Le Secrétaire d’Etat en charge du Programme d’urgence de développement communautaire brise deux années de silence et se prononce sur les questions brûlantes de l’heure. Les Législatives du 30 juillet 2017, le rejet par une partie de l’opposition de la modification de l’article L.78 du code électoral, affaire Khalifa Sall, la pénurie d’eau à Dakar, les fuites au Bac, le déroulement du Pudc, Souleymane Jules Diop parle de tous ses sujets avec EnQuête. Entretien !
L’Assemblée nationale a voté hier (jeudi) une loi modifiant le Code électoral. Ceci dans le but de permettre à l’électeur de choisir au moins cinq bulletins sur les 47 listes en lice pour les Législatives à venir. Quelle appréciation faites-vous de cette mesure?
L’initiative vient de la Commission électorale nationale autonome (CENA), qui a rassemblé l’ensemble des acteurs politiques pour trouver une solution à un problème. Tout le monde reconnaissait qu’il y avait un réel souci à rassembler 47 représentants de bureaux de vote dans une même salle et à faire voter l’électeur avec 47 bulletins. Dans les termes dans lesquels l’article L.78 était formulé, l’électeur était obligé de prendre tous les bulletins, d’entrer dans l’isoloir et de faire un autre travail qui consistait à faire le tri de ces 47 bulletins et à faire son choix. Tout le monde reconnaissait qu’il y avait là une difficulté qui est inhérente aux choix démocratiques que nous avons opérés, c’est-à-dire la liberté d’association qui permet à chaque Sénégalais ou groupe de Sénégalais de se réunir et de créer une association de droit privé, un parti politique. C’est cela le libéralisme démocratique né de la décision qui a été prise délibérément de ne pas créer des contraintes à la multiplication des partis politiques. Nous avons aussi fait adopter la loi qui consiste à désormais accepter des candidatures indépendantes, c’est-à-dire en dehors des partis sur la base du principe sur lequel, l’exercice et la quête du suffrage ne peut pas être le monopole des partis politiques et qu’il faudrait les étendre à la société civile et aux organisations de la société civile. Donc, nous nous sommes retrouvés face à une difficulté, une sorte d’aporie démocratique.
Comment apporter une réponse ? Le cadre par excellence, c’est le ministère de l’Intérieur où il y a eu la conduite d’un dialogue avec des représentants de partis politiques. Mais sans aucun doute, le pouvoir exécutif, pour éviter toute accusation de parti pris, puisqu’il était partie prenante du processus, a dit : nous allons confier la question à la Commission électorale nationale autonome pour qu’elle réunisse les acteurs.
Mais l’opposition récuse déjà la CENA pour conduire ces concertations…
J’y viens. Mais retenez que c’est à la suite de tout cela que le peuple sénégalais, à travers ses représentants à l’Assemblée nationale, a été appelé à se prononcer et il s’est prononcé. Il y a un double niveau de compréhension : un niveau politique et un niveau juridique. Au niveau juridique, nous avons des textes sous régionaux que nous avons intégrés dans notre bloc de constitutionalité, qui disent expressément qu’on ne peut pas modifier une loi électorale de manière substantielle à six mois des élections, sans l’approbation d’une large majorité des acteurs politiques.
Est-ce qu’il y a eu cette approbation par la majorité de la classe politique ?
Je ne veux pas entrer dans ce débat politicien. Parce que pour moi, une large majorité est à interprétation variable. La modification qu’on tente d’apporter, d’abord je ne pense pas que ce soit une modification substantielle. Une modification substantielle, c’est celle qui apporte des dispositions contraires ou différentes des dispositions préalablement établies. Ici, on essaie d’accommoder de manière raisonnable l’électeur, pour gagner du temps ou permettre au vote de s’exercer, et à mon avis, dans le cas présent, d’éviter des difficultés en aval. Pourquoi ? Parce qu’en laissant aux électeurs tout ce temps-là, on risque d’être dans des situations d’obligation de prolongation du vote ou de négation du droit de voter à certains citoyens, parce qu’ils pouvaient faire la queue pendant deux jours, sans voter. On risquait d’aller vers des contentieux. Cette disposition a été mise en place pour assurer le secret du vote. Celui-ci étant un acquis de nos combats démocratiques qui n’a été, en réalité, pris en compte dans notre dispositif électoral, qu’à partir du code consensuel de 1992. Alors, il faut assurer le secret du vote.
