En a-t-on vraiment fini avec Jammeh ?

Rédigé par Dakarposte le Lundi 5 Décembre 2016 à 17:03 modifié le Lundi 5 Décembre 2016 16:01

Le scénario est trop lisse pour être vrai ! Yaya Jammeh qui promettait de réaliser son plus gros raz de marrée électoral, a été littéralement battu par un illustre inconnu. Adama Barrow – c’est son nom - n’aura donc fait qu’une bouchée de l’intraitable boucher de Banjul.  Surgi de nulle part il y a à peine deux mois, cet ancien garde du corps reconverti dans l’immobilier a recueilli en effet 45,6 % des suffrages contre 36,7 % pour Jammeh qui pensait pourtant faire de ce scrutin du 1er décembre une simple promenade de santé. 

Mais là n’est pas la surprise. Car, à moins d’être des souffre-douleur contents de leur sort, l’on voyait mal les Gambiens ne pas saisir à la volée l’occasion qui leur était offerte de se débarrasser, enfin, de celui qui a régné en tyran sur la Gambie pendant 22 longues années.

Ce qui est en revanche surprenant et imprévisible, c’est que l’homme fort de Kanilaï puisse accepter un verdict des urnes qui ne lui est pas favorable. Et pourtant, Jammeh l’a fait. Il s’est même montré étonnamment fair-play, n’hésitant pas à appeler son tombeur pour reconnaître sa défaite. « Je n’ai aucune arrière-pensée et vous souhaite tout le meilleur », a-t-il assuré à son successeur dans un échange téléphonique diffusé à la télévision nationale. Et de rappeler,  s’adressant  directement au peuple gambien : « J’ai toujours dit que si mon adversaire avait une voix de plus que moi, je respecterais votre vote. »

Seulement voilà,  tout cela est trop beau pour être vrai. Accroché à son fauteuil comme une huitre à son rocher, Jammeh ne peut s’avouer vaincu d’une manière aussi facile sans avoir une idée derrière la tête. Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat en 1994, il a été élu pour la première fois en 1996, puis réélu tous les cinq ans et s’apprêtait  enchaîner avec un cinquième mandat à la tête de la Gambie. Démontrant ainsi sa soif inextinguible de pouvoir.

Son refus d’accepter la présence d’observateurs étrangers avait même fait craindre sa confiscation du vote en cas de défaite. Et pour cause, ni l’Union européenne, ni la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) n’avaient reçu son feu vert pour envoyer des observateurs. Seule l’Union africaine a pu envoyer six experts électoraux, sans recevoir en revanche l’autorisation de mandater un seul observateur. Preuve que le désormais ex-Président gambien ne voulait pas que les choses se passent dans la transparence et qu’il n’était guère disposé à accepter une éventuelle défaite.

Qu’est-ce qui a pu donc l’amener à faire contre mauvaise bon cœur ? Jammeh a-t-il voulu éviter une effusion de sang devant la forte mobilisation du peuple gambien à le faire partir pour ne pas corser un dossier suffisamment noirci par 22 années de dérives autocratiques ? A-t-il voulu permettre juste une petite parenthèse démocratique  pour se donner un peu de répit face à la forte pression de la communauté internationale et de la société civile gambienne ? Avec bien sûr l’espoir de revenir plus tard comme l’a déjà fait Denis Sassou Nguesso au Congo. Lui qui se réfugia d’abord dans son village d’Oyo, au nord du pays, après sa défaite électorale en 1992 face à Pascal Lissouba. Avant de s’installer avenue Rapp, à Paris, d’où il lança sa reconquête du pouvoir par les armes en 1997 avec l’appui militaire de l’Angola.

Hélas, ce scénario-là n’est pas à exclure de la part de Jammeh qui n’a pas lâché le pouvoir de gaieté de cœur. Loin de là. Or, pour éviter qu’il ne fasse comme Sassou, il faudra d’abord l’empêcher de faire de son fief de Kanilaï un sanctuaire. Ce qui n’est pas gagné d’avance.

Il faudra aussi opérer une vaste purge dans l’Armée pour en extirper les officiers et hommes de troupe de son clan. Une opération non seulement risquée mais presque impossible tellement l’Armée lui est très majoritairement favorable. Et, signe inquiétant, ses chefs se sont d’ailleurs montrés moins enclins à accepter le résultat des urnes.

Il se murmure même que le Général Saul Badgie et le Général de brigade Umpa Mendy seraient stationnés à «State House». Comme le seraient aussi Borra Colley et Musa Savage dans le fief de Jammeh à Kanilai. Un dispositif d’autant plus inquiétant qu’il a tout d’une veillée d’arme depuis que tous ces officiers se sont sentis trahis par Jammeh pour avoir accepté sa défaite. Ce qui n’exclut pas que les deux mois de transition puissent être mis à profit pour orchestrer un coup d’Etat qui remettrait tout à plat. Et, à défaut d’être en première ligne pour ne pas s’attirer l’hostilité de la communauté internationale, Jammeh pourrait être bien avisé de mettre en avant un de ses officiers. Lequel officier hériterait alors du pouvoir, mais en étant simplement son homme de paille.

Or, cette sombre perspective est d’autant plus probable que Jammeh n’a pas eu de son successeur la garantie de ne pas être l’objet de poursuites pour tout le mal qu’il a fait en 22 ans de règne. Contrairement à ce qu’avait relayé dans un premier temps la presse, le nouvel homme fort de Banjul n'a pas en effet exclu de traduire Yaya Jammeh devant la Cour Pénale Internationale (CPI) que dirige sa compatriote Fatou Bensouda. Adama Barrow a même tenu à apporter ces précisions, non sans s'offusquer que " la presse ait dénaturé " ses propos. A l'en croire, la Gambie fera tout pour reprendre sa place au sein des institutions internationales, y compris la CPI. Et le tombeur de l’homme de Kanilaï de préciser que son action ne vise pas les personnes en tant que telles, mais à ce que justice soit rendue au peuple gambien. « Je n'ai jamais dit que Jammeh ne sera pas traduit devant la justice, c'est la presse qui a déformé mes propos ", a-t-il martelé.

En voilà donc une donne qui change tout et qui pourrait amener Jammeh, réputé imprévisible, à changer de fusil d’épaule. Sous la pression, bien sûr, de ses officiers qui ne veulent pas perdre leurs privilèges, encore moins payer pour leurs exactions. Faisons donc comme Saint Thomas : attendons de voir Jammeh partir pour y croire vraiment !
Cheikh Amidou Kane
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