Entretien avec le ministre de l’Environnement – AKS BRAISE LA POLÉMIQUE

Rédigé par Dakarposte le Mercredi 15 Juillet 2020 à 08:41 modifié le Mercredi 15 Juillet 2020 17:23

Abdou Karim Sall, pris dans une tempête politico-médiatique, a décidé de passer aux autres dossiers. N’en déplaise aux journalistes venus couvrir hier une activité que le ministre de l’Environnement présidait. Pas de point de presse, ni de déclaration sur l’affaire des oryx qui pollue le débat public. Le Quotidien l’a sorti de sa réserve hier, parce que la rédaction l’avait sollicité pour un entretien par mail, juste avant qu’il ne soit rattrapé par la polémique sur les gazelles oryx. L’occasion était trop belle pour rater cette opportunité de lui poser les questions de l’heure. Mais Abdou Karim Sall n’était pas trop disposé à entretenir ce débat : «J’ai déjà répondu par mail à toutes vos questions sur l’environnement, mais je vous autorise à poser une question sur les oryx. Je ne vais pas m’y étendre. Je ne suis pas là pour prolonger la polémique.» Devant une telle attitude, on n’a pas eu tout le temps d’épuiser ce brûlant sujet. Vêtu d’un basin vert, sourire parfois narquois, ton ferme, Abdou Karim Sall, droit dans ses bottes, veut conjuguer ce dossier au passé. Pas sûr que la polémique désenfle.


Il y a une levée de boucliers contre vous dans l’affaire du transfert des gazelles oryx. Qu’est-ce qui s’est passé ?
C’est vrai que les gens ont parlé de ce sujet parfois avec beaucoup d’émotion et de passion. En définitive, je voudrais dire que le ministre de l’En­vironnement ne peut pas souhaiter la mort d’une souris, à plus forte raison une antilope comme l’oryx. Cette question était relative à la gestion durable de la biodiversité. Il y a d’autres questions importantes et sur lesquelles je suis tenu par un résultat. La première concerne l’application de la loi sur le plastique. Au passage, j’informe que depuis que nous avons démarré la mise en application de la loi, c’est-à-dire après à son entrée en vigueur le 20 avril, nous ne sommes pas loin de 100 tonnes de plastique saisies. Nous gardons cela comme une étape qu’il faut dépasser très rapidement parce que notre objectif c’est d’éliminer de manière définitive les sachets plastiques au Sénégal. L’autre dossier est relatif à la coupe abusive de bois dans les régions sud-est du pays. Des actions d’envergure sont en train d’être déroulées pour nous permettre vraiment de venir à bout de cette situation qui est dommageable à notre forêt et à cette partie du Sénégal.

Vous semblez minimiser cette affaire des gazelles oryx alors qu’une bonne partie de l’opinion réclame votre démission. Allez-vous démissionner ?
J’en ai terminé sur ce sujet…

Dr Cheikh Dieng du Pds, environnementaliste, vous accuse d’avoir tué les antilopes pour en faire des steaks. Est-ce vrai ?
(Sourire). C’est une accusation qui relève de la politique politicienne. Quelqu’un qui se dit environnementaliste ne peut pas imaginer une seule seconde qu’un animal à qui on a injecté de l’anesthésiant pour l’endormir et l’immobiliser ne puisse être consommé. On ne fait pas des steaks avec de la viande anesthésiée. Si vraiment c’est un environnementaliste qui parle, c’est un piètre environnementaliste. Je parle du Dr Cheikh Dieng.

Le Pds a porté plainte contre vous…
C’est de la politique. Merci beaucoup. C’est fini monsieur !

Est-ce que le transfert s’est fait selon les normes requises ?
Grand, je ne parlerai plus de ce sujet.

Pourquoi le transfert s’est fait en plein couvre-feu ?
(Silence)…

Quelle est la feuille de route du ministère de l’Environnement et du développement durable pour la préservation de la biodiversité ?
Vous savez, notre objectif est de contribuer à réduire le niveau de dégradation des ressources naturelles en général et limiter la perte de biodiversité (faune et flore), en améliorant l’état de conservation des espèces et des habitats (gestion des parcs, réserves, aires marines protégées et zones humides) et le cadre juridique et institutionnel, notamment pour la biosécurité. Les résultats attendus sont l’augmentation des effectifs des espèces clés, menacées et suivies dans les parcs, réserves et Amp (cibles de conservation), à travers l’amélioration de l’efficacité de gestion des aires protégées (6 parcs nationaux, 4 réserves de faune, 13 Amp, 2 réserves naturelles communautaires). On vise aussi l’augmentation du taux de couverture en aires protégées terrestres, marines et côtières (qui respectivement représentent environ 8,2% et 3% environ) et l’amélioration des connaissances et du cadre juridique sur la biosécurité. Quatrièmement, on cherche le renforcement des capacités des acteurs (formation, information, communication) sur la conservation de la biodiversité. Cinquièmement, on va procéder au suivi et à la coordination des actions, notamment celles en rapport avec les conventions et traités internationaux. Notre feuille de route est définie à travers la Stratégie et le Plan d’action nationale pour la biodiversité 2015-2020, sur la base d’une vision et de 4 axes stratégiques. Le premier axe évoque l’amélioration des connaissances sur la biodiversité et le renforcement des capacités institutionnelles et techniques. L’axe B parle de la réduction des pressions, restauration et conservation de la biodiversité. En C, il s’agit de la promotion de la prise en compte de la biodiversité dans les politiques de développement économique et social. Enfin, l’axe D fait la promotion de l’utilisation durable de la biodiversité et des mécanismes d’accès aux ressources biologiques et de partage juste et équitable des avantages découlant de leur exploitation.

