Deux mois après la mort d’Adama Traoré, toujours autant de questions

Rédigé par Dakarposte le Vendredi 16 Septembre 2016 à 15:28 modifié le Vendredi 16 Septembre 2016 15:39

Comment Adama Traoré, un jeune décédé au cours de son arrestation, est-il mort ? Le récit d’un pompier, dont Le Monde a publié des extraits mercredi, vient contredire la version des gendarmes, alimentant les doutes de la famille sur une bavure.


L’affaire avait provoqué quatre nuits d’émeutes à Beaumont-sur-Oise, dans le Val-d’Oise. Deux mois après la mort d’Adama Traoré, un jeune homme décédé en banlieue parisienne alors qu’il venait d’être arrêté par les gendarmes, un témoignage crucial vient discréditer l’attitude des forces de l’ordre, accusées de "bavure" par la famille du défunt. Ce témoignage met à mal la version donnée à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (l’IGGN) par les gendarmes présents le jour du drame.

Ce témoin est le pompier qui est intervenu dans la cour de la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise pour porter secours au jeune homme et qui a constaté sa mort.

"Quand j’arrive sur la victime, il y a du monde autour, mais personne ne s’en occupe", explique le secouriste lors de son audition le 2 août à l’IGGN, selon des comptes-rendus que Le Monde a pu consulter. "La victime se trouve face contre terre, sur le ventre, mains dans le dos menottées." Quand le sapeur-pompier constate qu’Adama Traoré ne respire plus, il doit insister pour que les gendarmes lui ôtent les menottes.

Les gendarmes pensent qu’Adama Traoré simule

Un récit qui contredit largement ce qu’ont raconté les gendarmes à l’IGGN. Dans leur version des faits, les militaires placent "immédiatement" Adama Traoré "en PLS [position latérale de sécurité]". "Il est possible qu’il [Adama Traoré] ait pu tomber s’il a été mis en PLS" car "c’est impossible de tenir sur le côté avec les mains dans le dos menottées" précise toutefois le secouriste.

Pendant leur audition, les militaires admettent qu’ils pensaient que le jeune homme était peut-être en train de feindre un malaise. "Nous n’étions pas encore sûrs qu’il était vraiment inconscient et qu’il ne simulait pas", reconnait l’un des gendarmes.

C’est à la fin de son transfert en voiture, à son arrivée à la gendarmerie, qu’Adama Traoré aurait été pris d’un malaise. D’après la version des gendarmes, ils découvrent à ce moment-là que "sa tête se met à pencher en avant comme quelqu’un qui est en train de s’endormir". "Il semble inconscient, il ne bouge pas du tout", rapporte un des trois gendarmes entendus par l’IGGN.

La mort par asphyxie

Au cours de l’interpellation d’Adama Traoré, les gendarmes avaient procédé à un plaquage ventral pour pouvoir le menotter. Les deux rapports d'autopsie pratiqués fin juillet ont conclu à un décès par "syndrome asphyxique", sans que les causes de cette asphyxie soient déterminées.

Pour sa part, depuis le début de l’affaire, le procureur de Pontoise Yves Jannier questionne la santé du jeune homme. Le magistrat s’appuie sur les résultats de la première autopsie qui parlait de "lésions d’allures infectieuses [poumons, foie, ganglions cervicaux et de la carène]" présentes chez Adama Traoré avant sa mort. Puis il pointe l’existence d’une "maladie cardiaque", d’après des hypothèses émises dans un rapport médical. Mais la deuxième autopsie du corps de la victime le contredit, en révélant l’"absence d’anomalie cardiaque" chez le jeune homme.

De son côté, la famille du défunt a toujours contesté la version de la crise cardiaque ou d'une quelconque maladie grave chez Adama Traoré. Les Traoré évoquent de possibles violences de la part des forces de l’ordre ayant entrainé l’asphyxie. Les proches accusent la "méthode du plaquage ventral", pratiquée sur Adama Traoré par les gendarmes au moment de son interpellation. Une technique d'immobilisation maintes fois dénoncée par des associations de défense des droits de l’Homme pour le risque d’asphyxie mortelle qu’elle comporte.

Plainte pour non-assistance à personne en danger

Depuis la mort d’Adama Traoré, sa famille soutient la thèse de la "bavure" des forces de l’ordre. À la suite de la publication du rapport de l’IGGN, elle n’a pas tardé à réagir en déposant une nouvelle plainte contre les gendarmes pour non-assistance à personne en danger.

Et pendant que les doutes s'installent sur la sincérité du témoignage des gendarmes, la mobilisation populaire a grandi autour de la famille Traoré, qui n’est pas seule dans ce combat judiciaire. Aux côtés de plusieurs frères et sœurs d’Adama s’est organisé un mouvement de protestation qui dénonce plus largement le racisme. Le mouvement a déjà pris une dimension nationale et un écho médiatique sur lesquels comptent bien s’appuyer les proches.

Cet été, plusieurs personnalités du monde artistique français issu des minorités, comme l'acteur Omar Sy, ont fait savoir qu'elles apportaient leur soutien à la famille. Et, pour la première fois en France, un millier de personnes se sont rassemblées en la mémoire d’Adama Traoré à Paris sous la banderole "Black Lives Matter France" ("Les vies des Noirs comptent"), du nom de ce mouvement militant afro-américain créé aux États-Unis pour dénoncer les violences policières contre des citoyens noirs.
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