Située à une dizaine de minutes à pirogue de la baie de Soumbédioune à Dakar, la plus grande île de la Madeleine reste méconnue de la majeure partie des Sénégalais qui y font référence comme de l’île aux Serpents. En lieu et place de l’îlot Sarpan.
Sur la crique, la bataille est perdue d’avance. Emprisonnée dans un écrin rocheux, bercée par les rayons cuivrés du soleil, l’eau couleur jade, joue les amantes lascives. Douce en surface, possessive dans l’âme. Calme et sans ridules, elle étend ses tentacules vers le récif de l’îlot Sarpan, au sud-ouest de la Corniche de Dakar. Dont elle caresse la taille étroite, mouille les fentes et pénètre la paroi algale. Danse millénaire. Corps à corps éphémère qui laisse le rocher continuellement pantelant, trop plein de mousse qui se déverse encore de ses interstices lorsque la néréide se retire pour regagner son lit. De colère, Océan frappe avec sa houle, l’autre versant du récif. Dessinant sur la pierre volcanique, une multitude d’arabesques, illusion de l’armée enterrée de l’empereur chinois, Qin. L’amante n’en a cure, elle aspire déjà à d’autres aventures avec les quelques touristes. Elle en voit si peu sur cette île, la plus grande de la Madeleine, vierge de l’empreinte de l’homme. Où les pirogues font leur entrée par la crique Hubert. Sur le ponton de débarquement depuis une dizaine de minutes, Rachida n’arrive pas à détacher son regard de cette crique. «On dirait une piscine», fait-elle, d’une voix absente. Son regard est brillant et son attitude statique. Petite, des formes généreuses, une sacoche en bandoulière, elle est comme hypnotisée par le spectacle. Rachida est béninoise, ivoirienne et sénégalaise. A doses variables. Son quart de sang lébou l’a poussée à venir découvrir l’île Sarpan, elle a entendu dire qu’il abritait Leuk Daour, le génie protecteur de Dakar. Mais la vue de ces thermes en plein air semble déjà reléguer au second plan son ambition de visiter les 45 hectares de terre perdus en mer. N’avoir pas pensé à ramener son maillot de bain, n’empêchera pas la jeune femme de tomber son haut et sa jupe. Une demi-heure de trempette dans la néréide remplie de bigorneaux, cyprées et autres coquillages, est aussi une autre façon de faire connaissance avec l’histoire. Rendre les armes est un pur plaisir !
Nature
L’îlot qui a édicté ses propres règles, soumet tous ses visiteurs à la loi de la nature. Il y est déconseillé d’élever la voix et de prolonger la visite après 18 heures. L’esprit domicilié là, tient à sa quiétude. Pour l’avoir ignoré, le bateau espagnol «La Madeleine», éponyme des îles en face de la baie de Soumbédioune, qui traçait alors la carte de l’Afrique de l’ouest, a chaviré près de ses côtes. Ce serait la première trace du rocher dans l’histoire. La deuxième lui vaudra son nom. Il est français, s’appelle Sarpan et tient tête au commandement colonial qui décide de l’exiler en ce lieu, en guise de punition. L’histoire s’arrête là, la légende pousse le bouchon. Une rencontre entre le déporté et des pécheurs lébous, une conversation, des présentations, une déformation. Sarpan devient «serpent» et l’îlot en est baptisé dans le langage populaire. Sur les lieux, aucune trace du reptile. A la place, quarante-cinq hectares de rocs, d’arbres, de prairies infestées de vers de terre en estivation. Et d’oiseaux, ou de leurs fientes plus précisément. Elles s’étalent en vagues blanches sur la crête la plus au nord, sur la partie la plus escarpée de la montagne. Ibou Sané, guide du jour : «Lorsque les Hollandais ont débarqué, ils n’ont pas pu, dans un premier temps, voir la pierre tellement il y avait de fientes. Ils l’ont baptisée île aux oiseaux». De fait, les cormorans et les phaétons (paille-en-queue) peuplent Sarpan. Et c’est peut-être là, l’un des aspects les plus importants de l’île. Tout au long de la piste qui coupe à travers les herbes, effleure les escarpements pour redescendre vers la crique, des panneaux blancs indiquent les zones de nidifications. Oiseaux rares et protégés, les cormorans et phaétons font leurs nids dans les cavités de falaises ou de rochers. Toujours en hauteur. Les ornithologues ont donné des consignes précises. La période de nidification se déroule de mars à septembre, donc interdiction d’aller vers ces zones.
