Tout le monde le sait, du procureur de la République aux avocats de la partie civile, en passant par les citoyens lambda: la traduction du maire de Dakar et de sept autres prévenus devant un tribunal correctionnel pour divers délits pénaux relatifs à la gestion de la caisse d’avance de la ville-capitale est un procès en sorcellerie. C’est la traduction judiciaire d’une confrontation politique entre concurrents au sein d’un même «système» arrivé à bout de souffle.
epuis le début du procès dit de la caisse d’avance de la ville de Dakar, trois éléments majeurs entre autres peuvent être considérés comme pertinents. En plaidant pour l’incompétence du tribunal en charge de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, Me Moussa Félix Sow, ancien bâtonnier et avocat de la partie civile, soutenait le point suivant: les fonds politiques n’existent pas en droit. Erreur, car le document relatif à la présence des «fonds politiques» dans la nomenclature budgétaire de l’Etat du Sénégal a été publié au Journal officiel et a été présenté aux juges.
A la suite, Me Yérim Thiam, en interrogeant un des prévenus, lui a posé la question suivante: puisque pour vous ce sont des fonds politiques, pourquoi éprouvez-vous le besoin de passer par des factures fausses ou fictives pour justifier des dépenses ? «C’est juste un mécanisme », lui a-t-on répondu de manière invariable.
Ouvert en décembre 2017, ce procès est un tableau achevé de l’état d’hypocrisie qui caractérise la classe politique sénégalaise depuis plusieurs décennies. Il scénarise, d’une manière remarquable mais dramatique, des hommes et une femme qui, jamais au grand jamais, ne devaient se retrouver devant un tribunal: ils sont tous des victimes d’un «Système» qui refuse le progrès pour conserver leurs privilèges à ceux qui le font vivre.
C’est en cela qu’il est radicalement politique, n’en déplaise aux gens de mauvaise de foi ou simplement ignorants de la nature des enjeux en l’espèce. Il résulte de la volonté de puissance d’un pouvoir central désireux de caporaliser un pouvoir décentralisé concurrent. Tout est structuré dans cette contradiction…
Le «système» fait son propre procès
Véritable entreprise de démolition d’un opposant sous couvert de mise en œuvre de principes de bonne gouvernance dans les collectivités territoriales, cette parodie n’aurait jamais dû avoir lieu, du moins pas sous le format ridicule qu’il a pris, pour diverses raisons.
La première est d’ordre politique car il reste constant que le président de la République, commanditaire et bénéficiaire potentiel dudit procès – si Khalifa Sall est écarté de la présidentielle et des élections locales de 2019 - est à la fois juge et partie dans cette chasse à l’homme contre un adversaire politique redouté.
Au cœur de ce «système» depuis plusieurs années, Macky Sall en a profité dans tous les sens et sous toutes les coutures, d’une manière ou d’une autre. Ce procès ne fait donc que révéler, une fois de plus, la décrépitude d’un «pouvoir» judiciaire largement cannibalisé par l’omniprésence d’un Exécutif sur-dominant.
La deuxième raison est de nature éthique. Si Khalifa Sall et ses compagnons d’infortune sont à la barre du tribunal correctionnel, ils auraient dû y être rejoints par ces mille et un bataillons de politiciens qui ont capturé ces fonds politiques appelés ici caisse d’avance. Ce type de fonds existe pourtant – sous des vocables différents - à la présidence de la République (plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa), à l’assemblée nationale, à la primature, au conseil économique social et environnemental, au haut conseil des collectivités territoriales, dans les ministères et agences de la République...
