Le choix de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade comme tête de liste nationale de l’opposition lors des Législatives du 30 juillet 2017, n’agréé pas tous les adversaires de Macky Sall. Interpellé hier sur la question dans le cadre de cet entretien, Cheikh Bamba Dièye répond que l’échéancier politique national est une affaire de génération. Pour le leader du Front national pour la démocratie et le socialisme/Benno jubbël (Fsd/Bj) qui propose une thérapie pour le Sénégal, le Pape du Sopi a dépassé le stade où il doit prendre en charge le combat de l’opposition.
Où en est l’opposition dans les tractations en perspective des prochaines Législatives ?
Vous allez bien comprendre que je ne peux pas trop m’épancher pour le moment sur ce sujet. Nous sommes assez intelligents et suffisamment impliqués dans le devenir de notre pays pour comprendre l’urgence qu’il y a pour l’opposition d’aller ensemble. Des gens comme moi y travaillent déjà depuis plus de deux ans. On fera ce qu’il faudra pour que l’opposition se réunisse.
Certains opposants proposent Wade comme tête de liste nationale. Qu’en pensez-vous ?
Abdoulaye Wade a été l’un des plus grands en termes de lutte démocratique dans notre pays. Il a eu à exercer les plus hautes fonctions de notre pays. Mais l’échéancier d’aujourd’hui est une affaire de génération. C’est nous qui devrons nous montrer à la hauteur de nos responsabilités. Il faut que nous prouvions aux Sénégalais que nous sommes de vrais patriotes et que nous sommes soucieux de la transparence qui sied par rapport à la gestion des affaires publiques. Il faut que nous leur montrions que nous avons suffisamment de hauteur pour nous entendre sur l’intérêt du Sénégal et plus dans les calculs politiciens. Le challenge, c’est qu’il faut que les Sénégalais se rappellent ce que des gens dans l’opposition comme moi ont été capables de faire à l’Assemblée nationale, la qualité du travail et la rigueur que nous sommes capables d’apporter au Sénégal.
A vous entendre parler, on a comme l’impression que le choix de Wade comme tête de liste ne vous agréé pas.
Ce n’est pas que ça m’agrée ou pas. Le moment venu, je dirai les choses là où je devrais les dire. Dans ma compréhension des choses, Me Wade est arrivé à un niveau de responsabilité dans ce pays où vouloir que lui-même prenne en charge notre propre combat, c’est ne pas avoir du mérite personnel. Je crois que nous en avons suffisamment pour faire face à Macky Sall.
Votre compagnonnage avec Aïssata Tall Sall et Moussa Tine est annoncé. Qu’en est-il ?
Mettez tout cela dans la volonté que nous avons de construire l’unité de l’opposition.
Il paraît que vous avez été approché par Abdoul Mbaye ?
Je n’ai pas été approché par quelqu’un. C’est moi-même qui suis parti voir tout le monde. Je travaille sur ce qui est pour moi le plus urgent et le plus important. Nous sommes dans une compétition électorale. Si nous ne faisons pas attention, il y a la possibilité que Macky Sall recouvre sa majorité et nous savons déjà quel sera le résultat. Parce que l’Assemblée que nous avons aujourd’hui est aux antipodes des intérêts du Sénégal. C’est pour cela que j’ai pris mon bâton de pèlerin, j’ai discuté avec la majorité des acteurs de l’opposition et je continuerai toujours à le faire pour que nous puissions nous retrouver autour de l’essentiel. Nous devons converger vers ce qui réunit le maximum de leaders politiques. Nous devons nous réunir pour travailler pour les Sénégalais. Je continuerai jusqu’à la dernière minute à faire ce qu’il faut pour avoir la liste la plus crédible pour faire face à la mouvance présidentielle.
