Dakaractu - Nous avons enregistré dernièrement des pluies qui ont frappé tout le pays, particulièrement certaines zones de la banlieue Dakaroise. Êtes-vous bien convaincu des efforts surtout provenant du plan décennal tant chanté par l'État du Sénégal ?
Sur la question des inondations, la première chose que je voudrais faire quand même c'est de manifester toute notre compassion à ces familles éplorées parce que ces inondations ont causé des morts; on parle de 6 victimes. Mais au delà de tout cela, je voudrais également manifester tout notre soutien et avoir une forte pensée à l'égard de toutes ces familles qui vivent dans le désarroi par l'échec d'un programme tant annoncé. Ce programme qui fait tant de campagne politicienne. C'est déplorable que 8 après ces promesses, on en soit encore là. Surtout qu'autant de ressources publiques comme ces 750 voire 766 milliards de nos francs ont été annoncés pour ces programmes là.
Si on interroge l'histoire, le président Macky Sall a été élu en mars 2012. Quand les inondations de la même année sont survenues, on se rappelle le jour où il est revenu de voyage, il a fait savoir que c'était une urgence de se statuer sur cette impérieuse question. D'ailleurs, Y'en a marre l'avait même interpellé de même que son gouvernement sur cette préoccupation des sénégalais. On se rappelle également qu'il avait tout de suite supprimé le Sénat et en même temps, annoncé de grands programmes comme celui qui, sur 10 ans serait en mesure de sortir les sénégalais des "eaux pluviales".
Le président de la République, quelques années plus tard est revenu, en tenant campagne, pour dire que c'est donc un problème réglé au bout de 4 ans. Tout le monde a vu les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. Nous avons tous constaté qu'il a fallu d'un week-end de pluie, pour voir le pays, nager sous les eaux et que les sénégalais se rendent compte que c'est de la poudre aux yeux.
Aujourd'hui, quand on voit certains partisans de Macky Sall dire oui, "c'est un programme sur 10 ans et qu'il reste encore un an et demi, ma foi, sachez que ce qui n'a pas pu se faire en 8 ans ne pourrait l'être en moins de 2 ans en toute logique.
Dans un État sérieux, cela devrait occasionner la démission du gouvernement. Si on avait une assemblée digne de ce nom, une vraie commission d'enquête parlementaire serait donc engagée pour situer les responsabilités. Quitte à apporter les sanctions qu'il faut. Nous, en tant que mouvement, nous engageons les sénégalais à s'arrêter sur cette question là parce qu'au delà des inondations, on a vu qu'il y'a plusieurs victimes de ces inondations. Il faudra également s'attarder sur ces questions là parce que c'est autant de ressources publiques qui sont dans un programme et aujourd'hui, on veut nous faire savoir que le gros du budget n'a pas été injecté. C'est aussi grave, tout ça parce que ce programme est une priorité capitale car occasionnant la suppression d'une institution de la République. Cela renseigne sur la caractère urgent de ce programme là même si aujourd'hui au bout de 8 ans et demi, on nous sert ces réponses là. Macky Sall a bien des comptes à rendre aux sénégalais.
Dakaractu - Comment menez-vous cette chaîne de solidarité donc vous avez toujours fait montre auprès des populations ?
Il faut rappeler qu'en 2012 lors des inondations, le mouvement Y'en a marre avait non seulement interpellé Macky Sall pour lui dire que l'urgence s'est signalée d'elle-même et qu'il fallait poser des actes forts en prenant en charge cette question. Mais Y'en a marre avait engagé les sénégalais dans une chaîne de solidarité. On se rappelle qu'on avait récupéré des hôpitaux comme Philippe Maguilène Senghor, comme l'hôpital de Ouakam dont le mur était effondré, la gendarmerie de la foire, de même que dans la banlieue de Dakar. On avait appelé à une mobilisation de volontaires pour aider les familles dont les maisons étaient effondrées. De 2012 à aujourd'hui, Y'en a marre a mis en place un réseau au niveau national avec des représentants un peu partout dans le monde à travers des esprits. Aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, partout où il y'a les inondations, le mouvement y'en a marre est à pied d'oeuvre même si, soulignons le, nous n'avons pas les moyens de l'Etat. C'est ce dernier qui a les moyens pour faire face à ces problèmes. Mais nous en tant que citoyens, notre rôle c'est d'assister notre prochain, lui apporter notre énergie. C'est ce qui est en train d'être fait un peu partout au sénégal par les y'en a marristes.
Dakaractu - Quels sont, selon Y'en à marre, les points qui bloquent sur la gestion des inondations ?
