Contribution : Faut-il fermer le Cesti et laisser l’anarchie et la médiocrité détruire le journalisme? (Par Moumar Guèye)

Rédigé par Dakarposte le Mardi 5 Mai 2020 à 20:17 modifié le Mardi 5 Mai 2020 20:21

En écoutant ce week-end le journaliste présentateur de la revue de presse d’une célèbre Radio de la place, j’ai été envahi par la colère, l’indignation et la stupéfaction! Oui, j’ai été très indigné. C’est la raison pour laquelle je voudrais saisir l’occasion de la Journée Mondiale de la Presse célébrée le 3 mai dernier à travers le monde, pour interpeler les patrons de presse, les journalistes professionnels et les usagers de la presse en général sur cette propension de certains de leurs confrères à transformer en forum folklorique et concours de clowneries, les techniques d’information et de présentation de la revue de presse (RP). Comme le savent tous les professionnels, la revue de presse est un outil de veille de la presse consistant en la compilation puis l’analyse des articles saillants parus dans les journaux. Elle consiste à reprendre une partie des articles ou des informations publiées et dont des tiers sont propriétaires.

Après ce bref rappel que les journalistes professionnels connaissent sûrement mieux que moi, je voudrais revenir sur ma peine et mon indignation du week-end, causées par cette maladroite théâtralisation des revues de presse (RP), au moment où notre peuple inquiet et désemparé est confiné un peu partout et s’organise avec sérieux et détermination, pour combattre CORONAVIRUS, ce fléau mondial qui, comme par hasard, a choisi comme première victime au Sénégal, un brillant journaliste de renommée mondiale, je veux nommer Mababa Diouf, plus connu sous le nom de Pape Diouf (Qu’Allah (SWT) Soit Satisfait de lui)!

Il me faut préciser que j’avais fait ce constat il y a quelques semaines et m’étais empressé de dénoncer ce manque de sérieux et cette « folklorisation » de la RP par ce journaliste, auprès d’un des responsables du Groupe de presse qui l’emploie. Après les assurances qui m’ont été données, j’avais cru que l’incident était clos. C’est seulement le week-end dernier, qu’à ma grande surprise, je me suis rendu compte que ce fameux journaliste a continué ses chansons et autres modulations et contorsions vocales inopportunes et ridicules, en parlant de la pandémie du Covid 19 et son cortège de morts et de malades à travers le monde! Ce garçon a donc persisté et signé au moment où notre pays vit dans l’angoisse et le désarroi, une épreuve tragique!!

Il est véritablement temps que les patrons de presse mettent fin à cette inélégante et inopportune « folklorisation » de l’information en général, de la revue de presse en particulier, surtout en ce temps de « guerre » et de « crise profonde »! Le cas de ce journaliste qui m’a mis en colère n’est pas isolé du tout!

Je ne saurais me priver de dénoncer une autre « revue de presse » comique dans un autre groupe médiatique! D’ailleurs, depuis très longtemps, je me suis gardé d’écouter cette « revue de presse » bruyante et folklorique à tout point de vue. En fait, je ne l’écoute qu’en cas de raisons indépendantes de ma volonté, car comme le dit Wolof Ndiaye, « l’oreille n’a pas de couvercle (nopp amul kubéer)« . Le présentateur attitré de cette RP semble toujours hurler, au lieu de parler sereinement et respectueusement aux auditeurs, comme le faisait jadis avec élégance, le grand Gabriel Jacques Gomis, pionnier de la revue de presse au Sénégal et les autres journalistes comme Martin Faye, Djadji Touré et tant d’autres. Ce présentateur dis-je, nous tympanise et nous impose chaque matin ses hurlements désagréables et intempestives qui nous agressent et nous torturent… Le comble du mal est que la plupart des correspondants régionaux des radios et télévisions jouent eux-aussi, leur partition de comédie, de fantaisie vocale et de folklore en donnant les informations quotidiennes régionales!

En vérité, tout cela n’honore pas la Presse sénégalaise qui, il faut l’avouer, semble de plus en plus sombrer dans les abîmes de la médiocrité, en tournant le dos au SÉRIEUX, à L’ÉTHIQUE et à la DÉONTOLOGIE dans l’information et la communication! A défaut de voir l’Etat et les patrons de presse prendre leurs responsabilités par des mesures vigoureuses pour mettre un terme à ce laisser-aller regrettable, j’en suis arrivé à me poser la question de savoir s’il ne faudrait pas supprimer purement et simplement le CESTI et autres centres de formation de journalistes et laisser les « usurpateurs » et les « intrus » dans la profession, régner en maîtres et continuer à dénaturer les sciences et techniques du journalisme que le CESTI enseigne au Sénégal depuis 1965. Il convient de rappeler que ce fleuron que constitue le CESTI a été créé par le Gouvernement du Sénégal avec l’appui de l’UNESCO et des coopérations canadienne et française. Sa mission consiste à recycler les journalistes et à former des bacheliers et licenciés au métier de journaliste.

A mon avis, le métier de journaliste, c’est du sérieux. Ce n’est guère du Taf yëngël (bricolage). L’amateurisme n’y a pas sa place. C’est l’occasion pour moi de rendre un hommage à des ténors journalistes de talent et de référence comme Alassane Ndiaye Allou, Tata Annette Mbaye Derneville, Ibrahima Dème, Djibril Bâ, Pathé Fall Dièye, Abdoul Magib Sène, Ahmet Bachir Kounta, Abdoulaye Diaw (la bibliothèque du sport), Djadji Touré, Alioune Fall, Amadou Hanne Tounkara, Aly Kheury Ndao, Bara Diouf, Alé Ndao, Golbert Diagne, Mbaye Sidy Mbaye, Sokhna Dieng, Elisabeth Ndiaye, Ndiaye Mody Guirandou, Sada Kane et tant d’autres qui, ont écrit les plus belles pages du journalisme du Sénégal indépendant.

Face à cette préoccupante situation dans laquelle des usurpateurs confisquent inexorablement le métier des professionnels qualifiés, je souhaite une vigoureuse intervention de l’Etat, pour mettre un terme à l’anarchie! Je voudrais également inviter le Président Babacar Diagne et le CNRA à prendre en charge ce regrettable phénomène qui dénature les techniques et les sciences qui caractérisent les métiers du journalisme professionnel.

Je voudrais terminer en rappelant que la presse, c’est du SÉRIEUX ! Un journaliste n’est pas n’importe qui. Il n’est surtout pas un clown! Il est en principe, une Grande Dame ou un Grand Monsieur, toujours honorable, intègre et respectable! Il est toujours bien habillé! La présence et l’action du journaliste sont toujours indispensables dans toutes les grandes démocraties du monde! Il convient alors de rappeler que la comédie est un art qui a son rôle et son contexte. Le journalisme est une « technique » et une « science ». Il a donc son rôle et son contexte. Que chacun joue son rôle et garde bien son troupeau et le tour est joué! Qu’Allah (SWT) Maitre des cieux et de la Terre garde le Sénégal et le protège contre les mauvaises pratiques et les maléfices du COVID 19!

Moumar Guèye

Écrivain,

Président du Centre PEN Sénégal.

Grand-Croix de l’Ordre du Mérite.

Email: moumar@orange.sn

 
Aminata Deme
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