Vous avez récemment exclu la députée Ndèye Dieynaba Ndiaye de votre parti. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Vous croyez que le Fsd/Bj a le temps de s’occuper des préoccupations pécuniaires et individuelles ? Non ! On se bat pour le Sénégal et pour des valeurs. Le pays est en danger. Nous avons des menaces sérieuses sur l’utilisation des ressources de la République. Notre taux d’endettement a atteint des limites vertigineuses. Ce qui risque de se passer, c’est que lorsqu’il y aura alternance, les pouvoirs qui viendront n’auront aucun volant pour pouvoir conduire le pays. Parce que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ont déjà tout pris. Quand on compare la situation du Sénégal aux pays qui sont vraiment émergents et bien portants, il nous reste encore onze marches à gravir. Il nous faut voir quoi faire de toutes ces problématiques. C’est cela le plus important pour nous.
Vous venez de publier votre livre ‘’Sénégal, Thérapie pour un pays blessé’’. Pouvez-vous nous en dire plus par rapport aux thématiques qui y sont développées ?
L’ouvrage part d’une pratique de la société sénégalaise sur plusieurs années et d’une analyse profonde que mon expérience d’homme d’Etat et d’acteur politique m’ont permis d’avoir. C’est une vision sociopolitique du Sénégal. Je pense qu’un acteur politique n’est pas seulement celui qui récolte des voix. C’est aussi celui qui est capable de réfléchir sur sa société et d’en faire un diagnostic réel et sincère. Mais surtout de donner ensuite des pistes de réflexions et des analyses qui peuvent aider l’ensemble de la société à se repositionner. Aujourd’hui, je suis très inquiet de la situation de la société sénégalaise, surtout en termes de perte de valeur, et de favoritisme. C’est pourquoi j’utilise beaucoup de concepts dans mon analyse sociopolitique. Je parle d’une société qui fait dans le mauvais compromis. Nous constatons au Sénégal que lorsque nous devons régler une situation, nous ne le faisons pas jusqu’au fond des choses. Nous sommes une société qui aime la facilité et que tous les jeunes décrient aujourd’hui. C’est cette société qui fait qu’au sommet de l’Etat comme au niveau le plus élémentaire, les gens n’assument pas leurs responsabilités souvent.
Est-ce que la classe politique n’a pas une responsabilité par rapport à cette situation ?
Bien évidemment ! Quand on parle de première responsabilité, on parle d’abord de celle des leaders. J’ai dit que je suis partie de cette analyse pour dire qu’au Sénégal, nous faisons face à quatre périls. Le premier, c’est la démission des élites, qu’elles soient politiques, religieuses ou intellectuelles. Le second, c’est l’indifférence des masses sénégalaises parce qu’elles ont été tellement brimées, tellement d’espoirs déçus, des attentes qui ne se sont jamais réalisés, que les Sénégalais ont fini par baisser les bras. Le troisième, c’est la cupidité des acteurs politiques. L’ensemble des déficits que nous enregistrons dans notre pays, c’est le fait de la politique. En dernier ressort, nous avons la lâcheté des transhumants et des situationnistes.
Vous parlez de thérapie. Est-ce un projet alternatif ?
Mais absolument ! Parce qu’après avoir fait un diagnostic réel d’une société, je donne des pistes de solution sur chaque problème que j’évoque. Par exemple quand j’analyse l’Assemblée nationale, je mets en exergue le type de Parlement que nous devrions avoir. Je suis allé plus loin en disant qu’aux Etats-Unis, nous avons un élu pour 578 000 Américains alors qu’au Sénégal, nous avons un élu pour un peu moins de 80 000 personnes. Le nombre d’élus ne signifie pas la qualité d’une représentation nationale. J’ai parlé du gouvernement, des réformes de l’Administration territoriale, de quel type de décentralisation il nous faut. J’ai analysé notre politique étrangère à l’aune de ce que nous faisons par rapport aux ratés que nous enregistrons. Je dis souvent que le Sénégal sous l’ère Macky Sall, s’est signalé par des déroutes extraordinaires. Chaque fois que nous avons été en compétition à l’échelle sous régional ou régional, on s’est fait laminé. L’énergie qu’on montre souvent pour brimer les Sénégalais en niant les libertés individuelles à l’intérieur de notre pays, on aurait dû la déployer quand il faut maintenir notre posture au niveau de l’Uemoa. Je ne pense pas que la Côte d’Ivoire lâchera la gouvernance de la Bceao alors que ceux qui avaient donné cette institution financière à ce pays avaient donné l’Uemoa au Sénégal. Je pense que c’est sur ces dossiers qu’on attend le président de la République.