La seule question préjudicielle, c’est de se demander est-ce que le secret du vote est impacté. On ne dit pas à l’électeur de choisir un bulletin, deux ou quatre. Mais plutôt de choisir au moins cinq bulletins sur les quarante-sept. Cette question étant facultative, à mon avis et du point de vue du bon sens, du point de vue juridique, la question ne mérite pas tout ce brouhaha et tous ces appels à l’insurrection. Le secret du vote est assuré. Pour donner un exemple proche de nous, en France, François Hollande qui est le président de la République française, en votant aux élections à la présidentielle, a pris trois bulletins. Est-ce qu’il a violé le secret du vote ? Il est ressorti avec un bulletin dans une enveloppe. Nous ne pouvons pas dire que là-bas, ils sont moins avancés que nous en matière de démocratie. Leur président a pris trois bulletins. Nous, nous disons, choisissez au moins cinq bulletins.
Est-ce que cette nouvelle disposition ne risque pas de favoriser plus les grandes coalitions ?
Non ! C’est à chaque coalition de dire à ses électeurs : soyez vigilants, reconnaissez notre bulletin, prenez-le avec quatre autres et si vous voulez même, prenez tous les 47. Ce n’est pas interdit. C’est une faculté. Mais il faut quand même aménager la situation pour ceux qui ne veulent pas passer une journée dans les bureaux ou centres de vote, pour voter et aller à leurs occupations. N’oubliez pas qu’il y a des femmes de ménage, des travailleurs autonomes, des gens du privé qui doivent quand même avoir la liberté de venir exercer un devoir citoyen et repartir vaquer à leurs occupations.
47 listes, c’est énorme. Ne faudra-t-il pas revoir le système politique sénégalais ?
J’ai été l’un de ceux qui ont dit que par principe démocratique et par volonté de trop ouvrir, nous allons vers des situations difficiles. Le Pr Mbodj, un des meilleurs constitutionnalistes de ce pays, a produit en 1999 un rapport qu’il a déposé sur la table du Président Abdou Diouf et le Président Abdoulaye Wade en a hérité. En venant, il a dit : je ne vais même pas le lire. Ce rapport contenait déjà des termes qui pouvaient servir de base à une discussion pour vraiment un encadrement de l’exercice d’un droit fondamental : la liberté qu’a chacun de s’associer, de s’exprimer, de penser et évidemment d’exercer ses choix. Le moment est venu pour que les acteurs s’entendent. Idrissa Seck a donné une voie, des indications. Mais on ne peut pas continuer l’inflation qui coûte énormément cher au contribuable sénégalais. Nous allons imprimer 329 millions de bulletins. A ces gens-là, il faudra, en plus, donner un temps d’antenne qui coûte cher. Donc ça coûte de l’argent. Il faut des motards, de la sécurité pour les candidats, de l’encadrement au moment du vote, après le vote ; et il faut un dépouillement. Tout cela, c’est un processus long et difficile qu’il faudrait encadrer. J’en conviens avec vous. Le moment est venu de mettre fin à la zizanie démocratique.
L’opposition n’est pas d’accord sur le principe et envisage d’organiser un grand rassemblement pour dénoncer ce qu’elle considère comme une forfaiture
C’est son droit le plus absolu. C’est sa liberté de manifester et d’exprimer son mécontentement.
N’allons-nous pas vers une confrontation dans un contexte électoral ?
Ce n’est pas souhaitable. Mais ça appelle à un sens de responsabilité de tous les acteurs et de tout le monde, pas seulement de la mouvance présidentielle, mais de tous les acteurs politiques. Que l’on comprenne que c’est une élection que l’on va dépasser. Le Sénégal va survivre et nous avons des défis majeurs de développement. Ces défis sont aussi grands que celui qui consiste à organiser des élections. Ce qui compte, c’est qu’on puisse créer un cadre d’exercice libre du droit de vote et de transparence pour que le vainqueur l’emporte.
Au moment où l’opposition rue dans les brancards, Khalifa Sall croupit toujours en prison. Son recours introduit au niveau de la Cour suprême est renvoyé au 20 juillet prochain. N’est-ce pas là une manière de l’empêcher de battre campagne ?
Mais on ne peut plus le dire. Ses avocats ont été les premiers à applaudir, à dire que dans le cas d’espèce, la procédure n’est pas épuisée et qu’à ce titre, la Cour suprême ne pouvait pas se prononcer dans les délais qui ont été demandés par le parquet. A partir de ce moment, il n’y a plus débat. Ses avocats saluent la décision de la Cour suprême.
Le fait qu’il soit en prison pendant la campagne ne pose-t-il pas problème ?
