Fier d’assurer la garde du Monument de la Renaissance (Par Abdou Latif Coulibaly)

Rédigé par Dakarposte le Lundi 9 Octobre 2017 à 21:03 modifié le Lundi 9 Octobre 2017 21:04

 
Oui Birahim SECK, j’ai en effet parlé d’identité au singulier , tout en ayant à l’esprit ce que l’auteur ivoirien Bernard Dadié, me confia un jour de mai 2OO2 à Abdidjan, alors que nous bouclions la troisième journée d’un important colloque consacré à la vie et à  l’œuvre du sage de Bandiagara, Amamdou Hampathé BA : « l’identité de toute nation est la somme d’identités diverses positionnées dans une dynamque intelligente, sachant  distinguer, tout en réussissant à fédérer les apports féconds des diversités, dans une large perspective de progrès ».
Il ajouta fort justement : « Partout en Afrique, la gestion instutionnelle de la Culture doit jouer un rôle fondamental pour aider à satisfaire cette  exigence qui me parait être un défi majeur à faire relever par nos Etats ».
Croyez bien,  M. Seck, que j’étais conscient, avant d’avoir été nommé ministre de la Culture que le Sénégal est à la fois une entité plurielle et unique, comme toute nation construite ou en voie de fermer définitivement la problématique de sa question nationale. Je suis de ceux qui oeuvrent en faveur de l’unité nationale autour d’une identité forte, mais dans le respect des spécificités et donc de la diversité culturelle. A ce niveau, je tiens à vous rassurer. Nous sommes en phase.
La semaine dernière au retour d’un court voyage dans la sous-région, j’ai été submergé de messages m’invitant à lire Birahim Seck qui, selon eux,  s’attaquait à moi. La  plupart des messages, sinon dans leur presque totalité, les « textos » reçus, me suppliaient de ne point répondre. Les auteurs de ces messages, dont j’apprécie l’attention affectueuse me comprennent. Il ne s’agit point de réponse. Je voudrais surtout les rassurer. Sincèrement, je ne pense pas que  Birahim Seck s’attaque à moi.
Je suis convaincu qu’il pose un débat d’idées, à sa manière certes, mais il se veut utile dans la contradiction démocratique.  Je peux ainsi m’autoriser une modeste participation au débat qu’il engage avec moi. Je suis même convaincu que les termes de la contradiction qu’il suscite sont loin de toute polémique stérile plongeant ses racines dans dans l’émotion ou dans une impulsivité qui s’abreuve à la source d’un ressentiment de mauvais aloi visant ma personne.
Ce que je  comprends de la citation que Biram Seck  a extraite d’un éditorial que j’avais publié au moment de la controverse souleveé à l’époque par la construction du Monument de la Renaissance Africaine, c’est ceci : comment, pourrai-je, en ma qualité de Ministre de la Culture, être crédible aux yeux de l’opinion, pour assurer la tutelle du Monument de la Renaissance Africaine, après tant de critiques véhémentes formulées à son sujet, à un moment de ma vie professionnelle et de citoyen libre.
Une deuxième idée, sous-jacente à la première, dit la chose suivante : vous avez été un chantre de la bonne gouverance, pourquoi alors renoncer à utiliser votre pouvoir de tutelle pour édifier les Sénégalais sur le processus d’édification de ce Monument et éclairer définitivement l’opinion sur son coût réel ?
La citation produite veut produire un effet manifeste ; mettre en doute ma crédibilité et marquer un renoncement de ma part et disqualifier ma qualité si vous permettez. Le débat public se mène sur un espace libre et pour moi, seuls les arguments comptent.
Ceux qui ont une lecture objective des extraits publiés par Birahim peuvent au moins attester un fait, jamais il n’a été question de mettre en doute la valeur artistique de l’oeuvre proposée, encore moins discréditer son esthétique d’ensemble, ni chahuter sa signification dans nos consciences. Toutes choses qui conférent à une œuvre une place de choix à la bourse des valeur de l’art, une valeur marchande sûre et une attraction assurée.
Soyons clairs, la mise en cause de cette valeur n’a jamais été mon propos. Encore qu’il faille rappeler à juste titre que des experts de l’esthétique de l’art avaient fait valoir à l’époque des arguments dignes d’intérêt au sujet de l’œuvre en construction, en expliquant que le choix de la Corée du nord pour édifier ce monument était contestable.
Leurs arguments n’avaient pas qu’un fondement idéologique. Les auteurs avaient à l’époque pretendu que la liberté de création, l’indépendance d’esprit, soubassement à la production de toute œuvre, dont les capacités et  valeurs sublimunales en font finalement un objet d’attachement, ne sauraient être fécondées et éclore dans un environnement totalitaire – suivez mon regard -, plus prompt à brider la pensée et l’inspiration, qu’à en faire  une dynamque de création.