N’êtes-vous pas comptable de cette situation, car vous étiez avec le pouvoir ?
Chacun d’entre nous assumera nécessairement ses responsabilités. L’objet aujourd’hui, ce n’est pas de dire : tu es comptable ou pas. L’urgence, c’est qu’on arrête et qu’on change de direction. Qu’on soit comptable ou pas, ça ne nous apportera rien. La réalité est que nous constatons que nous sommes dans un pays qui va très mal. Pour ce faire, il faut qu’on aille loin. Ce qui est appelé le Plan Sénégal émergent est dangereux pour notre pays, c’est une hérésie en matière de développement parce que les coûts sont prohibitifs et ça ne cadre pas avec nos priorités. Quand on compare le PSE avec des projets qui sont en cours sur le continent africain, on est effaré par les différences de prix qui existent et ce n’est pas acceptable. Moi, j’ai pris mes responsabilités. En écrivant, j’ai assumé ce que j’ai dit dans le livre. Ça fait plus d’un mois que ce livre est sorti et j’ai dit dans beaucoup de chapitres que je les mets au défi de prouver le contraire de ce que j’avance. Lorsqu’un intellectuel s’engage et avance des faits qui sont graves pour notre pays et que ses vis-à-vis ne réagissent pas sur le fond de ce qu’il dit, ça pose problème. C’est pour cela que j’ai dit que l’existence de Macky Sall, son prolongement à la tête de l’Etat est dangereux pour notre pays. C’est une menace grave pour la sécurité du citoyen. C’est pourquoi à l’aune des élections législatives, nous nous mobilisons pour faire en sorte de diminuer, le maximum possible, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme.
En quoi faisant ?
En créant les conditions d’une unité de l’opposition.
Est-ce que cela est possible ?
Aujourd’hui, c’est très possible. Parce que tout le monde rame dans la même direction. Nous avons intérêt à le faire si nous sentons véritablement l’urgence qu’il y a de corriger les déficits et les dérives graves que nous enregistrons. Ce n’est pas ça l’esprit de 2012. Ce n’est pas pour ça qu’on s’est battu.
Au Sénégal, on a l’impression que les alternances se suivent et se ressemblent.
C’est cela que je dénonce dans cet ouvrage. Nous sommes dans un processus dynamique. Ce que nous voulons faire ne se fera pas ex-nihilo. Nous ne pouvons le faire qu’avec les Sénégalais. Par conséquent, il appartient à la classe politique et à la société, chacun en ce qui le concerne, de faire son introspection. Le rendez-vous du début des indépendances a été raté en 1962 pour des questions de préséances. Mamadou Dia s’est retrouvé en prison pour dix ans. D’autres rendez-vous ont été ratés avec l’avènement de Cheikh Anta Diop. En 1981, lorsqu’Abdou Diouf nous disait que plus rien ne serait comme avant, c’était un rendez-vous raté car tout a été pire qu’avant. Lorsqu’Abdoulaye Wade nous disait en 2000 qu’il voulait des changements profonds dans le pays et que tout le monde devait se mettre au travail, il y croyait. Il y a des artifices, des gens qui sont là pour tirer le pays vers le bas. Ceux qui ont coulé la politique d’Abdou Diouf, ont fini par avoir raison d’Abdoulaye Wade et ce sont eux qui tournent autour de Macky Sall. Aujourd’hui, ils rangent aux oubliettes la traque des biens mal acquis, la gestion sobre et vertueuse et prônent le parti avant la patrie. C’est sur ces questions que nous devons réfléchir. Parce que la question du développement du Sénégal n’est pas seulement liée aux acteurs politiques. C’est une question nationale.
