C’est ce lundi 30 janvier que s'est finalement tenue l’élection du président de la Commission de l’Union africaine. Finalement, c'est le candidat et chef de la diplomatie tchadienne Moussa Faki Mahamat, 56 ans, qui vient d’être élu à la tête de la Commission de l'Union africaine face à Amina Mohammed du Kenya. C'est le triomphe de la diplomatie discrète de Idriss Déby Itno contrairement à son homologue sénégalais Macky Sall dont la folklorisation du soutien de Bathily a été un facteur rédhibitoire pour son élection à la Commission africaine. Pourtant sa candidature était cependant affaiblie par l’absence de consensus sur une candidature unique en Afrique centrale, sous-région dont il est originaire. De plus, une partie de la société civile tchadienne a milité contre sa candidature en mettant en avant l’absence de démocratie et le non-respect des droits humains dans son pays. Et le fait d'être le candidat de l'Algérie ne militait pas en sa faveur. Mais d'autres facteurs géopolitiques ont pesé sur l'élection de Tchadien.
Le président Macky Sall
Il faut rappeler que l'élection avait dû être reportée lors du dernier sommet de l'Union africaine (UA) à Kigali, faute de candidats crédibles. Les candidatures de l’Ouganda, de la Guinée Equatoriale et du Botswana avaient été jugées très peu qualifiées pour occuper le poste prestigieux de la présidence de la Commission. Vingt-cinq pays africains avaient refusé de participer au vote, compromettant ainsi la majorité des 2/3 requise pour la validation du vote. Aucun des trois candidats en l’occurrence l’Ougandaise Speciosa Wandira-Kazibwe, la Bostwanaise Pelonomi Venson-Moitoi et l’Equato-guinéen Agapiton Mba Mokuy n’avait pu obtenir les deux tiers des votes nécessaires en trois tours de scrutin. Lors de ce 28e sommet à Addis-Abeba, Speciosa Wandira-Kazibwe a renoncé à présenter à nouveau sa candidature. Ainsi aux candidats restants, se sont ajoutés trois nouveaux que sont Moussa Faki Mahamat du Tchad, Amina Mohammed du Kenya et Abdoulaye Bathily du Sénégal. D’ailleurs, c’est à ce niveau que se situait l’enjeu de la succession de la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma.
Soutien timide de la CEDEAO, défection du Togo, de la Guinée, du Mali, du Nigeria et du Burkina Faso
Si la candidature d’Abdoulaye Bathily avait été avancée comme celle qui a plus de chance pour percer, il faut se dire que les récents événements survenu en Gambie ont en partie compromis l’élection du Sénégalais à la présidence de la Commission de l’UA. Si naturellement, dans le cadre de la coopération inter-Etat au sein de la CEDEAO, le vote sénégalais pouvait compter sur les 15 pays membres, il fallait exclure celui du Togo dont le président Faure Gnassingbé avait déjà indiqué, en octobre 2016, qu'il allait soutenir Amina Mohamed, l’actuelle ministre des Affaires étrangères du Kenya, la malheureuse finaliste. En sus, le vote de la Guinée dont le président Alpha Condé n’est pas en odeur de sainteté avec son homologue sénégalais, Macky Sall, a certainement profité au candidat tchadien. Rappelons que l’épidémie d’Ebola, le président guinéen n’a pas apprécié la fermeture des frontières du Sénégalà son pays rudement touchée par ledit fléau. A cela s’ajoute le rôle de premier plan joué par le Sénégal pour faire contraindre à l’exil l’ex-dictateur gambien, Yaya Jammeh, dont les atomes crochus avec le numéro guinéen ne sont un mystère pour personne. Alpha Condé qui s’est investi comme un médiateur pacifiste dans la crise gambienne n’a pas envoyé de troupes, à l’instar de plusieurs pays de la CEDEAO, pour chasser Yaya Jammeh. Il se serait même penché pour un partage de pouvoir entre Adama Barrow et le président sortant. Suffisant pour ne pas voter pour le Sénégal.
Le Nigeria n'a fait que renvoyer l'ascenseur au Tchad dont les soldats constituent un maillon considérable dans la chaine de bataille contre Boko Haram. Quant au Burkina Faso, le soutien déguisé du Sénégal au putsch du Général Gilbert Diendéré continue de faire ses effets négatifs dans les rapports entre les deux pays. Il faut rappeler que les propositions controversées de sortie de crise faites aux différents protagonistes par Macky Sall, ex-président de la Cedeao au lendemain du coup d’État éphémère du Général Diendéré, n’étaient pas du goût des autorités de la Transition au premier rang desquelles l'alors président de Transition, Michel Kafando.
Posture défavorable de la Mauritanie...