Considérons la première critique tendant à saper ma crédibilité à assurer la tutelle sur le Monument. A ce sujet, je souhaiterais  m’appuyer un peu  sur l’histoire de l’Art, telle que certains d’entre nous l’ont apprise, pour m’expliquer avec Birahim Seck. Je parle en particulier de l’Art plastique. Cette histoire nous enseigne, fort oppotunément, que toutes les grandes oeuvres devenues des pièces précieuses du patrimoine de l’Humanité, sont nées dans la controverse. Elles sont le fruit de fortes confrontations entre des courants antagonistes très forts, sur la manière de conceptualiser l’art, de le créer et de le présenter au peuple.
Rappelons-nous des joutes épiques entretenues par les tenants de l’art académique et les adeptes de l’art moderne. Sans oublier cette rupture fracassante intervenue entre l’académisme et le modernisme du fait d’un nouveau courant appelé l’impressionnisme. C’est pour dire que, même si j’étais contre l’esthétique du monument, contre sa construction, ce qui n’a jamais été le cas, rien ne saurait constituer contre moi des faits si dirimants, pour me refuser, ne serait-ce qu’au plan intellectuel, la tutelle du Monument. Seul peut en décider la volonté de celui que notre Norme fondamentale donne la qualité de gardien et de protecteur des Arts, en l’occurrence le Chef de l’Etat.
Attardons-encore encore sur la controverse au sujet de l’Art. Celle-ci a toujours traversé de part en part son existence en tout temps. Plus près de nous, on se souvient de la forte contestation de la conception et de l’organisation de ce qu’on a appelé l’Ecole de Dakar par l’ancien Président Léopold Sédar Senghor.
De jeunes artistes encore en  formation à l’école des Beaux Arts de Dakar, l’un des chefs de file de la contestaion, mon ami,  l’artiste El Hadji Sy, décida  de peindre avec les pieds, les pinceaux coincés entre l’orteil et les autres doigts du pied, pour ridiculiser les enseignements du maître qui prétendait que pour faire l’art plastique, il fallait un pinceaux bien tenu par la main,  la toile bien  accrochée à un imposant et beaux chevalet.
Mon cher Birahim, le propre de l’Art c’est de se nourrir souvent de la controverse. Et celle à la quelle j’avais pris part en son temps, plutôt que de me disqualifier, me positionne pour davantage comprendre le sens de ce Monument, afin de pouvoir assurer avec encore plus de clairvoyance une garde bienveillante, avec le concours des differents responsables qui en assurent la gestion quotidienne.
Figurez-vous M. Seck, que toutes les œuvres monumentales qui constituent des marques saisissantes du patroimoine de l’humanité sont nées et ont été édifiées dans la controverse, voire dans le rejet pur et simple. Gustave Eiffeil eut du mal à trouver des ressources pour construire sa tour. Aujourd’hui, l’attraction que celle-ci engendre, contribue grandement à la réputation de Paris, première destination touristique mondiale. Si Paris est choisie pour organiser les Jeux olympiques de 2024, cette tour jadis controversée, y est certainement pour quelque chose.
Les pyramides : Khéops, en passant Lepsuis et Athribis et les cinq autres merveilles du même acabit, dressées à Ghizé et ailleurs en Egypte, ont été toutes imposées par les pharaons dans la controverse. Il en fut de même pour la Grande Muraille de Chine et pour d’autres œuvres monumentales qui font la fierté culturelle et le bonheur touristes du monde entier et celui des nations qui en sont les dignes héritiers.
Notre Monument de la Renaissance ne fait pas exception. Ce Monument est une grande œuvre artistque . L’œuvre d’art, la vraie est unique. Cette qualité artistique procède davantage de cette unicité qui tient au fait que, c’est le seul au monde qui offre la plus longue  distance que l’on parcourt dans son antre de bas en haut.
C’est le seul Monument au monde dont le « ventre » offre un espace de mobilité en hauteur de plus de 75 mètres. Aucune autre œuvre au monde ne présente une telle faculté. Même pas la statue de la Liberté à New York, qui dispose de moins de hauteur dans son antre.
Je ne retire pas un mot des critiques que j’avais formulées sur les procédures, sur les mécanismes de construction du Monument. Voilà ce que j’avais dit à ce propos et que vous-même avez repris dans votre article rédigé depuis la station balnéaire de Saly : « Comment un Chef d’Etat en exercice peut-il, raisonnablement, expliquer à son pays et au monde, une décision aussi surréaliste que grotesque, que celle consistant à immatriculer en son nom personnel, une œuvre édifiée avec les moyens de la Nation, avec les fonds publics, qui plus est, sur un terrain appartenant à l’Etat ? Il y a des limites que la décence interdit de franchir dans la conduite des affaires publiques ».