Quelles sont les actions menées jusque-là en ce sens ?
Nous allons prendre des mesures efficaces pour atténuer les impacts des facteurs naturels qui affectent la biodiversité (changements climatiques, salinisation et érosion). On va aussi intensifier la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles (coupes, braconnage, exploitation minière), les empiètements divers, la reconversion des habitats, les feux de brousse… Il s’agira également de renforcer les moyens de lutte contre les espèces envahissantes et la pollution. Il faut aussi renforcer et étendre le réseau des aires protégées (objectif 11 d’Aichi qui demande de couvrir au moins 10% du domaine marin et côtier, et 15% du domaine terrestre en aires protégées). Promouvoir les initiatives communautaires de conservation de la biodiversité. On va réhabiliter et protéger les ressources et les habitats marins et côtiers (immersion de récifs artificiels, restauration de la mangrove…) et améliorer l’efficacité de gestion des aires protégées (renforcer les outils et moyens techniques, matériels et humains),

Les normes environnementales sont peu respectées sur le littoral de la corniche. Que fait le ministère de l’Environnement pour préserver cet espace ?
Il faut tout d’abord souligner que le littoral constitue une zone attractive aussi bien pour ses écosystèmes très diversifiés (estuaires, Niayes, lagunes, mangroves, dunes littorales…) que pour le développement des activités socio-économiques. Cela se traduit par une forte concentration de la population sur la zone côtière (60% de la population sénégalaise), le développement de plusieurs activités économiques (tourisme, pêche, agriculture, industrie, mine….), une forte urbanisation et l’existence de nombreuses infrastructures. Il y a la nécessité d’une bonne coordination entre les services de l’Etat chargés de délivrer les autorisations pour l’occupation des terres du littoral.
La mission principale du ministère de l’Environnement et du développement durable est de mettre en place des politiques et programmes qui permettent de maintenir l’équilibre écologique de ce milieu et de le protéger contre les différentes formes de dégradation liées à des activités anthropiques ou à des risques naturels. C’est pourquoi le Medd veille scrupuleusement au respect des normes environnementales dans le cadre de la surveillance des activités qui se déroulement sur le littoral. Le non-respect des normes environnementales sur le littoral n’est pas la règle, même si nous constatons souvent des infractions par rapport à la réglementation. Pour rappel, mon département, à travers la direction de l’Environnement et des établissements classés, conduit régulièrement une cartographie des occupations du littoral pour s’assurer du respect des principes directeurs de la Stratégie nationale de gestion intégrée du littoral et les dispositions du Code de l’environnement. Les difficultés rencontrées dans l’application de la réglementation sont liées aux occupations irrégulières pour lesquelles l’Administration est mise devant le fait accompli. Dans ces cas de figure, la sanction est immédiate. Non seulement les travaux sont arrêtés jusqu’à nouvel ordre, mais les promoteurs encourent des sanctions lourdes pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement.
Il faut souligner que le littoral héberge aussi des installations industrielles qui peuvent être à l’origine de la pollution des eaux du littoral. C’est le cas de la baie de Hann qui connaît actuellement une situation de dégradation très avancée due aux rejets d’effluents industriels. C’est pourquoi nous appliquons, conformément au Code de l’environnement et à ses textes d’application, le principe du pollueur-payeur qui est un mécanisme de dissuasion pour encourager les industriels à traiter leurs eaux usées avant de les rejeter dans le milieu récepteur, en l’occurrence en mer. Au-delà du contrôle de l’occupation de l’espace, la lutte contre la pollution du littoral est un enjeu de taille qui interpelle au quotidien mon département.