Il n’y a pas de délai pour l’exercice de la Justice. Il n’y a pas de parenthèse républicaine pour l’exercice et la pratique du droit. Ça, ce n’est pas un argument. Maintenant, on peut parler d’opportunité politique. C’est un autre débat que chacun apprécie à sa façon. Mais il n’y a pas de parenthèse judiciaire dans la vie d’un pays surtout quand il s’agit de questions majeures qui sont liées à un principe fondamental qui est la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion des deniers publics.
Vous parlez de défis de développement à relever. Où en êtes-vous dans le déroulement du PUDC ?
Je pense qu’à l’unanimité, tout le monde salue le choix politique d’accorder plus d’attention au monde rural qui constitue la majorité de la population et qui a été laissé en rade en réalité, pendant 5 siècles. N’oubliez pas qu’avant, c’étaient les 5 communes côtières qui avaient des droits démocratiques que les autres n’avaient pas. On a hérité de cela et de ce que le Pr, feu Cheikh Abdoulaye Dièye, avait appelé la macrocéphalie qui consistait à concentrer l’ensemble de nos moyens, de nos industries, de nos ressources humaines et de l’ensemble de notre économie dans ces zones et de laisser l’intérieur du pays. S’il s’agit de Dakar : 84% de l’activité économique, 80% des infrastructures. Le président de la République a pris l’option de dire qu’il nous faut une transformation structurelle de notre économie.
Mais elle passe aussi par le fait que jusqu’ici, 67% du monde rural produisait pour 10% du PIB. Parce que l’essentiel des richesses que nous produisons émane du secteur des services tertiaire et quaternaire. Nous devons améliorer notre agriculture, transformer nos cultivateurs en acteurs du développement, c’est-à-dire par la mécanisation mais aussi par le règlement de la question de l’eau. Quand nous avons des hivernages avec la pluie abondante, nous faisons de la croissance. Quand l’eau ne vient pas, la croissance est impactée. Donc la question de l’eau est centrale. Mais aussi par l’énergie pour la transformation. Quand vous voyez la structure des économies de l’OCDE, vous voyez que les travailleurs agricoles occupent une part infime. C’est un indice de sous-développement quand une population importante se livre à l’agriculture parce que normalement, quand l’agriculture est mécanisée, elle n’utilise pas beaucoup de main d’œuvre. Mais elle est la base d’une transformation industrielle et semi-industrielle. C’est à ce niveau que nous avons agi en donnant à nos cultivateurs, à nos paysans, à nos femmes, des outils pour la transformation agricole, en apportant beaucoup de motopompes. Nous en avons distribué 600, des moissonneuses-batteuses, nous en avons donné 26 dans la zone de la vallée et surtout des machines de transformation postproduction. Nous avons fabriqué 5 500 machines composées de décortiqueuses, de batteuses à riz et à mil que nous avons distribuées aux populations. Au moment où je vous parle, nous en avons distribué 3 000. C’est à partir de ce moment qu’on peut créer de la valeur ajoutée et améliorer le vécu des populations, notamment des femmes.
Quel impact cela peut avoir sur le quotidien des populations bénéficiaires ?
Normalement, le but c’est d’impacter 2 millions 800 mille habitants. Nous sommes autour de 85 à 90% de réalisations de nos objectifs. Le volet électrification rurale, en raison des procédures, de la technicité et de la validation des plans, du fait que nous avons un certain nombre de contraintes notamment avec les autres structures de l’Etat qui participent à cela, avait connu un léger retard. Mais aujourd’hui, nous sommes en train de nous rattraper dans les réalisations.
Au moment où vous construisez des forages dans les zones rurales, à Dakar les populations sont confrontées à une pénurie d’eau. Est-ce que cela n’est paradoxal ?
Nous avons trop mal communiqué sur cette question. En réalité, c’est lié à des facteurs que je peux appeler exogènes. L’Etat a mis de la production d’énergie renouvelable dans le cadre de la politique de mix-énergétique. Nous avons mis 200 mégawatts d’énergie solaire. Au moment du basculement vers l’énergie solaire de certaines zones, il s’est produit des coupures d’électricité, et des surpresseurs qui doivent booster la pression de l’eau pour qu’elle arrive à Dakar n’ont pas eu d’électricité. Quand on les rallume, ça prend du temps pour que les turbines se remplissent. Cela a créé deux jours de panique, de pénurie.
Mais cela a fait plus de deux jours.