Quand vous parlez de gens qui tirent le pays vers le bas, vous faites allusion à qui ?
Je fais allusion à tous les transhumants de tous les bords. De mon point de vue, les transhumants sont de trois ordres. Il y a ceux qui, à chaque alternance, quittent l’ancienne mouvance pour regagner la nouvelle. Ce qui fait très mal, c’est qu’il y a aussi des gens qui nous ont engagés dans les Assises nationales, qui se battaient pour les libertés, la démocratie et le développement. Il faut leur poser la question : qu’est-ce qu’ils font aujourd’hui auprès de Macky Sall lorsqu’il est devenu le champion du ‘’wax waxeet’’ (reniement) ? Qu’est-ce qu’ils font auprès de Macky Sall lorsqu’il se spécialise en matière de négation des libertés individuelles ? Qu’est-ce qu’ils font auprès de lui à l’aune de ce qu’ils prétendaient dans les Assises nationales lorsque le Train express régional existe et qu’on nous demande de financer Ila Touba pour les coûts exorbitants prohibitifs que nous avons ? Le troisième, c’est la transhumance des intellectuels. Nombre d’entre eux se sont tus ; on ne les entend plus. Certains aujourd’hui sont devenus les porte-étendards de cette pratique politique qui est contraire aux ambitions que portaient les Assises nationales. Il faut qu’on ait le courage de les désigner du doigt. Dans le pays, il y a eu une polémique énorme autour de la transparence sur le pétrole et les ressources minières. Pendant ce temps, il y a un organisme qui s’occupe de cela et qui est financé dans le budget national à hauteur de 120 millions. Quel est l’utilité de financer un tel montant sur plusieurs années si on n’est pas capable d’avoir de la transparence dans les industries extractives. Quelle est l’utilité pour un pays comme le nôtre, qui vit de sérieuses menaces en termes de démocratie ? Le cas de Khalifa Sall est là. Un pays qui a une Télévision nationale qui n’accepte que le parti au pouvoir. Aucun leader de l’opposition ne peut espérer être invité alors que nous avons un organe de contrôle qui est budgétisé à 400 millions de F CFA. Il sert à quoi ? Voici les bonnes questions qu’il faut qu’on se pose dans notre pays.
Pensez-vous qu’une cohabitation à l’Assemblée nationale puisse participer à régler tout cela ?
Évidemment ! C’est la voie royale. Aujourd’hui, le Sénégal ne peut plus se payer le luxe de continuer à être drivé par Macky Sall tel que ça se passe. Et pour y mettre un terme, il n’y a pas dix mille solutions : il faut redonner une majorité forte et consolidée à l’opposition. Parce qu’en réalité, ce qui se passe, c’est qu’on a une surconcentration du pouvoir entre les mains d’un homme qui a déjà montré ses capacités en termes de reniement par rapport à tous ses engagements. Il faut que les Sénégalais soient conscients. Ils ont envie de savoir quel est le contenu des contrats pétroliers, comment le zircon est distribué au Sénégal, combien de tonnes d’or sont exportés à partir du pays, pourquoi il y a cette désorganisation terrible dans le Sud-Est de notre pays, pourquoi tout le monde est là-bas, pourquoi il y a cette insécurité grandissante ? Tous ces éléments, vous croyez que le régime va y apporter des réponses ? Non ! Mais en confiant l’Assemblée nationale à l’opposition, nous allons mettre sur table les vrais contrats, nous saurons effectivement qui a fait quoi, nous pouvons corriger les Agences qui ont été créées juste pour contenter des transhumants, nous pouvons les supprimer tous et de manière immédiate. Il y a trois (3) transhumants qui nous coûtent 1,1 milliard de F CFA. Vous imaginez ce qu’on peut faire avec cet argent. Ce sont des questions de sécurité nationale qui doivent amener les Sénégalais à faire confiance à l’opposition.
