays ce sont les cœurs de ville qui sont inondés et ce n’est pas comme ailleurs où on nous dit il y a des inondations partout.
Ailleurs, ce sont les lieux de fleuve qui débordent, ce sont les cours d’eau et les fleuves qui débordent et inondent les villes, mais si c’était une pluie normale ou importante, ça n’aurait pas fait des inondations dans des villes organisées. Ici ce sont les eaux pluviales qui frappent le cœur de ville de Dakar, le centre-ville de la capitale. Alors qu’on ne parle pas de 750 milliards ou je ne sais pas combien de francs investis dans les inondations.
De toute façon, on endette le pays à hauteur de six mille milliards en 2019 et beaucoup plus. Macky Sall a ajouté plus de six mille milliards de francs CFA en décembre 2019 aux deux mille sept cent milliards que Abdoulaye Wade avait laissé comme dette, pour quel résultat ?
On le voit aujourd’hui, des abris provisoires continuent et face à la pandémie, il a ajouté pratiquement zéro hôpital, on a moins de cent lits jusqu’ici, après tous les efforts faits durant la pandémie; Peut-on être s’étonner dans ces conditions qu’on soit inondé, quand on est incapable d’avoir cent lits pour les urgences pour un pays de seize millions d’habitants. Mais tout est cohérent dans ce système-là, quand vous n’arrivez pas à avoir d’écoles correctes, quand vous n’arrivez pas à alimenter correctement en eau la capitale, quand vous n’arrivez pas à assurer un système de transport cohérent (…), voilà ce qu’il en est et c’est triste de le dire, mais c’est ça la réalité que personne ne peut contester...