Oui, en moyenne deux jours. Parce qu’au troisième jour, la situation était dans un processus de rétablissement. Il y a, c’est vrai, un déficit structurel, à Dakar surtout, qui est de 30 000 m3. Il faut comprendre que nous avons des contraintes d’ordre géologique et géophysique à Dakar. La capitale sénégalaise est entourée par de l’eau de mer, donc nous ne pouvons pas y faire de forage. Quand vous faites des forages, vous avez la menace d’avoir de l’eau de mer à partir d’une certaine quantité de pompage. L’eau de Dakar, il faut l’amener à 230 km de sa source. Il faut des stations pour pomper l’eau, pour augmenter la pression. Et tout cela coûte en finance, parce qu’il faut de la canalisation. C’est pourquoi la question de l’eau à Dakar a pendant longtemps été difficile à traiter. En 2012, nous avons trouvé un déficit structurel de 70 000 m3. Aujourd’hui, il est à 30 000 m3. Donc nous l’avons divisé de moitié en 5 ans. Si ceux qui étaient là avant avaient fait le même effort, on n’aurait pas eu ces contraintes aujourd’hui.
Comment comptez-vous résorber ce déficit en eau ?
Nous allons régler ce déficit parce que nous avons KMS 3. L’appel d’offre a été fait, le financement a été trouvé et le projet démarrera au plus tard en décembre 2017. Mais il n’y a pas que KMS 3. Il y a l’usine de désalinisation de l’eau qui sera ici à Ouakam. Celle-ci, avec KMS 3, va permettre de régler les besoins d’eau de la capitale sénégalaise pendant 20 ans. Les financements sont déjà trouvés. En plus de cela, nous allons avoir un système d’adduction de 175 km à faire dans la capitale. Ce qui va porter les investissements à 434 milliards d’investissement pour juste régler la question de l’eau et de son traitement à Dakar. Entre 2000 et 2012, seuls 80 milliards ont été injectés dans ce secteur. Il y a eu des émeutes de l’eau sous l’ancien régime. En 2011, vous avez eu des émeutes de l’électricité. Aujourd’hui, nous avons 1000 Mw de production et nous vendons à nos voisins du courant. C’est une performance inédite.
Mais on risque d’assister aux mêmes émeutes de l’eau si la pénurie perdure…
Il n’y en aura pas. En réalité, la raison pour laquelle nous avons réduit le déficit, c’est que nous avons pu alléger la nappe infra basaltique ces dernières années et cela a permis de faire des forages dans des zones comme Grand Yoff. Il y a des zones de Dakar qui connaissaient des pénuries d’eau et qui n’en connaissent plus. Ce problème, je vous dis, va être réglé au plus tard début 2019.
L’actualité reste dominée par les fuites notées lors du baccalauréat 2017. Beaucoup de gens réclament la tête de Babou Diaham et de Mary Teuw Niane. Quelle appréciation faites-vous de tout cela ?
C’est un problème qui est sérieux, grave, qui touche à l’une des images de marque de notre pays : la qualité de sa formation, de son éducation et de ses élites. Il faut faire ce que les ingénieurs appellent l’analyse des modes de défaillance et de contrôle. Tous les systèmes sont par essence défaillants et ont des taux de falsifiabilité. Il n’y a pas de système parfait. Aux Etats-Unis, des gens ont réussi à infiltrer le système de sécurité de grandes organisations en volant des mails. Donc il y a dans chaque système, le plus élaboré possible, ce que Karl Popper appelle un degré de falsifiabilité. Mais il faut des palliatifs puissants. En France, il y a eu de la fraude lors du dernier baccalauréat. Dans les plus grands concours, même des académies militaires aux Etats-Unis, il y a des cas de fraude. Mais le système doit être parfaitement sécurisé pour réduire ces possibilités de fraude. Je pense qu’il n’y en a pas eu assez. C’est tout le système éducatif qui doit se remettre en question. Mais il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur un individu ou un autre dont la responsabilité n’est pas établie. Le principe du droit positif, c’est que la faute est individuelle.
Quelqu’un ne peut pas payer pour quelque chose qu’il n’a pas fait. C’est une faille qui date de longtemps. Jusqu’en 2008, il y avait pour le verrouillage des épreuves un système de double cadenas qui a été abandonné à partir de cette année pour des raisons que j’ignore personnellement. Maintenant, on peut soupçonner même du sabotage quand on voit que par exemple, des épreuves de mathématiques supposées être celles du bac, ont été confectionnées avec des en-têtes de l’office du bac alors qu’il ne s’agissait pas à l’évidence des épreuves de Maths. Donc, il faut dans la chaîne de responsabilité faire de l’analyse pour voir où est ce qu’il y a eu défaillance. C’est une responsabilité de police et la pénalité relève de la justice. Ce n’est pas à quelqu’un de dire : tel est coupable, il doit démissionner. On doit attendre de situer les responsabilités.