EnQuête
Où en est l’opposition dans les tractations en perspective des prochaines Législatives ?
Vous allez bien comprendre que je ne peux pas trop m’épancher pour le moment sur ce sujet. Nous sommes assez intelligents et suffisamment impliqués dans le devenir de notre pays pour comprendre l’urgence qu’il y a pour l’opposition d’aller ensemble. Des gens comme moi y travaillent déjà depuis plus de deux ans. On fera ce qu’il faudra pour que l’opposition se réunisse.
Certains opposants proposent Wade comme tête de liste nationale. Qu’en pensez-vous ?
Abdoulaye Wade a été l’un des plus grands en termes de lutte démocratique dans notre pays. Il a eu à exercer les plus hautes fonctions de notre pays. Mais l’échéancier d’aujourd’hui est une affaire de génération. C’est nous qui devrons nous montrer à la hauteur de nos responsabilités. Il faut que nous prouvions aux Sénégalais que nous sommes de vrais patriotes et que nous sommes soucieux de la transparence qui sied par rapport à la gestion des affaires publiques. Il faut que nous leur montrions que nous avons suffisamment de hauteur pour nous entendre sur l’intérêt du Sénégal et plus dans les calculs politiciens. Le challenge, c’est qu’il faut que les Sénégalais se rappellent ce que des gens dans l’opposition comme moi ont été capables de faire à l’Assemblée nationale, la qualité du travail et la rigueur que nous sommes capables d’apporter au Sénégal.
A vous entendre parler, on a comme l’impression que le choix de Wade comme tête de liste ne vous agréé pas.
Ce n’est pas que ça m’agrée ou pas. Le moment venu, je dirai les choses là où je devrais les dire. Dans ma compréhension des choses, Me Wade est arrivé à un niveau de responsabilité dans ce pays où vouloir que lui-même prenne en charge notre propre combat, c’est ne pas avoir du mérite personnel. Je crois que nous en avons suffisamment pour faire face à Macky Sall.
Votre compagnonnage avec Aïssata Tall Sall et Moussa Tine est annoncé. Qu’en est-il ?
Mettez tout cela dans la volonté que nous avons de construire l’unité de l’opposition.
Il paraît que vous avez été approché par Abdoul Mbaye ?
Je n’ai pas été approché par quelqu’un. C’est moi-même qui suis parti voir tout le monde. Je travaille sur ce qui est pour moi le plus urgent et le plus important. Nous sommes dans une compétition électorale. Si nous ne faisons pas attention, il y a la possibilité que Macky Sall recouvre sa majorité et nous savons déjà quel sera le résultat. Parce que l’Assemblée que nous avons aujourd’hui est aux antipodes des intérêts du Sénégal. C’est pour cela que j’ai pris mon bâton de pèlerin, j’ai discuté avec la majorité des acteurs de l’opposition et je continuerai toujours à le faire pour que nous puissions nous retrouver autour de l’essentiel. Nous devons converger vers ce qui réunit le maximum de leaders politiques. Nous devons nous réunir pour travailler pour les Sénégalais. Je continuerai jusqu’à la dernière minute à faire ce qu’il faut pour avoir la liste la plus crédible pour faire face à la mouvance présidentielle.
Vous avez récemment exclu la députée Ndèye Dieynaba Ndiaye de votre parti. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Vous croyez que le Fsd/Bj a le temps de s’occuper des préoccupations pécuniaires et individuelles ? Non ! On se bat pour le Sénégal et pour des valeurs. Le pays est en danger. Nous avons des menaces sérieuses sur l’utilisation des ressources de la République. Notre taux d’endettement a atteint des limites vertigineuses. Ce qui risque de se passer, c’est que lorsqu’il y aura alternance, les pouvoirs qui viendront n’auront aucun volant pour pouvoir conduire le pays. Parce que ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ont déjà tout pris. Quand on compare la situation du Sénégal aux pays qui sont vraiment émergents et bien portants, il nous reste encore onze marches à gravir. Il nous faut voir quoi faire de toutes ces problématiques. C’est cela le plus important pour nous.
