WalfQuotidien: Depuis des années vous êtes sur la même longueur d’ondes que le Pds sur pratiquement toutes les questions politiques. Pourquoi avoir pris la décision d’aller au dialogue sans votre allié naturel, le Pds ?
Mamadou DIOP Decroix : Le Pds et Aj ont été, pour l’essentiel, sur la même longueur d’ondes sur les questions démocratiques c’est-à-dire l’état des libertés et la fiabilité des processus électoraux. Et c’est un vieux compagnonnage comme vous le dites, mais fondé sur le respect et la considération mutuelle. Au premier séjour en prison du Président Wade en août 1985, nous y étions ensemble avec d’autres leaders et militants de l’opposition parce que nous organisions une manif contre l’apartheid et pour la libération de Nelson Mandela. Donc ici, c’est la liberté de manifestation qui était attaquée. En 1988, lorsque Wade a été de nouveau envoyé en prison suite à des élections contestées, nous avons fait partie de ceux qui ont organisé la résistance dehors pendant trois mois avec beaucoup de nos militants arrêtés et envoyés en prison. Vous voyez que dans ce cas-ci il s’agit de la question électorale. Mais en 1991, lorsque le Pds a décidé de rentrer dans le gouvernement du Président Diouf, nous avions en ce qui nous concerne, décidé de décliner l’offre de Diouf tout en respectant la position du Président Wade. Vous voyez donc qu’ici nos positions ont divergé parce qu’il s’agissait d’un autre type de question, l’entrée dans un gouvernement ou pas. Il est vrai que cette expérience de gouvernement n’a pas duré puisque dès 1992 Wade nous a de nouveau rejoint dans l’opposition si bien qu’au lendemain de la présidentielle de 1993, nous avons ensemble mis en place la CFD (Coordination des forces de l’opposition) pour contester les résultats et organiser la résistance. Comme vous le constatez, c’est encore des batailles démocratiques qui sont à l’ordre du jour. D’ailleurs, lorsqu’au lendemain des législatives de 1993, le Président Diouf nous a proposé de rentrer dans son gouvernement dit d’union nationale sans le Pds, nous avons décliné l’offre au motif qu’un gouvernement sans le Pds, principale force politique de l’opposition, n’en était pas un.
Mais il y a longtemps tout cela
Je passe sur les péripéties de 1993 et 1994 pour évoquer le retour du Pds au gouvernement en 1995. A l’époque, le Président Wade avait insisté pour que nous y allions ensemble mais tout en respectant le choix du Pds, nous avons décidé de rester dans l’opposition. Nous lui avons dit : «Laissez-nous garder la baraque». Ceci a beaucoup facilité les choses par la suite parce que les ponts n’ont jamais été rompus. C’est ainsi qu’en 1998, lorsque le Pds nous a retrouvés dans l’opposition, il a été très facile de mettre en place la coalition Alternance 2000 pour porter la candidature de Maître Abdoulaye Wade à la présidentielle de 2000 qu’il a remportée. Ce détour m’a semblé utile pour faire voir que si le compagnonnage date de longtemps, il n’a pas été toujours marqué par l’unanimisme. Donc rien n’est nouveau sur ce plan-là. Plus récemment, nous n’avons pas eu la même position sur l’élection présidentielle. Pourtant pendant 7 ans, nous nous sommes battus ensemble contre la confiscation des libertés, l’emprisonnement de Karim Wade, d’Oumar Sarr, de Maître Amadou Sall et de bien d’autres responsables et militants du Pds. Pour en finir avec cette question, à la réunion du Front, le Pds avait annoncé sa participation à la rencontre. C’est tard dans la nuit que nous avons reçu le communiqué du Pds disant qu’il ne prendrait pas part à la rencontre. Nous respectons cette position et je pense qu’il nous faut discuter entre nous pour harmoniser les positions.
«Le Pds avait annoncé sa participation à la rencontre. C’est tard dans la nuit que nous avons reçu le communiqué du Pds disant qu’il ne prendrait pas part à la rencontre. Nous respectons cette position et je pense qu’il nous faut discuter entre nous pour harmoniser les positions.»
N’avez-vous pas l’impression d’avoir trahi la confiance de Wade ?
Ce n’est pas un problème de confiance ou de défiance. Même dans une famille, les différences d’appréciation existent. Dans un parti politique, les différences internes existent à plus forte raison entre deux (2) partis politiques indépendants et souverains.