Ce qui nous préoccupe, c’est la question de la sécurisation du premier diplôme universitaire. C’est une question qu’il faut régler de la manière la plus rapide et comme l’ont demandé les autorités, que les coupables qui sont à la base de ces fuites, qui qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, soient punis de manière sévère parce que c’est très grave. Ça relève du crime. Ce n’est pas une infraction banale, c’est criminel.
L’Assemblée nationale a voté hier (jeudi) une loi modifiant le Code électoral. Ceci dans le but de permettre à l’électeur de choisir au moins cinq bulletins sur les 47 listes en lice pour les Législatives à venir. Quelle appréciation faites-vous de cette mesure?
L’initiative vient de la Commission électorale nationale autonome (CENA), qui a rassemblé l’ensemble des acteurs politiques pour trouver une solution à un problème. Tout le monde reconnaissait qu’il y avait un réel souci à rassembler 47 représentants de bureaux de vote dans une même salle et à faire voter l’électeur avec 47 bulletins. Dans les termes dans lesquels l’article L.78 était formulé, l’électeur était obligé de prendre tous les bulletins, d’entrer dans l’isoloir et de faire un autre travail qui consistait à faire le tri de ces 47 bulletins et à faire son choix. Tout le monde reconnaissait qu’il y avait là une difficulté qui est inhérente aux choix démocratiques que nous avons opérés, c’est-à-dire la liberté d’association qui permet à chaque Sénégalais ou groupe de Sénégalais de se réunir et de créer une association de droit privé, un parti politique. C’est cela le libéralisme démocratique né de la décision qui a été prise délibérément de ne pas créer des contraintes à la multiplication des partis politiques. Nous avons aussi fait adopter la loi qui consiste à désormais accepter des candidatures indépendantes, c’est-à-dire en dehors des partis sur la base du principe sur lequel, l’exercice et la quête du suffrage ne peut pas être le monopole des partis politiques et qu’il faudrait les étendre à la société civile et aux organisations de la société civile. Donc, nous nous sommes retrouvés face à une difficulté, une sorte d’aporie démocratique.
Comment apporter une réponse ? Le cadre par excellence, c’est le ministère de l’Intérieur où il y a eu la conduite d’un dialogue avec des représentants de partis politiques. Mais sans aucun doute, le pouvoir exécutif, pour éviter toute accusation de parti pris, puisqu’il était partie prenante du processus, a dit : nous allons confier la question à la Commission électorale nationale autonome pour qu’elle réunisse les acteurs.
Mais l’opposition récuse déjà la CENA pour conduire ces concertations…
J’y viens. Mais retenez que c’est à la suite de tout cela que le peuple sénégalais, à travers ses représentants à l’Assemblée nationale, a été appelé à se prononcer et il s’est prononcé. Il y a un double niveau de compréhension : un niveau politique et un niveau juridique. Au niveau juridique, nous avons des textes sous régionaux que nous avons intégrés dans notre bloc de constitutionalité, qui disent expressément qu’on ne peut pas modifier une loi électorale de manière substantielle à six mois des élections, sans l’approbation d’une large majorité des acteurs politiques.
Est-ce qu’il y a eu cette approbation par la majorité de la classe politique ?
Je ne veux pas entrer dans ce débat politicien. Parce que pour moi, une large majorité est à interprétation variable. La modification qu’on tente d’apporter, d’abord je ne pense pas que ce soit une modification substantielle. Une modification substantielle, c’est celle qui apporte des dispositions contraires ou différentes des dispositions préalablement établies. Ici, on essaie d’accommoder de manière raisonnable l’électeur, pour gagner du temps ou permettre au vote de s’exercer, et à mon avis, dans le cas présent, d’éviter des difficultés en aval. Pourquoi ? Parce qu’en laissant aux électeurs tout ce temps-là, on risque d’être dans des situations d’obligation de prolongation du vote ou de négation du droit de voter à certains citoyens, parce qu’ils pouvaient faire la queue pendant deux jours, sans voter. On risquait d’aller vers des contentieux. Cette disposition a été mise en place pour assurer le secret du vote. Celui-ci étant un acquis de nos combats démocratiques qui n’a été, en réalité, pris en compte dans notre dispositif électoral, qu’à partir du code consensuel de 1992. Alors, il faut assurer le secret du vote.
La seule question préjudicielle, c’est de se demander est-ce que le secret du vote est impacté. On ne dit pas à l’électeur de choisir un bulletin, deux ou quatre. Mais plutôt de choisir au moins cinq bulletins sur les quarante-sept. Cette question étant facultative, à mon avis et du point de vue du bon sens, du point de vue juridique, la question ne mérite pas tout ce brouhaha et tous ces appels à l’insurrection. Le secret du vote est assuré. Pour donner un exemple proche de nous, en France, François Hollande qui est le président de la République française, en votant aux élections à la présidentielle, a pris trois bulletins. Est-ce qu’il a violé le secret du vote ? Il est ressorti avec un bulletin dans une enveloppe. Nous ne pouvons pas dire que là-bas, ils sont moins avancés que nous en matière de démocratie. Leur président a pris trois bulletins. Nous, nous disons, choisissez au moins cinq bulletins.