La Mauritanie n'a indubitablement pas voté pour le Sénégal si l’on sait que les relations diplomatiques entre les deux pays ne sont pas des meilleurs. Le rejet par le Sénégal du document actant les conditions d’exil de Jammeh n’est pas pour plaire la Mauritanie dont le président Abdel Aziz a joué un rôle prépondérant dans le happy-end de la crise gambienne. Le ministre des affaires étrangères de la Mauritanie Isselkou Ould Ahmed Izid Bih, lors d’une sortie, a déclaré que « toute remise en cause des termes de l'accord conclu, en Gambie, sous l'égide des présidents mauritanien et guinéen, par quelque partie que ce soit, a le potentiel de créer une nouvelle Somalie, en Afrique occidentale ». Ce qui n’a pas eu l’heur de plaire à la CEDEAO dont président de la commission, Marcel de Souza, a indiqué clairement que « parlant des demandes d’amnistie et de garantie formulées par l’ancien président gambien pour lui-même, son entourage et ses partisans, elles seront examinées par les instances de la Cedeao, de l’Union africaine et des Nations unies ». Ce qui confirment les propos du ministre des affaires étrangères du Sénégal, Mankeur Ndiaye qui avait précisé que « le désormais ex-président de Gambie Yaya Jammeh est parti en exil sans aucune garantie de la communauté internationale et, par conséquent, ce document est nul et de nullité absolue et aucun chef d'Etat de la CEDEAO ne cautionnent cela ».
Dans cette affaire, la Mauritanie n’a pas apprécié que le fait que Sénégal anéantisse les efforts de son président qui s’est échiné pour éviter que le sang soit versé en Gambie. Mais la posture du président Abdel Aziz pourrait être analysée sous l’angle de ses accointances avec l’ex-potentat gambien dont il s’est beaucoup servi pour embêter le Sénégal. Ces relations tendues entre les deux pays s’illustrent par l’arraisonnement fréquent des pirogues sénégalaises dans les eaux mauritaniennes. Aujourd’hui 40 pêcheurs sénégalais sont expulsés de la Mauritanie et 131 arrêtés. Une façon pour faire payer le discrédit du Sénégal jeté sur le document actant l’exil de Jammeh. Par conséquent, il aurait été illusoire pour le Sénégal de compter sur le vote du voisin maure pour faire triompher son candidat.
... et du Mali
Dans le lot des chefs de l’Afrique de l’Ouest qui ont défection au Sénégal, on peut citer celui du Mali. Il faut souligner que, même si les relations exécrables entre Macky et Ibrahim Boubacar Keita après l’élection de ce dernier à la tête de l’Etat malien se sont beaucoup aplanies, la plaie du soutien de Macky Sall en faveur de Soumaïla Cissé au deuxième tour de la dernière présidentielle malienne n'est pas complètement cicatrisée. En sus, le Tchad a payé un lourd tribut lors de l'invasion des djihadistes au Mali, au Nigeria et au Cameroun. Et le Mali ainsi que d'autres pays africains compte beaucoup sur l'expertise des soldats du Tchad, lesquels ont une bonne maitrise du terrain, pour maintenir la paix au Mali, constamment secoué par les secousses telluriques des attentats terroristes. En guise de reconnaissance, le président malien aurait voté pour le Tchadien. Donc dans l'espace de la CEDEAO, il est clair que dès l'entame, trois votes plus deux autres mystérieux et celui de la Mauritanie allaient profiter à la Kenyane et (ou) au Tchadien. In fine, seuls dix pays de la CEDEAO ont voté pour Bathily.
Ces pays qui ont soutenu le Tchad
Avec 5 voix claires s'ajoutant à celles des 9 pays de l’Afrique centrale (Cameroun, Guinée équatoriale, Gabon, République du Congo, Tchad, l’Angola, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sao Tomé-et-Principe), déjà le candidat de Deby totalise 15 voix ajoutées à celles des cinq de l'Afrique du nord (Algérie, Egypte Libye, Soudan, Tunisie).
Quant à la candidate Amina Mohammed du Kenya, elle a certainement bénéficié des voix des 19 pays de l'Afrique de l'Est si on y extirpe 4 pays qui font partie de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) c'est-à-dire le Malawi, le Mozambique, la Zambie et le Zimbabwe qui doivent voter pour la Botswanaise ou le Tchad. L'Afrique du Sud et le Zimbabwe n'ont pas apprécié les prises de position de la candidate tchadienne sur la CPI.
Ainsi, ce sont ces 15 pays restants de l'Afrique de l'Est que la Kenyane a pu conserver au dernier tour de scrutin. Et le candidat tchadien a pu bénéficier des voix de la CEDEAO quand Bathily a été éliminé. Ainsi les 39 voix (15 voix des pays de la CEDEAO ajoutées à celle de la Mauritanie, celles des 9 pays de l'Afrique centrale, celles des 5 de l'Afrique du Nord et celles des 9 de la SADC) ont fait la différence pour éliminer Amina Mohammed.
Il faut aujourd’hui se rendre compte que la candidature d’Abdoulaye Bathily, tant chantée comme étant la plus crédible pour remporter l’adhésion massive des votes de pays pour le poste de président de la Commission de l’UA, a été compromise à cause d’une combinaison de contingences géopolitiques et d'un dilettantisme diplomatique. Cet échec sonne comme un désaveu à l’endroit du président Macky Sall qui a sorti pendant plusieurs mois les gros moyens financiers, humains et diplomatiques pour faire campagne et élire en vain son candidat Abdoulaye Bathily.
Serigne Saliou Guèye