L’Etat-parti (d’hier et d’aujourd’hui) l’a instauré partout et favorisé son maintien pour justement donner à certains – et pas à d’autres - les moyens matériels et financiers d’entretenir des clientèles politiciennes en vue de conserver le pouvoir. Senghor l’a fait, Abdou Diouf aussi, Abdoulaye Wade en a usé, Macky Sall en abuse. Chaque pouvoir s’en est accommodé mais le régime actuel n’a pas souhaité en faire cadeau à un adversaire…
Le mystère Khalifa
Khalifa Ababacar Sall est-il pour autant blanc comme neige ? Certes, l’existence des fonds politiques depuis le Sénégal colonial reste une vérité historique incontestable. Certes, les «dépenses diverses» sont des fonds politiques déguisés qui fonctionnent comme tels. Mais où est l’éthique quand on accepte, en connaissance de cause, de justifier l’utilisation de deniers publics par des factures fictives ? Il y a à ce niveau un vrai mystère dans le comportement du maire de Dakar.
D’une part, il a révélé au cours de ce procès avoir hésité pendant plusieurs semaines, au lendemain de son élection en 2009, à prendre possession des fonds mis à sa disposition. D’autre part, il a été capable de faire une déclaration de patrimoine volontaire devant un jury d’honneur citoyen, sans y avoir été contraint, juste par souci de transparence. C’est tout à son honneur ! Comment et pourquoi, par la suite, n’a-t-il pas eu le courage politique et moral qui lui aurait évité de tomber dans ce piège à ciel ouvert qui lui tendait les bras ?
Que faire maintenant ? En regard de la plaidoirie du procureur Serigne Bassirou Guèye ciblée sur les fausses factures, vendredi dernier, Khalifa Sall et les autres prévenus ne semblent avoir aucune chance de s’en tirer. Leur salut réside dans l’intelligence des faits, des textes et du contexte à articuler afin d’être dans la réalité politique fondamentale de ce procès à nul autre pareil.
Mais après, il faudra bien que le président Macky Sall démontre au peuple sénégalais que sa bonne foi ne se limite point à cette affaire-ci. Pendant qu’il est encore là, supprimer tous les fonds – «politiques», «secrets», «spéciaux» et consorts qui participent du pillage scandaleux des ressources de la connectivité nationale est une entreprise de salubrité nationale.
Les fonds politiques/caisse d’avance de la ville de Dakar doivent être supprimés (comme le préconise le rapport de l’Inspection générale d’Etat) mais Macky Sall ne semble pas l’envisager pour le moment car il se pourrait, se dit-il après calcul, qu’un maire estampillé APR élu en 2019 ait besoin de ces fonds… Eternel recommencement !
MOMAR DIENG
epuis le début du procès dit de la caisse d’avance de la ville de Dakar, trois éléments majeurs entre autres peuvent être considérés comme pertinents. En plaidant pour l’incompétence du tribunal en charge de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, Me Moussa Félix Sow, ancien bâtonnier et avocat de la partie civile, soutenait le point suivant: les fonds politiques n’existent pas en droit. Erreur, car le document relatif à la présence des «fonds politiques» dans la nomenclature budgétaire de l’Etat du Sénégal a été publié au Journal officiel et a été présenté aux juges.
A la suite, Me Yérim Thiam, en interrogeant un des prévenus, lui a posé la question suivante: puisque pour vous ce sont des fonds politiques, pourquoi éprouvez-vous le besoin de passer par des factures fausses ou fictives pour justifier des dépenses ? «C’est juste un mécanisme », lui a-t-on répondu de manière invariable.
Ouvert en décembre 2017, ce procès est un tableau achevé de l’état d’hypocrisie qui caractérise la classe politique sénégalaise depuis plusieurs décennies. Il scénarise, d’une manière remarquable mais dramatique, des hommes et une femme qui, jamais au grand jamais, ne devaient se retrouver devant un tribunal: ils sont tous des victimes d’un «Système» qui refuse le progrès pour conserver leurs privilèges à ceux qui le font vivre.
C’est en cela qu’il est radicalement politique, n’en déplaise aux gens de mauvaise de foi ou simplement ignorants de la nature des enjeux en l’espèce. Il résulte de la volonté de puissance d’un pouvoir central désireux de caporaliser un pouvoir décentralisé concurrent. Tout est structuré dans cette contradiction…
Le «système» fait son propre procès
Véritable entreprise de démolition d’un opposant sous couvert de mise en œuvre de principes de bonne gouvernance dans les collectivités territoriales, cette parodie n’aurait jamais dû avoir lieu, du moins pas sous le format ridicule qu’il a pris, pour diverses raisons.