Vous venez de publier votre livre ‘’Sénégal, Thérapie pour un pays blessé’’. Pouvez-vous nous en dire plus par rapport aux thématiques qui y sont développées ?
L’ouvrage part d’une pratique de la société sénégalaise sur plusieurs années et d’une analyse profonde que mon expérience d’homme d’Etat et d’acteur politique m’ont permis d’avoir. C’est une vision sociopolitique du Sénégal. Je pense qu’un acteur politique n’est pas seulement celui qui récolte des voix. C’est aussi celui qui est capable de réfléchir sur sa société et d’en faire un diagnostic réel et sincère. Mais surtout de donner ensuite des pistes de réflexions et des analyses qui peuvent aider l’ensemble de la société à se repositionner. Aujourd’hui, je suis très inquiet de la situation de la société sénégalaise, surtout en termes de perte de valeur, et de favoritisme. C’est pourquoi j’utilise beaucoup de concepts dans mon analyse sociopolitique. Je parle d’une société qui fait dans le mauvais compromis. Nous constatons au Sénégal que lorsque nous devons régler une situation, nous ne le faisons pas jusqu’au fond des choses. Nous sommes une société qui aime la facilité et que tous les jeunes décrient aujourd’hui. C’est cette société qui fait qu’au sommet de l’Etat comme au niveau le plus élémentaire, les gens n’assument pas leurs responsabilités souvent.
Est-ce que la classe politique n’a pas une responsabilité par rapport à cette situation ?
Bien évidemment ! Quand on parle de première responsabilité, on parle d’abord de celle des leaders. J’ai dit que je suis partie de cette analyse pour dire qu’au Sénégal, nous faisons face à quatre périls. Le premier, c’est la démission des élites, qu’elles soient politiques, religieuses ou intellectuelles. Le second, c’est l’indifférence des masses sénégalaises parce qu’elles ont été tellement brimées, tellement d’espoirs déçus, des attentes qui ne se sont jamais réalisés, que les Sénégalais ont fini par baisser les bras. Le troisième, c’est la cupidité des acteurs politiques. L’ensemble des déficits que nous enregistrons dans notre pays, c’est le fait de la politique. En dernier ressort, nous avons la lâcheté des transhumants et des situationnistes.
Vous parlez de thérapie. Est-ce un projet alternatif ?
Mais absolument ! Parce qu’après avoir fait un diagnostic réel d’une société, je donne des pistes de solution sur chaque problème que j’évoque. Par exemple quand j’analyse l’Assemblée nationale, je mets en exergue le type de Parlement que nous devrions avoir. Je suis allé plus loin en disant qu’aux Etats-Unis, nous avons un élu pour 578 000 Américains alors qu’au Sénégal, nous avons un élu pour un peu moins de 80 000 personnes. Le nombre d’élus ne signifie pas la qualité d’une représentation nationale. J’ai parlé du gouvernement, des réformes de l’Administration territoriale, de quel type de décentralisation il nous faut. J’ai analysé notre politique étrangère à l’aune de ce que nous faisons par rapport aux ratés que nous enregistrons. Je dis souvent que le Sénégal sous l’ère Macky Sall, s’est signalé par des déroutes extraordinaires. Chaque fois que nous avons été en compétition à l’échelle sous régional ou régional, on s’est fait laminé. L’énergie qu’on montre souvent pour brimer les Sénégalais en niant les libertés individuelles à l’intérieur de notre pays, on aurait dû la déployer quand il faut maintenir notre posture au niveau de l’Uemoa. Je ne pense pas que la Côte d’Ivoire lâchera la gouvernance de la Bceao alors que ceux qui avaient donné cette institution financière à ce pays avaient donné l’Uemoa au Sénégal. Je pense que c’est sur ces dossiers qu’on attend le président de la République.