Le problème qui bloque en réalité sur la gestion de ces inondations est celui qui bloque globalement sur différents grands programmes qui sont annoncés en grandes pompes par le régime de Macky sall et qui ne sont pas exécutés de la façon dont ils sont été annoncés. je prends juste quelques exemples : on a annoncé le conseil des ministres décentralisé. Macky Sall a fait le tour du Sénégal en annonçant des milliards pour régler des problèmes spécifiques à certaines régions ou localités de ce pays. Qu'est ce qu'est devenu tout cela dans la pratique?
Le président a annoncé ici, et rappelez-vous, c'était une aspiration populaire, la demande sur la question de la réforme des institutions. Nous avons vu qu'une commission a été créée autour de Amadou Moctar Mbow qui a d'ailleurs fait un travail extraordinaire avec son équipe en faisant un rapport avec des recommandations claires en tenant compte des préoccupations des sénégalais et leurs exigences sur la question de nos institutions. Qu'est ce que c'est devenu en termes d'application?
Pour aller encore plus loin et notamment parler de la question spécifique du foncier qui a alimenté les débats ces derniers jours, il faudra également interroger la question de la commission sur la réforme foncière. C'est un vrai problème au sénégal. Macky Sall avait annoncé qu'il allait avoir un audit du foncier et une commission qui va y travailler et apporter des réponses qui vont porter sur le foncier.
Nous avons vu Me Doudou Ndoye qui a travaillé là-dessus de même que le Pr Moustapha Sourang.
Il y'a eu des conclusions et des recommandations mais on n'a rien vu de ce qui a été appliqué dans tout ça. Au delà du spectacle et du slogan et du tape-à-l'oeil, rien de sérieux n'a été fait. Il y'a énormément d'exemples qui peuvent être cités et qui montrent les limites du régime. Tant de slogans, de chiffres avancés et de promesses non tenues. Au bout du compte, que retenir de tout ça? C'est un problème global qui se manifeste à plusieurs niveaux de l'exécution du programme de Macky Sall. Ce qui se voit aujourd'hui sur la question des inondations.
Quand on voit des gens, comme celui à qui on a confié l'office national de l'assainissement du Sénégal qui, pour pretexter et justifier ce qui se passe, nous dit qu'il y'a trop de naissances et faudrait penser à les limiter. Y'a pas pire insulte qu'on puisse faire à un peuple.
Dakaractu - Le dérèglement climatique est évoqué surtout du côté du pouvoir. Est-ce un argument valable pour le régime?
Parler de dérèglement climatique comme cause de ces inondations c'est à la limite insulter l'intelligence des sénégalais. C'est une absurdité manifeste. Tout le monde sait qu'ailleurs dans le monde, les dérèglement climatiques ont occasionné parfois la montée du niveau de la mer qui se déverse après sur des localités, des villes et créent parfois des inondations.
Ici, il ne s'agit guère de cela, il s'agit tout simplement de cette pluie qui s'est déversé sur les habitations avec un système d'assainissement problématique. C'est pas quelque chose de nouveau ni de particulier. Le régime est venu, trouvant ce problème qu'ils ont promis de régler de manière structurelle en annonçant des programmes. Aujourd'hui l'échec est là car, ils ne sont pas en mesure de régler ces difficultés. Ils nous parlent de dérèglement climatique. C'est vraiment absurde et pas recevable. La cause c'est l'échec d'un programme, d'une politique et d'une mauvaise gouvernance et de la prise en charge des urgences et préoccupations des sénégalais.
Dakaractu - Pensez-vous que la lumière sera faite sur le déroulement et l'utilisation des 750 milliards pour la gestion des inondations?
En fait, l'initiative pour que la lumière soit faite sur cette affaire concernant les 750 milliards, ne viendra pas du gouvernement. Il ne faut pas s'attendre à ce qu'elle vienne du gouvernement encore moins du parlement. Elle viendra du combat citoyen. C'est le peuple qui doit être exigent sur cette question pour que le président rende compte sur ce qui a été fait de cet argent. Où est ce que nous en sommes? Qu'est ce qui a été concrètement fait avec cet argent? Et attendez-vous à voir le mouvement y'en a marre, s'engager dans les jours à venir pour amener le gouvernement à rendre compte de tout ça.
Dakaractu - On vous reproche souvent d'être spectateurs de la réalité actuelle. C'est à dire, que vous êtes passifs face aux agissement de Macky Sall et de son gouvernement alors qu'en 2011, vous avez été au front avec lui.
2011-2012, n'est pas 2020 ni 2021. Il faut se rendre à l'évidence sur ça. En 2012, nous étions dans un contexte propre à lui-même et là, on en est à un autre.
