Dans la longue opposition du colon à la mission du Cheikh, révélée par lui dans son panégyrique Assiru Mahlal Abrari, l’exil est apparu comme un moindre mal pour tous les protagonistes qui ne voulaient pas que les choses s’enveniment avec un mort de saint-héros supplémentaire.
Dans un contexte où la dévotion à Allah s’amenuisait et la politique d’assimilation coloniale sévissait, l’accomplissement des obligations rituelles musulmanes était mal vu par le colonisateur français. Soit il exterminait ceux qui s’entêtaient, soit il les éloignait des leurs.
C’est à Djéwol où tout avait commencé avec son arrestation le 10 août 1895 par un détachement de 120 spahis de l’armée coloniale français. Arrestation suivie de son incarcération dans la cellule n°12, pendant 25 jours, avec l’épreuve du Lion préparé pour lui ruer dessus dans le jardin Botanique, avant d’être traduit devant le Conseil privé, siégeant au Palais du gouverneur de Saint-Louis.
Mais le Cheikh Ahmadou Bamba était assisté par son talibé-cuirassier, Mame Cheih Ibra Fall, les compagnons du Prophète à Badar, Abubakr, Ousmane, Omar et Alioune et par les anges de l’assistance divine.
C’est dire donc qu’à lui seul il représentait tout un bataillon, tout un régiment, toute une garnison, toute une armée pour pouvoir être pris, exilé, isolé et placé en résidence surveillée. C’était bien une mission. Il se rendit de lui-même à saint louis sans être amené de force.
Lors de sa comparution devant le Conseil privé au palais du gouverneur général, à Saint-Louis, il s’agissait de statuer sur son sort, le 5 septembre 1895. Le Conseil, à l’unanimité des 10 juges, décida ainsi donc de déporter Serigne Touba dans cette colonie d’Afrique centrale (le Gabon) en lui allouant une pension alimentaire d’un montant de 50 francs métro dont il ne touchera jamais d’ailleurs.
C’est ainsi qu’on célèbre tous les 5 septembre à Saint Louis les deux raakas que le saint homme accompli sur les lieux à la différence des autres religieux présents à la séance s’est tenue devant eux. On peut presque dire, que par dessus tout c’est cette défiance à l’autorité du Conseil privé qui a influé sur la sentence mentionnée dans le Procès verbal n°1, délibération n°16 portant à son objet la question unique de la déportation décidée du Cheikh au Gabon. L’histoire raconte, pour que ce départ soit effectif, il a fallu moult négociations, échanges de propos courtois parfois discourtois avec le sieur Chaudié Jean Baptiste, ci -devant gouverneur général de l’AOF lui-même. Et entre les membres du Conseil privé de l’Aof et son frère Mame Thierno Birahim.
C’est quinze jours après, c’est-à-dire le 18 septembre 1895, que la déportation du «Marabout Ahmadou Bamba» est confirmée par une lettre du Commissaire général du gouvernement français au Gabon. Cette notification, en application de la décision prise par le Conseil privé de l’Aof réuni à Saint-Louis, sous la houlette du gouverneur deux semaines auparavant, fait ressortir l’accusation portée contre le «Serviteur du Prophète» (Psl) en ces termes : «Ses agissements et ceux de ses talibés menacent de troubler la tranquillité du bas Sénégal». Ainsi, la condamnation est exécutée sans délai et Mame Bamba est transféré à Dakar par train, d’où il entamera son exil vers le Gabon.
Au départ, rien ne fût facile pour faire quitter Cheikh Ahmadou Bamba son Sénégal natal ; mais le colonisateur français, pour n’avoir pas pu cerner et déchiffrer une personnalité complexe en mille endroits, dans ses mille et un faits et gestes, pour arriver à dissiper lui-même ses propres lubies, insuffisances criardes et échecs patents répétés à contenir l’affluence massive des talibés vers le Cheikh, fit venir le bateau dénommé «Ville de Pernambouc» et enleva Mame Bamba et ses bagages «liturgiques» de sa terre natale du Baol où il naquit en 1853. Le paquebot a finalement pu prendre la mer, avec à son bord, sa précieuse marchandise, prise de luxe, Serigne Touba. L’homme qui déréglait toutes les politiques coloniales sans arme ni esprit belliqueux. Rien qu’avec une piété infaillible et sécurisante, grâce à une parfaite soumission à la volonté d’Allah et une fidélité sans borne à l’esprit et à la lettre du Coran, à travers la sunna observée et pratiquée du prophète Mahomed (Psl), le Messager d’Allah, Maître et Guide.