N’êtes-vous pas comptable de cette situation, car vous étiez avec le pouvoir ?
Chacun d’entre nous assumera nécessairement ses responsabilités. L’objet aujourd’hui, ce n’est pas de dire : tu es comptable ou pas. L’urgence, c’est qu’on arrête et qu’on change de direction. Qu’on soit comptable ou pas, ça ne nous apportera rien. La réalité est que nous constatons que nous sommes dans un pays qui va très mal. Pour ce faire, il faut qu’on aille loin. Ce qui est appelé le Plan Sénégal émergent est dangereux pour notre pays, c’est une hérésie en matière de développement parce que les coûts sont prohibitifs et ça ne cadre pas avec nos priorités. Quand on compare le PSE avec des projets qui sont en cours sur le continent africain, on est effaré par les différences de prix qui existent et ce n’est pas acceptable. Moi, j’ai pris mes responsabilités. En écrivant, j’ai assumé ce que j’ai dit dans le livre. Ça fait plus d’un mois que ce livre est sorti et j’ai dit dans beaucoup de chapitres que je les mets au défi de prouver le contraire de ce que j’avance. Lorsqu’un intellectuel s’engage et avance des faits qui sont graves pour notre pays et que ses vis-à-vis ne réagissent pas sur le fond de ce qu’il dit, ça pose problème. C’est pour cela que j’ai dit que l’existence de Macky Sall, son prolongement à la tête de l’Etat est dangereux pour notre pays. C’est une menace grave pour la sécurité du citoyen. C’est pourquoi à l’aune des élections législatives, nous nous mobilisons pour faire en sorte de diminuer, le maximum possible, la concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme.
En quoi faisant ?
En créant les conditions d’une unité de l’opposition.
Est-ce que cela est possible ?
Aujourd’hui, c’est très possible. Parce que tout le monde rame dans la même direction. Nous avons intérêt à le faire si nous sentons véritablement l’urgence qu’il y a de corriger les déficits et les dérives graves que nous enregistrons. Ce n’est pas ça l’esprit de 2012. Ce n’est pas pour ça qu’on s’est battu.
Au Sénégal, on a l’impression que les alternances se suivent et se ressemblent.
C’est cela que je dénonce dans cet ouvrage. Nous sommes dans un processus dynamique. Ce que nous voulons faire ne se fera pas ex-nihilo. Nous ne pouvons le faire qu’avec les Sénégalais. Par conséquent, il appartient à la classe politique et à la société, chacun en ce qui le concerne, de faire son introspection. Le rendez-vous du début des indépendances a été raté en 1962 pour des questions de préséances. Mamadou Dia s’est retrouvé en prison pour dix ans. D’autres rendez-vous ont été ratés avec l’avènement de Cheikh Anta Diop. En 1981, lorsqu’Abdou Diouf nous disait que plus rien ne serait comme avant, c’était un rendez-vous raté car tout a été pire qu’avant. Lorsqu’Abdoulaye Wade nous disait en 2000 qu’il voulait des changements profonds dans le pays et que tout le monde devait se mettre au travail, il y croyait. Il y a des artifices, des gens qui sont là pour tirer le pays vers le bas. Ceux qui ont coulé la politique d’Abdou Diouf, ont fini par avoir raison d’Abdoulaye Wade et ce sont eux qui tournent autour de Macky Sall. Aujourd’hui, ils rangent aux oubliettes la traque des biens mal acquis, la gestion sobre et vertueuse et prônent le parti avant la patrie. C’est sur ces questions que nous devons réfléchir. Parce que la question du développement du Sénégal n’est pas seulement liée aux acteurs politiques. C’est une question nationale.