En tant que mouvement citoyen, y'en a marre n'a jamais été dévié de sa trajectoire. Il a toujours été là pour la prise en charge des préoccupations des sénégalais et continuera naturellement à le faire. Maintenant, chaque contexte a ses réalités.
Aujourd'hui, nous sommes face au défi de la reddition des comptes avec cette question des 750 milliards et même de la gouvernance de nos ressources. Il faudra veiller aussi, dans un futur proche, à ces vieux démons du 3e mandat qui guettent notre pays. On voit d'ailleurs dans la sous région avec le "syndicat des chefs d'État" qui se passent le mot. Nous avons vu Ouattara sur 44 candidatures, comment il est parvenu à n'en retenir que 4 pour aller facilement à le reconquête du pouvoir et aussi valider le troisième mandat.
Donc, comme le mouvement y'en a marre s'est toujours voulu présent pour se battre aux côtés du peuple sénégalais pour la préservation de nos acquis démocratiques, avec cette question du troisième mandat, nous serons là.
Dakaractu - Que pouvons-nous attendre du mouvement y'en a marre dans ce contexte politique que nous traversons?
Depuis que Macky Sall est arrivé au pouvoir, on a très clairement fait le choix de ne pas participer au pouvoir même si on a eu l'opportunité de le faire car, il faut s'en rappeler, d'autres l'ont fait. Nous on a choisi de rester le mouvement citoyen que nous sommes. Un an après, Y'en a Marre a déclenché un slogan "Digué bor là, Gor ca Wax Jà" pour rappeler à Macky Sall ses promesses électorales parce qu'au bout d'un an, ce qu'on voyait n'augurait pas de bonnes choses. D'ailleurs c'est les sénégalais eux-mêmes qui nous ont dit que c'était très tôt et qu'il fallait attendre un peu et donner du temps au président. Nous étions sûrs qu'il fallait être là pour rappeler à Macky Sall ses engagements.
Nous avons été là aussi sur le référendum. Aujourd'hui, sur beaucoup de questions on est en train de vivre les contrecoups et les conséquences de ce projet de réformes qui avait été proposé par le régime Sall. Nous, on avait tout de suite dit, que cette forme ne répondait pas aux aspirations populaires ni aux attentes de 2012 qui ont vu le président porté symboliquement à la magistrature suprême. Pendant le référendum, on avait très tôt alerté en invitant les sénégalais à voter NON pour que Macky Sall retire cette proposition pour ensuite ouvrir des discussion qui aboutiront à des réformes répondant aux attentes du peuple.
Malgré le bon score inédit du NON sur un référendum organisé par le président de la République, on est aujourd'hui en train de vivre les conséquences sur beaucoup de choses. Vous vous rappelez de cette grande mobilisation qu'on avait organisée à la place de l'Obélisque le 7 Avril 2016 pour dire "Lu Eup Turù". À l'époque, sur plus d'une année, personne, même la classe politique, à chaque fois qu'elle déposait des demandes de manifestation, un refus systématique s'en suivait. Tantôt c'était l'emprisonnement des opposants politiques, tantot la répression etc.
Y'en a Marre s'est dit qu'il était l'heure de se lever et de poser des acts de refus. C'est ainsi que cette grande mobilisation s'est d'ailleurs tenue, la plus grande d'ailleurs à l'époque. On a également travaillé sur ce qu'on a appelé "Yoonà Ngui JeenG" en dénonçant cette justice qui profite au plus fort au détriment des plus faibles. On nous a également vu sur la question du parrainage. Moi j'ai dormi à la police de même que plusieurs autres Y'en a Marristes.
Certains ont été arrêtés et torturés dans les commissariats. On a ainsi estimé qu'il fallait manifester et dire Non à ce projet de loi sur le parrainage qui devait passer à l'assemblée nationale et qui ne faisait pas l'objet d'un consensus. Il faut le rappeler, dans l'esprit, c'est positif, mais dans l'applicabilité il y'a d'énormes problèmes à dénoncer. Yen a Marre est toujours resté le même sur ces problématiques.
Mais aussi, limiter l'action de Y'en a marre à que de la contestation serait aussi mal nous connaître. Nous sommes aussi un mouvement qui appelle à la citoyenneté. Avec le concept de NTS qui est aujourd'hui un slogan utilisé partout pour identifier ce nouveau type de sénégalais face à la préservation de son environnement, du comportement citoyen etc. On a travaillé sur le réaménagement d'espaces de vie, on a aussi à travailler pour les conditions d'apprentissage des enfants à l'école. C'est vrai que ce sont des actes qui attirent moins les médias, mais qui ont un impact social considérable. Donc y'en a marre continue d'exister et de travailler. Il y'a toujours ce dynamisme au sein du mouvement. Fadel Barro est parti, je suis venu, d'autres membres comme Malal, Thiat etc qui ont été remplacés par de jeunes énergies qui insufflent de nouvelles dynamiques au mouvement.