La première est d’ordre politique car il reste constant que le président de la République, commanditaire et bénéficiaire potentiel dudit procès – si Khalifa Sall est écarté de la présidentielle et des élections locales de 2019 - est à la fois juge et partie dans cette chasse à l’homme contre un adversaire politique redouté.
Au cœur de ce «système» depuis plusieurs années, Macky Sall en a profité dans tous les sens et sous toutes les coutures, d’une manière ou d’une autre. Ce procès ne fait donc que révéler, une fois de plus, la décrépitude d’un «pouvoir» judiciaire largement cannibalisé par l’omniprésence d’un Exécutif sur-dominant.
La deuxième raison est de nature éthique. Si Khalifa Sall et ses compagnons d’infortune sont à la barre du tribunal correctionnel, ils auraient dû y être rejoints par ces mille et un bataillons de politiciens qui ont capturé ces fonds politiques appelés ici caisse d’avance. Ce type de fonds existe pourtant – sous des vocables différents - à la présidence de la République (plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa), à l’assemblée nationale, à la primature, au conseil économique social et environnemental, au haut conseil des collectivités territoriales, dans les ministères et agences de la République...
L’Etat-parti (d’hier et d’aujourd’hui) l’a instauré partout et favorisé son maintien pour justement donner à certains – et pas à d’autres - les moyens matériels et financiers d’entretenir des clientèles politiciennes en vue de conserver le pouvoir. Senghor l’a fait, Abdou Diouf aussi, Abdoulaye Wade en a usé, Macky Sall en abuse. Chaque pouvoir s’en est accommodé mais le régime actuel n’a pas souhaité en faire cadeau à un adversaire…
Le mystère Khalifa
Khalifa Ababacar Sall est-il pour autant blanc comme neige ? Certes, l’existence des fonds politiques depuis le Sénégal colonial reste une vérité historique incontestable. Certes, les «dépenses diverses» sont des fonds politiques déguisés qui fonctionnent comme tels. Mais où est l’éthique quand on accepte, en connaissance de cause, de justifier l’utilisation de deniers publics par des factures fictives ? Il y a à ce niveau un vrai mystère dans le comportement du maire de Dakar.
D’une part, il a révélé au cours de ce procès avoir hésité pendant plusieurs semaines, au lendemain de son élection en 2009, à prendre possession des fonds mis à sa disposition. D’autre part, il a été capable de faire une déclaration de patrimoine volontaire devant un jury d’honneur citoyen, sans y avoir été contraint, juste par souci de transparence. C’est tout à son honneur ! Comment et pourquoi, par la suite, n’a-t-il pas eu le courage politique et moral qui lui aurait évité de tomber dans ce piège à ciel ouvert qui lui tendait les bras ?
Que faire maintenant ? En regard de la plaidoirie du procureur Serigne Bassirou Guèye ciblée sur les fausses factures, vendredi dernier, Khalifa Sall et les autres prévenus ne semblent avoir aucune chance de s’en tirer. Leur salut réside dans l’intelligence des faits, des textes et du contexte à articuler afin d’être dans la réalité politique fondamentale de ce procès à nul autre pareil.
Mais après, il faudra bien que le président Macky Sall démontre au peuple sénégalais que sa bonne foi ne se limite point à cette affaire-ci. Pendant qu’il est encore là, supprimer tous les fonds – «politiques», «secrets», «spéciaux» et consorts qui participent du pillage scandaleux des ressources de la connectivité nationale est une entreprise de salubrité nationale.
Les fonds politiques/caisse d’avance de la ville de Dakar doivent être supprimés (comme le préconise le rapport de l’Inspection générale d’Etat) mais Macky Sall ne semble pas l’envisager pour le moment car il se pourrait, se dit-il après calcul, qu’un maire estampillé APR élu en 2019 ait besoin de ces fonds… Eternel recommencement !
MOMAR DIENG