Est-ce que cette nouvelle disposition ne risque pas de favoriser plus les grandes coalitions ?
Non ! C’est à chaque coalition de dire à ses électeurs : soyez vigilants, reconnaissez notre bulletin, prenez-le avec quatre autres et si vous voulez même, prenez tous les 47. Ce n’est pas interdit. C’est une faculté. Mais il faut quand même aménager la situation pour ceux qui ne veulent pas passer une journée dans les bureaux ou centres de vote, pour voter et aller à leurs occupations. N’oubliez pas qu’il y a des femmes de ménage, des travailleurs autonomes, des gens du privé qui doivent quand même avoir la liberté de venir exercer un devoir citoyen et repartir vaquer à leurs occupations.
47 listes, c’est énorme. Ne faudra-t-il pas revoir le système politique sénégalais ?
J’ai été l’un de ceux qui ont dit que par principe démocratique et par volonté de trop ouvrir, nous allons vers des situations difficiles. Le Pr Mbodj, un des meilleurs constitutionnalistes de ce pays, a produit en 1999 un rapport qu’il a déposé sur la table du Président Abdou Diouf et le Président Abdoulaye Wade en a hérité. En venant, il a dit : je ne vais même pas le lire. Ce rapport contenait déjà des termes qui pouvaient servir de base à une discussion pour vraiment un encadrement de l’exercice d’un droit fondamental : la liberté qu’a chacun de s’associer, de s’exprimer, de penser et évidemment d’exercer ses choix. Le moment est venu pour que les acteurs s’entendent. Idrissa Seck a donné une voie, des indications. Mais on ne peut pas continuer l’inflation qui coûte énormément cher au contribuable sénégalais. Nous allons imprimer 329 millions de bulletins. A ces gens-là, il faudra, en plus, donner un temps d’antenne qui coûte cher. Donc ça coûte de l’argent. Il faut des motards, de la sécurité pour les candidats, de l’encadrement au moment du vote, après le vote ; et il faut un dépouillement. Tout cela, c’est un processus long et difficile qu’il faudrait encadrer. J’en conviens avec vous. Le moment est venu de mettre fin à la zizanie démocratique.
L’opposition n’est pas d’accord sur le principe et envisage d’organiser un grand rassemblement pour dénoncer ce qu’elle considère comme une forfaiture
C’est son droit le plus absolu. C’est sa liberté de manifester et d’exprimer son mécontentement.
N’allons-nous pas vers une confrontation dans un contexte électoral ?
Ce n’est pas souhaitable. Mais ça appelle à un sens de responsabilité de tous les acteurs et de tout le monde, pas seulement de la mouvance présidentielle, mais de tous les acteurs politiques. Que l’on comprenne que c’est une élection que l’on va dépasser. Le Sénégal va survivre et nous avons des défis majeurs de développement. Ces défis sont aussi grands que celui qui consiste à organiser des élections. Ce qui compte, c’est qu’on puisse créer un cadre d’exercice libre du droit de vote et de transparence pour que le vainqueur l’emporte.
Au moment où l’opposition rue dans les brancards, Khalifa Sall croupit toujours en prison. Son recours introduit au niveau de la Cour suprême est renvoyé au 20 juillet prochain. N’est-ce pas là une manière de l’empêcher de battre campagne ?
Mais on ne peut plus le dire. Ses avocats ont été les premiers à applaudir, à dire que dans le cas d’espèce, la procédure n’est pas épuisée et qu’à ce titre, la Cour suprême ne pouvait pas se prononcer dans les délais qui ont été demandés par le parquet. A partir de ce moment, il n’y a plus débat. Ses avocats saluent la décision de la Cour suprême.
Le fait qu’il soit en prison pendant la campagne ne pose-t-il pas problème ?
Il n’y a pas de délai pour l’exercice de la Justice. Il n’y a pas de parenthèse républicaine pour l’exercice et la pratique du droit. Ça, ce n’est pas un argument. Maintenant, on peut parler d’opportunité politique. C’est un autre débat que chacun apprécie à sa façon. Mais il n’y a pas de parenthèse judiciaire dans la vie d’un pays surtout quand il s’agit de questions majeures qui sont liées à un principe fondamental qui est la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion des deniers publics.