Dakaractu - Comment appréciez-vous le comportement du président par rapport à 2012?
Pour faire une critique objective du règne de Macky Sall depuis 8 ans et demi de pouvoir, il faut faire un tour sur l'esprit qui a prévalu quand les sénégalais ont décidé à le porter au pouvoir et surtout les promesses de campagne que Macky avait faites. La première chose à souligner, c'est ce slogan qui était utilisé à l'époque : la gouvernance sobre et vertueuse. Est ce que, aujourd'hui, Macky Sall peut regarder les sénégalais droit dans les yeux et leur dire que sa gouvernance est sobre et vertueuse? Evidemment Non!
Deuxième chose, ce deuxième slogan qui a fait le tour du monde: je veux dire la patrie avant le parti. On voyait qu'il était question que les ressources publiques servent à régler les problèmes des sénégalais plutôt que d'enrichir une élite politicienne. En pratique on voit non seulement une forte prédominance de la famille présidentielle dans la gestion des ressources publiques avec la première Dame, la belle famille, avec cette histoire de notre pétrole, cette nébuleuse qui jusque là, n'est pas encore éclairée.
Récemment avec cette histoire des gazelles oryx avec cet homme politique qui profite de sa situation de ministre pour profiter de la richesse de tout un pays. On peut en citer énormément, ces agissements qui n'honorent pas un pays qui se dit démocratique et marchant dans une transparence indiscutable. Entre le discours qui est annoncé et dans l'exercice du pouvoir que Macky Sall et son système ont posé, il y'a la mer à boire. Lancé par cet élan populaire, le président Macky Sall quand il a activé la traque des biens mal acquis, il avait malgré tout carte blanche parce que pour le peuple, ce qui était important c'est que ce président nouvellement élu pose des actes de bonnes pratiques.
On s'est par la suite rendu compte malheureusement que cette traque a été sélective car casant certains du côté du pouvoir pour les laver à grande eau.
Nous avons vu également ce même Macky Sall, malheureusement fouler au pied un principe fondamental et qui a opposé le sénégalais à l'élite, c'est à dire la question de la transhumance. Les gens avaient pensé naïvement que Macky Sall allait réhabiliter l'homme politique et poser des actes qui fassent revenir la morale en réalité. Il a malheureusement cherché à faire l'apologie de la transhumance. Nous pouvons également citer, parmi les regrets, la réforme des institutions qui n'était que promesse. Comme je l'ai souligné plus haut, la réforme des institutions reste encore un vieux rêve que les sénégalais caressent. On a aussi pensé que l'arrivée de Macky Sall allait consacrer une dépolitisation de l'administration publique, mais malheureusement on voit nettement que c'est pas le cas. Les droits et libertés, n'en parlons même pas.
Dakaractu - Y'en a marre croit-il que le président validera un 3e mandat?
Le mandat présidentiel appartient au peuple sénégalais et c'est le peuple même de façon souveraine à travers sa constitution a écrit clairement que nul ne peut prétendre à deux mandats présidentiels successifs. De plus, sur le plan de la morale il est établi qu'aucun politicien, qu'il soit Macky Sall ou qui que ce soit, ne peut dire au sénégalais qu'il va faire un troisième mandat. Après tout ce qu'il y'a eu en 2011, après tout le combat mené contre le troisième candidature de Abdoulaye Wade, Macky Sall, vu sa posture de l'époque, ne peut pas venir aujourd'hui nous vendre une idée de 3e mandat, c'est pas possible. Nous Y'en a Marre, on n'en parle plus. Nous attendons qu'un acte soit posé dans ce sens pour, en retour répondre par des actes. C'est vrai qu'il y'a un faisceaux d'indices avec le cas de Alpha Condé, ou encore celui de Ouattara qui nous interpellent d'ailleurs en tant qu Africains. Mais il est important que tous les peuples de la sous région puissent quand même, main dans la main, se battre contre ce phénomène de 3e mandat. Pour Macky Sall, j'espère juste qu'il n'osera pas l'envisager car ce sera une grosse erreur de sa part. Ce que les sénégalais n'ont pas accepté pour Abdoulaye Wade, Macky ne pourrait l'avoir parce que c'est une question de principe.