Que fait le ministère de l’Environnement en relation avec celui de l’Urba­nisme pour rectifier le tir ?
Il s’agit de deux départements ministériels clés dans la gestion intégrée du littoral. Le ministère de l’Urbanisme met en place les plans d’urbanisme, et le ministère de l’Environnement la stratégie de gestion intégrée du littoral, y compris les mesures de protection et de lutte contre l’érosion côtière qui est une grande menace dans un contexte de changement climatique. Le Code de l’environnement prévoit dans son chapitre II, dédié aux établissements humains, que les plans d’urbanisme prennent en compte les impératifs de protection de l’environnement dans le choix, l’emplacement et la réalisation des zones d’activités économiques, de résidence et de loisirs. Les Services de l’environnement sont consultés pour avis avant approbation. Aussi, les permis de construire relatifs aux projets de lotissement sont soumis au visa du ministre chargé de l’Environnement et doivent respecter les préoccupations d’environnement. Ils sont délivrés en tenant compte particulièrement de la présence des installations classées et de leur impact sur l’environnement. Ils doivent être refusés ou soumis à des prescriptions spéciales élaborées par les services compétents du ministère chargé de l’Environ­nement, si les constructions envisagées sont de nature à avoir des conséquences dommageables sur l’environnement. Il faut dès lors renforcer la coordination entre ces deux départements pour que les autorisations de construire soient soumises au visa du ministère chargé de l’Environ­nement qui doit s’assurer que les projets de construction sont bien analysés sur le plan environnemental et leurs impacts négatifs sur le milieu clairement identifiés, et des mesures d’atténuation mises en place.

Quel sort sera reversé aux installations qui ne respectent pas les normes environnementales ?
De mon point de vue, les installations qui ne respectent pas les normes environnementales n’ont pas leur place sur le littoral, dès l’instant où nous concevons tous ce milieu comme étant un patrimoine naturel fragile. C’est pourquoi la réglementation prévoit que tout projet de développement ou activité susceptible de porter atteinte à l’environnement, de même que les politiques, les plans, les programmes, les études régionales et sectorielles, devront faire l’objet d’une évaluation environnementale. Au regard de ces dispositions, les autorisations d’occupation du littoral, notamment la construction des infrastructures et des résidences, doivent faire l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement. Il arrive souvent que ces études ne soient pas réalisées, ce qui constitue une infraction prévue et réprimée par la loi. Pour toute occupation des dépendances du littoral, l’autorisation des services en charge de l’Environnement est obligatoire. A défaut, les contrevenants risquent des sanctions administratives, notamment l’arrêt de leurs travaux, des sanctions financières ou même une peine privative de liberté. La gouvernance du littoral va positivement évoluer avec la mise en place de la loi sur le littoral en cours de finalisation. Cette loi va accroître la surveillance exercée par l’Administration sur littoral à travers la création d’un organe dédié et de règles spécifiques d’occupation plus strictes.

Quelle est la politique du ministère pour la promotion d’espaces verts ?
La politique forestière du Sénégal est définie par le chef de l’Etat. Cette politique s’articule autour de cinq (5) axes : l’aménagement et gestion rationnelle des ressources forestières et fauniques, le renforcement des capacités des collectivités territoriales et des Organisations communautaires de base (Ocb), le renforcement des capacités d’intervention du Service forestier, le développement de la foresterie privée et le développement de la foresterie urbaine et périurbaine. La promotion d’espaces verts entre dans ce dernier axe. Il s’agit, entre autres, de soutenir et encadrer l’aménagement de forêts urbaines et péri-urbaines comme c’est le cas actuellement pour les forêts classées de Mbao et de Sébiko­tane, d’appuyer chaque commune dans l’élaboration d’un Plan d’aménagement forestier urbain (Pafu). Il faut réhabiliter, après exploitation, les zones de carrières et décharges contrôlées en espaces verts et mettre en place un important programme national d’appui à la foresterie urbaine destiné à toutes les collectivités territoriales pour des villes vertes et durables. Il faut aussi développer des actions de plantations, de délimitation et d’axes routiers et appuyer les collectivités territoriales dans des actions populaires de reboisement de places publiques, de structures sociales (écoles, centres médicaux, mosquées et églises).

La coupe des filaos à Guédiawaye pose un problème environnemental. Que fait le ministère pour préserver cet espace vert ?
La bande de filaos a été implantée dans le périmètre de reboisement et de restauration qui a un statut de forêt classée avec des restrictions quant à l’occupation. Les plantations de filao en bordure d’océan ne représentaient que 15% du domaine classé, soit 150 ha. L’objectif de ces plantations était de fixer les dunes et de freiner l’ensablement des terres adjacentes. La forte concentration humaine dans la ville a entraîné une urbanisation galopante, avec des occupations irrégulières par endroits, surtout dans les communes de Golf Sud et de Sahm Notaire, se traduisant par une régression des filaos. Pour juguler les coupes de filao, le ministère va renforcer des actions comme l’information et la sensibilisation sur les risques que pourrait engendrer la disparition des filaos, le renforcement des effectifs des gardes forestiers affectés à Guédiawaye, la poursuite des patrouilles par des brigades supervisées par le chef de Secteur, l’application des dispositions pénales du Code forestier, l’érection de la grande Niayes de Pikine en réserve naturelle urbaine et la mise en œuvre du plan d’aménagement de la bande de filaos, prenant en compte le renouvellement des anciennes plantations et la réalisation de nouveaux boisements urbains.


















Le Quotidien
Mamadou Ndiaye
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