Vous parlez de défis de développement à relever. Où en êtes-vous dans le déroulement du PUDC ?
Je pense qu’à l’unanimité, tout le monde salue le choix politique d’accorder plus d’attention au monde rural qui constitue la majorité de la population et qui a été laissé en rade en réalité, pendant 5 siècles. N’oubliez pas qu’avant, c’étaient les 5 communes côtières qui avaient des droits démocratiques que les autres n’avaient pas. On a hérité de cela et de ce que le Pr, feu Cheikh Abdoulaye Dièye, avait appelé la macrocéphalie qui consistait à concentrer l’ensemble de nos moyens, de nos industries, de nos ressources humaines et de l’ensemble de notre économie dans ces zones et de laisser l’intérieur du pays. S’il s’agit de Dakar : 84% de l’activité économique, 80% des infrastructures. Le président de la République a pris l’option de dire qu’il nous faut une transformation structurelle de notre économie.
Mais elle passe aussi par le fait que jusqu’ici, 67% du monde rural produisait pour 10% du PIB. Parce que l’essentiel des richesses que nous produisons émane du secteur des services tertiaire et quaternaire. Nous devons améliorer notre agriculture, transformer nos cultivateurs en acteurs du développement, c’est-à-dire par la mécanisation mais aussi par le règlement de la question de l’eau. Quand nous avons des hivernages avec la pluie abondante, nous faisons de la croissance. Quand l’eau ne vient pas, la croissance est impactée. Donc la question de l’eau est centrale. Mais aussi par l’énergie pour la transformation. Quand vous voyez la structure des économies de l’OCDE, vous voyez que les travailleurs agricoles occupent une part infime. C’est un indice de sous-développement quand une population importante se livre à l’agriculture parce que normalement, quand l’agriculture est mécanisée, elle n’utilise pas beaucoup de main d’œuvre. Mais elle est la base d’une transformation industrielle et semi-industrielle. C’est à ce niveau que nous avons agi en donnant à nos cultivateurs, à nos paysans, à nos femmes, des outils pour la transformation agricole, en apportant beaucoup de motopompes. Nous en avons distribué 600, des moissonneuses-batteuses, nous en avons donné 26 dans la zone de la vallée et surtout des machines de transformation postproduction. Nous avons fabriqué 5 500 machines composées de décortiqueuses, de batteuses à riz et à mil que nous avons distribuées aux populations. Au moment où je vous parle, nous en avons distribué 3 000. C’est à partir de ce moment qu’on peut créer de la valeur ajoutée et améliorer le vécu des populations, notamment des femmes.
Quel impact cela peut avoir sur le quotidien des populations bénéficiaires ?
Normalement, le but c’est d’impacter 2 millions 800 mille habitants. Nous sommes autour de 85 à 90% de réalisations de nos objectifs. Le volet électrification rurale, en raison des procédures, de la technicité et de la validation des plans, du fait que nous avons un certain nombre de contraintes notamment avec les autres structures de l’Etat qui participent à cela, avait connu un léger retard. Mais aujourd’hui, nous sommes en train de nous rattraper dans les réalisations.
Au moment où vous construisez des forages dans les zones rurales, à Dakar les populations sont confrontées à une pénurie d’eau. Est-ce que cela n’est paradoxal ?
Nous avons trop mal communiqué sur cette question. En réalité, c’est lié à des facteurs que je peux appeler exogènes. L’Etat a mis de la production d’énergie renouvelable dans le cadre de la politique de mix-énergétique. Nous avons mis 200 mégawatts d’énergie solaire. Au moment du basculement vers l’énergie solaire de certaines zones, il s’est produit des coupures d’électricité, et des surpresseurs qui doivent booster la pression de l’eau pour qu’elle arrive à Dakar n’ont pas eu d’électricité. Quand on les rallume, ça prend du temps pour que les turbines se remplissent. Cela a créé deux jours de panique, de pénurie.
Mais cela a fait plus de deux jours.
Oui, en moyenne deux jours. Parce qu’au troisième jour, la situation était dans un processus de rétablissement. Il y a, c’est vrai, un déficit structurel, à Dakar surtout, qui est de 30 000 m3. Il faut comprendre que nous avons des contraintes d’ordre géologique et géophysique à Dakar. La capitale sénégalaise est entourée par de l’eau de mer, donc nous ne pouvons pas y faire de forage. Quand vous faites des forages, vous avez la menace d’avoir de l’eau de mer à partir d’une certaine quantité de pompage. L’eau de Dakar, il faut l’amener à 230 km de sa source. Il faut des stations pour pomper l’eau, pour augmenter la pression. Et tout cela coûte en finance, parce qu’il faut de la canalisation. C’est pourquoi la question de l’eau à Dakar a pendant longtemps été difficile à traiter. En 2012, nous avons trouvé un déficit structurel de 70 000 m3. Aujourd’hui, il est à 30 000 m3. Donc nous l’avons divisé de moitié en 5 ans. Si ceux qui étaient là avant avaient fait le même effort, on n’aurait pas eu ces contraintes aujourd’hui.