Cheikhoul Khadim savait qu’il partait en mission sur ordre de Son Seigneur –Dieu ; au nom de Son Prophète (Psl) pour apporter la bonne sépulture à un imam déporté comme lui, l’Almamy Samory Touré, le chef de guerre de la résistance à la pénétration coloniale française en Afrique de l’Ouest. Une œuvre magistrale illustre ce fait révélateur, c’est Assiru Mahlal Abrari, l’écrit sur l’ordre du départ en exil parvenu à lui avant même le jour du départ. Un long voyage en haute mer est entepris qui va le contraindre durant 7 ans, 7 mois, 7 semaines et 7 jours à séjourner au Gabon en passant par Conakry, Grand Bassam, puis du Dahomey (Bénin actuel) à l’île de Mayombé et Lambaréné.
Au-delà de lui avoir interdit de prier dans leur navire, une fois aux îles, le Cheikh, selon ses propres dires même, fut sujet à toutes sortes d’exactions et de brimades, et cela tout au long de ses séjours successifs dans la jungle de Mayombe, à Lambaréné et ailleurs… «Ils m’ont jeté sur la mer par refus de la volonté divine et par haine. Mais le Généreux m’y a incontestablement comblé de sa grâce», a écrit le Cheikh par la suite.
Et d’ajouter : «Ils ont voulu m’humilier en me jetant sur la mer, heureusement que mon Seigneur a dompté pour moi la plus houleuse des mers». Après ses 7 années d’exil à Mayombé, au Gabon, Cheikh Ahmadou Bamba sera de retour au Sénégal à bord du bateau dénommé «Ville de Macéao», le 11 novembre 1902.
À l’époque, la hargne du colonisateur contre les pratiquants de la religion islamique avait refroidi la ferveur et le dévouement à la cause d’Allah, et tout acte de dévotion était suspect, y compris les cinq prières obligatoires considérées comme signe de défiance et d’hostilité.
Aujourd’hui, au-delà de la commémoration, il est temps de révéler à la face du monde que la prière que le Cheikh a effectuée en mer ce jour-là, sur la route de son exil au Gabon, sort de l’ordinaire. Une façon pour les musulmans aussi de se rappeler de la permanence et de l’immanence du divin qui transcende toutes choses, car Il est au dessus de tout ce que nous Lui attribuons. Il crée ce qu’Il Veut et Il choisit : il ne nous a jamais appartenu de choisir. Gloire et pureté soient à Lui.
Mais aussi, ce qui s’est passé ce jour là est resté un symbole que tous les mourides célèbrent, dans leur besoin de «renouveler leur gratitude au Miséricordieux», pour avoir fait d’eux des disciples de Cheikh Al Khadim. Et surtout, c’est une façon pour la jeune génération de lui être reconnaissant à son en commençant à propager son œuvre. Sachons-le, Serigne Touba n’a apparu sur terre que pour revivifier la Parole d’Allah malgré la répulsion que puissent en éprouver les peuples mécréants. 122 années après ce haut fait, les mourides se souviennent et célèbrent chaque année (le 18 SAFAR) cette partie de notre histoire vécue par Serigne Touba seul en pleine mer sur l’océan Atlantique.
Le Magal est donc extrêmement important dans la confrérie mouride pour tous les talibés, qui quittent les lointains pays pour venir participer à la célébration de l’événement avec leurs moyens. Bienvenue à tous au Sénégal !
Actunet.net vous souhaite un bon MAGAL