Quel est, aujourd’hui, l’état de votre compagnonnage avec le Pds?
J’ai rencontré le Président Wade il y a quelques jours et nous avons échangé pendant deux heures d’affilée. Le Président Abdoulaye Wade comprend parfaitement tout ce que je vous explique ici.
Pensez-vous que les conditions avancées par Abdoulaye Wade sont fondées ?
Comme toujours, nous respectons la position du Pds comme celles que d’autres peuvent prendre. Nous devons juste travailler à les harmoniser. Selon moi il n’y a absolument pas le feu. L’opposition a intérêt à rester solidement unie ce dont nos adversaires ne veulent absolument pas.
N’avez-vous pas renoncé à vos convictions, si l’on sait que vos griefs contre le pouvoir sont restés les mêmes ?
Absolument pas ! Il est plutôt question d’aller à ces concertations pour réaffirmer précisément ces convictions et les défendre dès lors qu’elles ont permis des élections sincères non sérieusement contestées pendant plus de 20 ans.
Les quatre candidats malheureux à la dernière présidentielle ont décliné cet appel, parce qu’ils considèrent que ce dialogue est sans objet, puisque Macky Sall l’a vidé de sa quintessence en supprimant de manière unilatérale le poste de Premier ministre. Etes-vous de leur avis ?
Je vous corrige. Tous les candidats sont du Front de résistance nationale qui a dépêché son coordonnateur à la rencontre sur la concertation. D’ailleurs, trois des quatre candidats étaient présents à cette rencontre où nous avons désigné Moctar Sourang. Revoyez donc votre perception.
Cheikh Tidiane Seck, le président de la Fncl, affirme que Macky Sall cherche à avoir l’onction de l’opposition pour reporter les élections locales et législatives. Etes-vous de cet avis ?
Oui, c’est un objectif parmi d’autres clairement affirmés par la mouvance présidentielle.
«Nous respectons la position du Pds comme celles que d’autres peuvent prendre. Nous devons juste travailler à les harmoniser. L’opposition a intérêt à rester solidement unie ce dont nos adversaires ne veulent absolument pas»
Qu’attendez-vous de ce dialogue ?
Le retour à des règles consensuelles de dévolution démocratique et pacifique du pouvoir.
Pourtant Macky Sall s’est toujours montré inflexible, pensez-vous pouvoir infléchir sa position ?
Nous avons nos positions. Nous les défendrons lorsque les conditions seront réunies pour aller au fond des choses. Ce sera alors le moment d’apprécier la flexibilité ou l’inflexibilité des uns et des autres.
Si le dialogue aboutit à un partage de responsabilités gouvernementales, Aj cracherait-elle sur un poste de ministre ?
Un partage de responsabilités gouvernementales n’est pas inscrit dans les termes de référence de la concertation sans compter que notre parti, comme par le passé, ne s’inscrit pas dans ce type de logique.
D’aucuns se demandent si, dans votre parti, il y a quelqu’un d’autre que Decroix. Que leur répondez-vous ?
Les télévisions et les réseaux sociaux ont montré à suffisance notre congrès d’investiture de décembre dernier. Allez sur le Net pour vérifier. Au moins trois mille personnes ont pris part à la cérémonie, venues des quarante cinq départements du pays et de l’étranger. J’ai d’ailleurs constaté que depuis décembre, ces propos sont devenus rares dans le discours de nos adversaires. Mais nous sommes un parti dans l’opposition face à un régime qui vient de virer deux fonctionnaires qui ont soutenu Madické Niang à la dernière élection et a promu ceux qui ont soutenu Macky Sall. Certains de nos responsables qui prenaient des positions publiques en ont subi les conséquences il y a quelques années et je les avais prévenus. Instruits de tous ces phénomènes, nous avons pris les dispositions idoines pour mettre à l’abri nombre de responsables qui ne prennent plus la parole en public, qui ne s’affichent plus. Vous, vous ne savez pas comment ça se passe avec ceux d’en face mais nous, nous savons comment ça se passe.
A la dernière Présidentielle, vous avez décidé de soutenir Idrissa Seck. Avez-vous des nouvelles de lui?
Nous étions ensemble à la réunion de mercredi dernier donc il y a une semaine.