Quand vous parlez de gens qui tirent le pays vers le bas, vous faites allusion à qui ?
Je fais allusion à tous les transhumants de tous les bords. De mon point de vue, les transhumants sont de trois ordres. Il y a ceux qui, à chaque alternance, quittent l’ancienne mouvance pour regagner la nouvelle. Ce qui fait très mal, c’est qu’il y a aussi des gens qui nous ont engagés dans les Assises nationales, qui se battaient pour les libertés, la démocratie et le développement. Il faut leur poser la question : qu’est-ce qu’ils font aujourd’hui auprès de Macky Sall lorsqu’il est devenu le champion du ‘’wax waxeet’’ (reniement) ? Qu’est-ce qu’ils font auprès de Macky Sall lorsqu’il se spécialise en matière de négation des libertés individuelles ? Qu’est-ce qu’ils font auprès de lui à l’aune de ce qu’ils prétendaient dans les Assises nationales lorsque le Train express régional existe et qu’on nous demande de financer Ila Touba pour les coûts exorbitants prohibitifs que nous avons ? Le troisième, c’est la transhumance des intellectuels. Nombre d’entre eux se sont tus ; on ne les entend plus. Certains aujourd’hui sont devenus les porte-étendards de cette pratique politique qui est contraire aux ambitions que portaient les Assises nationales. Il faut qu’on ait le courage de les désigner du doigt. Dans le pays, il y a eu une polémique énorme autour de la transparence sur le pétrole et les ressources minières. Pendant ce temps, il y a un organisme qui s’occupe de cela et qui est financé dans le budget national à hauteur de 120 millions. Quel est l’utilité de financer un tel montant sur plusieurs années si on n’est pas capable d’avoir de la transparence dans les industries extractives. Quelle est l’utilité pour un pays comme le nôtre, qui vit de sérieuses menaces en termes de démocratie ? Le cas de Khalifa Sall est là. Un pays qui a une Télévision nationale qui n’accepte que le parti au pouvoir. Aucun leader de l’opposition ne peut espérer être invité alors que nous avons un organe de contrôle qui est budgétisé à 400 millions de F CFA. Il sert à quoi ? Voici les bonnes questions qu’il faut qu’on se pose dans notre pays.
Pensez-vous qu’une cohabitation à l’Assemblée nationale puisse participer à régler tout cela ?
Évidemment ! C’est la voie royale. Aujourd’hui, le Sénégal ne peut plus se payer le luxe de continuer à être drivé par Macky Sall tel que ça se passe. Et pour y mettre un terme, il n’y a pas dix mille solutions : il faut redonner une majorité forte et consolidée à l’opposition. Parce qu’en réalité, ce qui se passe, c’est qu’on a une surconcentration du pouvoir entre les mains d’un homme qui a déjà montré ses capacités en termes de reniement par rapport à tous ses engagements. Il faut que les Sénégalais soient conscients. Ils ont envie de savoir quel est le contenu des contrats pétroliers, comment le zircon est distribué au Sénégal, combien de tonnes d’or sont exportés à partir du pays, pourquoi il y a cette désorganisation terrible dans le Sud-Est de notre pays, pourquoi tout le monde est là-bas, pourquoi il y a cette insécurité grandissante ? Tous ces éléments, vous croyez que le régime va y apporter des réponses ? Non ! Mais en confiant l’Assemblée nationale à l’opposition, nous allons mettre sur table les vrais contrats, nous saurons effectivement qui a fait quoi, nous pouvons corriger les Agences qui ont été créées juste pour contenter des transhumants, nous pouvons les supprimer tous et de manière immédiate. Il y a trois (3) transhumants qui nous coûtent 1,1 milliard de F CFA. Vous imaginez ce qu’on peut faire avec cet argent. Ce sont des questions de sécurité nationale qui doivent amener les Sénégalais à faire confiance à l’opposition.
EnQuête