J’avais en particulier fustigié et dénoncé le mode de gestion préconisé, par l’entremise d’une société privée, dans laquelle le Chef de l’Etat en exercice détiendrait des parts. J’étais plutôt contre l’appropriation par une personne, fut-il Président de la République, de ce bien public, construit avec l’argent du contribuable sénégalais, de surcroît sur le patrimoine foncier de l’Etat. Je dénonçais donc, et à juste titre, l’immoralité du business que quelqu’un a voulu faire sur le dos du peuple sénégalais et au nom de l’Afrique. Aujourd’hui, j’ai même la naïveté de croire que mes critiques justes, ainsi que celles émises par de nombreux autres Sénégalais, dont Birahim Seck lui-même et le Forum Civil, ont pu décider l’ancien Chef de l’Etat, sans le dire publiquement, à renoncer à son projet, cédant à la clameur populaire ainsi engendrée.
Alors pourquoi ce qui était hier juste doit aujourd’hui avoir une autre qualité ? Nous avions raison de dire non,  comme vous le soulignez par la citation rapportée ci-dessus. Aucun Sénégalais n’ignore aujourd’hui la manière par laquelle ce Monument a été érigé. Je gère l’avenir, en essayant de faire en sorte que la gestion publique du Monument dont j’assure la tutelle technique, soit conforme aux valeurs d’efficience, d’efficacité que nous partageons ensemble.
Contrairement à ce qui était prévu dans le projet originel, une société privée ne gère pas ce Monument qui appartient au peuple qui en assure la garde par le biais de la tutelle que j’exerce en son nom. Birahim figurez-vous que parfois, vous avez eu à dénoncer la prolifération d’institutions qui, selon votre analyse, n’apportent pas grand-chose à la conduite de notre projet démocratique. Et qui plus est, coûtent cher. Ce fut le cas quand le Sénat a été dissout.
Vous avez pourtant,  à juste titre, accepté de siéger dans le Conseil Economique et Social qui a remplacé le défunt CRAES. Cette institution avait également essuyé de lourdes critiques. Vous siégez dans le Conseil et vous vous rendez ainsi utile à la Nation. Votre posture n’est nullement en contradiction avec la véhémence de votre discours sur la gouvernance de l’Etat, sous le magistère de son Excellence, le Président MAcky Sall. C’est votre choix assumé, je le respecte. Je m’y astreint en signalant toutefois que je n’ai jamais voulu prendre de charges sous l’ancien régime qui eût nécessité un decret signé par la plus haute autorité de l’époque. Pourtant, l’occasion ne m’avait pas manqué. J’avais cependant préféré faire un autre choix. Le vôtre aujourd’hui n’est pas plus noble que le mien, hier. Comme mon choix, non plus,  n’est pas plus légitime. Loin s’en faut !  Je ne vous disqualifie pour aucune charge qui vous serait destinée. En démocrates, respectons les choix des uns et des autres. Parlons des idées portées, des principes qui fondent nos actions,  la démocratie ne s’en porterait que mieux !
Pour conclure, je ne veux noter nul non dit dans votre texte. Seulement, par précaution je voudrais, m’inspirant de la reflexion d’un grand penseur, rappeler que je ne suis plus un journaliste s’exprimant librement sur des faits collectés et proposés à la censure de l’opinion.
D’autres continuent de le faire admirabelement bien. Quand je l’étais, je préférais dire aux dirigeants d’Etat ce que je pensais de ce qu’ils faisaient et qui ne me paraissait pas juste et conforme aux intérêts de la Nation. Je refusais d’attendre qu’ils soient déchargés de leur magistère pour le faire. Lorsque même ils ne seraient plus puissants,  ni capables de se rectifier pour le bien du peuple. Je ne suis plus journaliste, ni un intellectuel organique engagé, sinon dans un projet politique bien défini et que je suis décidé à porter avec force détermination. Aucune incohérence sentie en moi qui serait de nature à me troubler. J’assure avec fierté et dévouement la tutelle du Monument de la Renaissance Africaine. A ce titre,  je suis plus qu’ engagé à faire pour le temps que j’assumerai cette noble fonction, tout ce qui est possible, pour étendre son rayonnement et pour polir sa splendeur. Merci de m’avoir permis de prendre part à un débat fort utile et intéressant.
Toutefois, je voudrais vous inviter, au-delà du débat fécond certes et d’où jaillit la lumière, à vous joindre à nous, dans l’action. Nous, institutionnels, professionnels de la Culture et autres acteurs culturels, figures emblématiques de la Culture et de l’économie culturelle (leaders du mouvement associatif, entrepreneurs et managers culturels, artistes de toutes disciplines culturelles sans exclusive ; cinéastes, écrivains, musiciens de tous genres, conteurs, slammeurs, traditionnalistes et autres communicateurs traditionnels, artisans d’art, stylistes, cuisiniers, etc.), vous invitons à venir prendre part à l’œuvre inlassable de construction de notre identité nationale (dans le respect des diversités culturelles), à la promotion de l’économie culurelle et à la mise en place d’un environnement propice à la création d’emplois culturels décents. Voilà, à mon avis, le seul combat qui vaille dans ce domaine, le seul combat épique qui mérite en ce moment de mobiliser nos énergies et d’occuper notre temps si précieux.
Cheikh Amidou Kane
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