Il faut monter plus au nord-ouest pour découvrir l’essentiel de ce qu’il y’a à voir dans l’îlot Sarpan. Une pièce sans toit dont les murs, érigés en pierres volcaniques, sont à hauteur d’homme. Envahie par l’herbe, cette case à ciel ouvert était celle de Lacombe. Un prêtre français qui, en 1770, s’est installé là pour s’éloigner du carcan de la civilisation. Il tente d’y cultiver des légumes et échoue. Les tentatives suivantes se solderont également par un échec. «Au moment de construire sa case, il a rapporté avoir entendu des voix qui lui intimaient l’ordre de ne pas élever les murs trop haut. Il n’y a pas pris garde et constatait chaque matin que les murs étaient plus bas que la veille», raconte Ibou Sané. La théorie du vent ou de la roche volcanique est brandie mais les Lébous ont une toute autre explication. Les « habitants » de l’île seraient des nains et auraient, par conséquent, horreur de l’altitude. D’ailleurs, l’environnement, riche et varié avec une centaine d’espèces d’arbres, regorge de baobabs nains qui se développent au ras du sol, telles des lianes. Les mêmes baobabs font office de lieux de culte. Il en existerait sept mais le seul accessible est gros baobab posé sur le parcours touristique. Fermé par des pierres en cercle, l’arbre est recouvert de petites cavités dans lesquelles les visiteurs peuvent glisser des pièces d’argent en sacrifice. Il y a là plusieurs pièces de différents pays et quelques billets dévorés par le sel marin. Selon le guide, ces offrandes sont récupérées par un comité de dignitaires lébous qui se réunissent là pour des séances de sacrifice. Rachida ne laissera pas une pièce. Au Bénin, elle a pris une photo dans un lieu de culte semblable. Elle en a fait un cauchemar traumatisant et depuis, elle s’est promis de faire ses visite sans toucher à rien. Elle estime avoir déjà donné sa contribution avec le prix de la traversée. Cinq mille francs Cfa pour une dizaine de minutes en pirogue et un temps limité sur l’île. Un hic pour l’îlot Sarpan qui n’a pas encore exploité toutes ses potentialités touristiques. Ça et le navire espagnol «Almadabra Uno» échoué depuis août 2013 sur le flanc de la montagne. Seule vision horripilante dans ce coin du paradis.
AICHA FALL THIAM
PUCES : L’histoire du nom
La demeure de Leuk Daour, génie protecteur de Dakar
Auguste Sambou, un Mansoiké originaire de la région de Kolda
«Vous avez traité un aspect de la culture et donné les avis personnels de la dame (Ndlr :Niarra Diatta, une Mansoikée que nous avons interrogée à Kolda pour les besoins de l’article d’hier du Cahier vacances) qui a confirmé la consommation de viande de cadavre chez les Mansoikés. Poursuivant, elle est allé jusqu’à généraliser. Et c’est cette généralisation que vous avez reprise dans votre papier. Nos sensibilités ont été très touchées ; non pas par les propos de la dame, parce que ses propos n’engagent qu’elle. Mais, c’est le fait d’avoir collé et généralisé cela qui a touché notre sensibilité. Vos personnes ressources auraient pu vous trouver d’autres interlocuteurs habilitées à vous dire des choses pouvant être généralisées et apporter quelque chose. Ce que vous avez fait n’est pas mal. Mais, cet aspect généralisé nous a profondément touchés. Nous ne sommes pas consommateurs de viande de cadavre. C’est banni chez nous. La dame, elle, a des racines en Guinée- Bissau où ça peut exister. Mais, nous n’avons jamais connu ça de nos parents.»