Comment comptez-vous résorber ce déficit en eau ?
Nous allons régler ce déficit parce que nous avons KMS 3. L’appel d’offre a été fait, le financement a été trouvé et le projet démarrera au plus tard en décembre 2017. Mais il n’y a pas que KMS 3. Il y a l’usine de désalinisation de l’eau qui sera ici à Ouakam. Celle-ci, avec KMS 3, va permettre de régler les besoins d’eau de la capitale sénégalaise pendant 20 ans. Les financements sont déjà trouvés. En plus de cela, nous allons avoir un système d’adduction de 175 km à faire dans la capitale. Ce qui va porter les investissements à 434 milliards d’investissement pour juste régler la question de l’eau et de son traitement à Dakar. Entre 2000 et 2012, seuls 80 milliards ont été injectés dans ce secteur. Il y a eu des émeutes de l’eau sous l’ancien régime. En 2011, vous avez eu des émeutes de l’électricité. Aujourd’hui, nous avons 1000 Mw de production et nous vendons à nos voisins du courant. C’est une performance inédite.
Mais on risque d’assister aux mêmes émeutes de l’eau si la pénurie perdure…
Il n’y en aura pas. En réalité, la raison pour laquelle nous avons réduit le déficit, c’est que nous avons pu alléger la nappe infra basaltique ces dernières années et cela a permis de faire des forages dans des zones comme Grand Yoff. Il y a des zones de Dakar qui connaissaient des pénuries d’eau et qui n’en connaissent plus. Ce problème, je vous dis, va être réglé au plus tard début 2019.
L’actualité reste dominée par les fuites notées lors du baccalauréat 2017. Beaucoup de gens réclament la tête de Babou Diaham et de Mary Teuw Niane. Quelle appréciation faites-vous de tout cela ?
C’est un problème qui est sérieux, grave, qui touche à l’une des images de marque de notre pays : la qualité de sa formation, de son éducation et de ses élites. Il faut faire ce que les ingénieurs appellent l’analyse des modes de défaillance et de contrôle. Tous les systèmes sont par essence défaillants et ont des taux de falsifiabilité. Il n’y a pas de système parfait. Aux Etats-Unis, des gens ont réussi à infiltrer le système de sécurité de grandes organisations en volant des mails. Donc il y a dans chaque système, le plus élaboré possible, ce que Karl Popper appelle un degré de falsifiabilité. Mais il faut des palliatifs puissants. En France, il y a eu de la fraude lors du dernier baccalauréat. Dans les plus grands concours, même des académies militaires aux Etats-Unis, il y a des cas de fraude. Mais le système doit être parfaitement sécurisé pour réduire ces possibilités de fraude. Je pense qu’il n’y en a pas eu assez. C’est tout le système éducatif qui doit se remettre en question. Mais il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur un individu ou un autre dont la responsabilité n’est pas établie. Le principe du droit positif, c’est que la faute est individuelle.
Quelqu’un ne peut pas payer pour quelque chose qu’il n’a pas fait. C’est une faille qui date de longtemps. Jusqu’en 2008, il y avait pour le verrouillage des épreuves un système de double cadenas qui a été abandonné à partir de cette année pour des raisons que j’ignore personnellement. Maintenant, on peut soupçonner même du sabotage quand on voit que par exemple, des épreuves de mathématiques supposées être celles du bac, ont été confectionnées avec des en-têtes de l’office du bac alors qu’il ne s’agissait pas à l’évidence des épreuves de Maths. Donc, il faut dans la chaîne de responsabilité faire de l’analyse pour voir où est ce qu’il y a eu défaillance. C’est une responsabilité de police et la pénalité relève de la justice. Ce n’est pas à quelqu’un de dire : tel est coupable, il doit démissionner. On doit attendre de situer les responsabilités.
Ce qui nous préoccupe, c’est la question de la sécurisation du premier diplôme universitaire. C’est une question qu’il faut régler de la manière la plus rapide et comme l’ont demandé les autorités, que les coupables qui sont à la base de ces fuites, qui qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, soient punis de manière sévère parce que c’est très grave. Ça relève du crime. Ce n’est pas une infraction banale, c’est criminel.