France: «Le nouveau gouvernement n'a que peu de marge de manœuvre dans l'opinion et au Parlement»

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 22 Septembre 2024 à 18:43 modifié le Dimanche 22 Septembre 2024 18:44

À peine composé et déjà critiqué. Après deux mois et demi d'attente, le gouvernement de Michel Barnier a été annoncé samedi 21 septembre dans la soirée. Que dire de ce nouvel exécutif et de ses chances de réussir ? Entretien avec Yves Sintomer, professeur de science politique à l’Université Paris-8.


Une trahison démocratique pour la gauche arrivée en tête des législatives le 7 juillet dernier. Un gouvernement qui n'a aucun avenir pour le président du Rassemblement national, Jordan Bardella. Après la dissolution et la crise politique qu'elle a entraîné, plus de deux mois sans gouvernement de plein exercice, quinze jours après sa nomination à Matignon, Michel Barnier a donc enfin, depuis hier soir, un gouvernement. Trente-neuf postes, dont douze pour les macronistes et dix pour les Républicains. Le parti de droite, pourtant arrivé quatrième des législatives, tire notamment le gros lot du ministère de l'Intérieur, pour le très conservateur Bruno Retailleau. Le socialiste Olivier Faure parle d'un gouvernement réactionnaire, alors que dans l'équipe, plusieurs noms ont choqué jusqu'au MoDem et à la Macronie pour s'être opposés dans le passé à des réformes comme le Mariage pour tous.

RFI : Au lendemain de la nomination de Michel Barnier, il y a deux semaines, vous disiez sur RFI : « Tout ça pour ça ». Que dites-vous aujourd'hui ?

Yves Sintomer : Tout ça pour ça ! Écoutez, on a eu une longue période, sans gouvernement, ce qui est tout de même, dans un pays comme la France, inhabituel. Le président de la République n'avait pas donné la possibilité au Nouveau Front populaire, qui était arrivé en tête, d'essayer de constituer un gouvernement qui passe la rampe du Parlement. Il était peu probable que cela arrive, mais au moins, cela aurait respecté le choix des urnes. Et au bout du compte, on a un gouvernement qui s'inscrit dans la continuité de l'évolution des différents gouvernements Macron, allant de plus en plus à droite.

Qui est même le plus à droite depuis la fin du quinquennat Sarkozy...

Voilà. Et qui par ailleurs est extrêmement fragile en termes à la fois d'image dans l'opinion publique et de rapports de force au Parlement.

Emmanuel Macron avait fixé à Michel Barnier l'objectif de se rapprocher le plus possible de l'union nationale. On est encore très loin ?

On n'est pas du tout sur ce terrain-là. On a un gouvernement de coalition entre le centre-droit et la droite. C'était un petit peu le cas déjà dans les derniers gouvernements, mais cela s'accentue à droite. Le gouvernement va dépendre du Rassemblement national qui va les soutenir comme la corde soutient le pendu et qui le fera tomber lorsqu'il le jugera utile. On aurait pu avoir un gouvernement « technique », composé de personnalités moins marquées politiquement que par leurs compétences professionnelles, avoir, je ne sais pas, des syndicalistes, des chefs d'entreprise...

Là, aujourd'hui, on voit plus une répartition des postes en termes d'équilibre politique que de compétences d'ailleurs…

Oui, clairement, on a des personnes – évidemment, elles devront être jugées sur leurs actions – qui ne se sont pas, pour la plupart, fait remarquer par une longue expérience des domaines qu'ils vont être amenés à diriger.

Ce qu'il faut noter, c'est aussi l'absence de grands noms, de poids lourds, à part Bruno Retailleau et Rachida Dati. Et puis il y a eu les réticences de la Macronie, du MoDem centriste qui a failli retirer son soutien au gouvernement au vu des profils conservateurs de certains comme Bruno Retailleau. Des tensions en interne qui s'ajoutent donc à la fragilité de cette équipe face à l'Hémicycle. Ce gouvernement peut-il vraiment fonctionner sans se fracturer et tenir dans la durée ?

Il est peu probable qu'il tienne dans la durée. Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu'il tombera dans quelques mois ? Est-ce qu'il tombera dans un an lorsque des élections législatives seront possibles ? C'est bien difficile à dire. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'aura pas beaucoup de marge politique à la fois, je le redis, dans l'opinion publique et au Parlement pour développer une action de long terme.

C'est peut-être aussi pour ça qu'il n'y a pas de poids lourd aujourd'hui, c'était trop risqué de rejoindre cette équipe ?

Il y a d'un côté le fait que les poids lourds potentiels se disaient « pourquoi y aller alors que ça ne va pas durer longtemps ». De l'autre côté, à l'évidence, tout le monde parmi les poids lourds pensant aux prochaines présidentielles. Dans le même temps, le président de la République et le Premier ministre se gardaient d'avoir des égos trop développés dans le gouvernement à venir.

Au sujet de la fonction suprême, justement, certains spéculent sur une démission d'Emmanuel Macron avant 2027. Est-ce qu'aujourd'hui la survie politique du président dépend de celle de Michel Barnier et de son gouvernement ?

Le président de la République pourrait toujours nommer un autre gouvernement si celui de Barnier tombait. En même temps, il est clair que sa position est très affaiblie, que ses marges de manœuvre se sont restreintes. Mais je ne suis pas dans la tête du président de la République et celui-ci a démontré qu'il a été peu clair dans ses orientations politiques. Mais son ego est tel qu'il n'est pas sûr du tout qu'il démissionne un jour.


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