Le silence a saisi les rues du 11e arrondissement de Paris. En partie bouclé par un important dispositif de sécurité, ce dimanche 13 novembre 2016, le quartier a mis de côté son habituelle effervescence pour se recueillir en mémoire des victimes des attentats du 13 novembre. En cette journée de commémoration, le "À la folie", situé à 200 mètres seulement du Bataclan, accueille deux amies qui boivent un verre en terrasse, bravant une pluie fine, et quelques copains qui discutent au comptoir. C’est un bar-brasserie de quartier chaleureux et familial, décoré simplement, où les habitués défilent le matin pour prendre un café, le soir pour trinquer autour d’une bière. Souriant, Jeff, l’adjoint du patron, sort de sa cuisine pour venir encaisser une commande. C’est ce qu’il faisait il y a un an jour pour jour quand il a entendu les premiers coups de feu retentir depuis la salle de spectacle. "Je me suis d’abord demandé ce que c’était. Est-ce que c’était des pétards ? Puis très vite, j’ai compris. Je me suis dit : après Charlie Hebdo, ils sont revenus." Le bar était plein ce soir-là. Le match de football France-Allemagne avait drainé des dizaines de clients. "D’un coup, j’ai vu des gens courir dans la rue, paniqués. J’ai commencé à baisser les rideaux de fer et j’ai fait rentrer tous ceux qui voulaient s’abriter." Une centaine de personnes se retrouvera confinée pendant cette nuit de terreur dans l’établissement aux dimensions modestes mais qui a su faire de la place à tout le monde. "L’ambiance était étrange. Certains voulaient boire pour oublier, d’autres pleuraient", se souvient très bien Jeff qui a essayé, au mieux, de consoler et d’apaiser les rescapés. Parmi eux, un blessé."Je me rappelle avoir vu du sang mais je ne sais plus très bie". Certains souvenirs sont encore confus. Après une nuit à suivre l’évolution de la situation sur les chaînes d’information, les rideaux ne se rouvriront qu’au petit matin. "Les derniers sont partis vers 8h30", se rappelle Jeff. "La semaine suivante, il y avait énormément de monde dans le quartier, beaucoup de journalistes. Mais après, plus rien. Les gens ne venaient plus, ils avaient peur de s’asseoir en terrasse. Le premier mois après les attentats, ça été très dur. Mais petit à petit, les clients sont revenus". Jeff, très attaché à son quartier où il travaille depuis 15 ans, explique qu’il a fallu au moins 3 mois pour que l’activité reparte, pour que la confiance revienne, que le quartier revive. Désormais, il veut aller de l’avant : "Je reparle rarement de ces événements, je n’ai plus envie d’en parler, il faut tourner la page". Nadir aussi aimerait tourner la page. Il tient le bar-brasserie, "Le Folie’s café" sur l’avenue de la République. Il évoque encore avec beaucoup d’émotions, un an après, cette nuit tragique et décrit un quartier toujours très marqué par les attentats. Un quartier visé selon lui en raison de sa mixité : "Ici cohabitent beaucoup de jeunes, de plusieurs nationalités, c’est pour ça qu’ils ont fait ça ici". Le soir des attentats, une vingtaine de clients regardait le match chez lui. "Heureusement personne n’était en terrasse", précise, ému, Nadir. En effet, compte-tenu de la localisation du son établissement, une des voitures appartenant aux terroristes est passée devant cette terrasse heureusement déserte. "Les clients qui étaient là sont partis quand on a compris ce qu’il se passait, j’ai fermé le bar à clés et je suis monté à l’étage dans mon appartement". Depuis Nadir s’est équipé de caméras de surveillance et espère pouvoir bientôt investir dans des rideaux de fer pour protéger son établissement. Mais ce qui a le plus marqué le patron de bar, c’est la fausse alerte qui a mis le quartier en ébullition une semaine après les attentats. "D’un coup, j’ai vu arriver une foule compacte dans la rue, on aurait dit le marathon de Paris. Les gens se sont rués à l’intérieur, les tables étaient renversées, des verres brisés par terre." Le réflexe de ses clients a beaucoup surpris Nadir. La situation était confuse, mais tous se sont mis à terre, rampant dans le bar. "On avait l’impression qu’ils étaient entrainés", se rappelle-il. "Trois filles complétement paniquées sont même montées à l’étage, dans mon appartement, où ma femme a fait son maximum pour les calmer. J’avais aussi une trentaine de personnes au sous-sol, en cuisine. Certains disaient que des terroristes étaient dans le bar, c’était fou". Nadir, qui a perdu dans les attentats une de ses plus anciennes habituées, s’est rendu samedi soir aux abords du Bataclan, après le concert de Sting. "C’était très émouvant, j’ai croisé quelques clients. Quelqu’un a dit une phrase qui m’a beaucoup marquée : "On avait l’impression que les victimes étaient avec nous". Aujourd’hui Nadir l’assure : "la vie reprend, elle continue".
Dans le 11e arrondissement, les souvenirs tenaces des attentats
Cheikh Amidou Kane
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