Comment la dimension raciale a pris une place centrale dans la campagne de Kamala Harris

Rédigé par Dakarposte le Samedi 27 Juillet 2024 à 16:13 modifié le Samedi 27 Juillet 2024 16:17

Si elle parvient à convaincre les électeurs lors du scrutin de novembre, Kamala Harris pourrait devenir la première présidente noire et sud-asiatique de l'histoire des États-Unis. Une perspective exaltante pour ses partisans, mais qui a déclenché une violente réaction raciale contre la favorite démocrate parmi ses détracteurs conservateurs.


Les attaques racistes ont commencé quelques heures seulement après que le président Joe Biden s'est retiré de la course à la Maison Blanche dimanche 21 juillet, et a annoncé soutenir la candidature de sa vice-présidente Kamala Harris, à la surprise générale.

Fille d'immigrés originaires de Jamaïque et d'Inde, Kamala Harris a remporté sa première élection, celle de procureur du district de San Francisco, en 2004. Au cours des deux décennies suivantes, elle a été procureure générale et sénatrice de Californie avant sa nomination à la vice-présidence, brisant en cours de route plusieurs plafonds de verre.

Ce parcours d'excellence n'a pas empêché ses détracteurs de lui instruire un procès en illégitimité. "Le niveau d'incompétence à Washington est à son paroxysme", a déclaré le député républicain Tim Burchett à CNN, qualifiant ironiquement Kamala Harris de leur "vice-président DEI" (pour diversité, équité et inclusion, NDLR) dans un message X.


L'acronyme n'a rien d'anodin. Les conservateurs l'utilisent souvent pour discréditer leurs adversaires issus de l'immigration, estimant que les mesures de discrimination positive conduisent les minorités à obtenir des admissions et des emplois au détriment de candidats blancs plus qualifiés. Les conservateurs considèrent en effet que ces mesures font partie de l'arsenal du "wokisme" dans un paysage américain marqué par les tensions raciales.



Les chaînes de télévision américaines conservatrices ont immédiatement nourri la polémique, certaines qualifiant Kamala Harris de "première présidente DEI des États-Unis". Sebastian Gorka, animateur de l’émission "The Gorka Reality Check" sur la chaîne conservatrice Newsmax, a par exemple déclaré que Harris serait la candidate démocrate "parce qu’elle est une femme et que sa couleur de peau est la bonne couleur DEI".

"Kamala qui rit"
Avec un candidat républicain blanc qui flatte sa base avec des propos xénophobes et une adversaire démocrate progressiste noire-américaine, la race et le genre ont pris une dimension centrale dans la course à la présidentielle américaine.

C'est Donald Trump lui-même qui a donné le ton du discours, un jour avant que Biden ne se retire de la course à la Maison Blanche. Lors d’un meeting de campagne à Grand Rapids, dans le Michigan, il a retenu un angle d'attaque particulier pour s’en prendre à la vice-présidente américaine. "Le rire est révélateur de beaucoup de choses", a déclaré Trump à ses partisans. "Je l’appelle ‘Kamala qui rit’. Vous l’avez déjà vue rire ? Elle est folle", a conclu le candidat républicain.



Quand la campagne de Kamala Harris a commencé à prendre de l'ampleur – la vice-présidente a récolté un montant record de 81 millions de dollars en 24 heures –, de nombreux électeurs républicains se sont inspirés de Donald Trump pour faire face à la popularité grandissante de la nouvelle venue.

Cette semaine sur Fox News, le présentateur conservateur Sean Hannity a déclaré que le rire de la vice-présidente était "l'une des raisons pour lesquelles les électeurs semblent détester Kamala Harris. C'est à vous d'en juger", a-t-il ajouté, avant que la chaîne ne diffuse un montage vidéo de Kamala Harris éclatant de rire lors de divers événements.

Kamala Harris, cible privilégiée des attaques en ligne
Cette stratégie agressive des républicains n'a pas échappé aux médias progressistes dont Newsweek, qui a publié un article sur "l'attaque de Donald Trump contre la 'folle' Kamala Harris". Lorsque le mari de la vice-présidente, Douglas Emhoff, a été interrogé à ce sujet, il a botté en touche les railleries de Donald Trump en demandant : "C'est tout ce qu'il a ?"

Mais Nadia Brown, directrice du programme d'études sur les femmes et le genre à l'université de Georgetown, à Washington DC, estime que l'attention portée par les républicains au rire de Kamala Harris va bien au-delà, et qu'il s'agit d'un jugement typique de ceux qui veulent rabaisser les femmes, en particulier les femmes de couleur. "Ce jugement a des connotations raciales et sexistes distinctes, fondées sur des stéréotypes qui dénigrent les femmes et les Noirs", explique-t-elle.

"Ils privilégient les attaques les plus cliché, ce qui, nous le savons, est souvent le cas en politique", a déclaré Nita Wiggins, maître de conférence à Sciences-Po Paris et auteur de "Civil Rights Baby : My Story of Race, Sports, and Breaking Barriers in American Journalism".

Des chercheurs observent que Kamala Harris est depuis longtemps la cible d'attaques sexistes. Un rapport publié en 2021 par le Wilson Center, basé à Washington DC, qui a analysé les conversations en ligne autour de 13 femmes politiques, a indiqué que la vice-présidente américaine concentrait 78 % des "récits" enregistrés qui étaient "racistes, transphobes ou de nature sexuelle".

Procès en illégitimité
Alors que la course à la Maison Blanche s'accélère, certains experts comme Stephen Fansworth, directeur du Centre d'études sur le leadership et les médias à l'université de Mary Washington en Virginie, prédisent une "campagne marquée par la stratégie de la terre brûlée".

"Son entrée en tant que candidate à la présidence change beaucoup de choses du côté républicain", a déclaré Stephen Wiggins. "La campagne de Trump a été prise au dépourvu. Trump et [son colistier JD] Vance n'avaient pas prévu que les démocrates présenteraient une femme, en particulier une femme noire ou une femme de couleur".

Les railleries sur "Kamala la rieuse" et les insinuations selon lesquelles l'ascension de la vice-présidente serait uniquement due à son identité raciale et sexuelle sont "liées aux 'griefs blancs' (ou racisme inversé, NDLR)", explique Nadia Brown. "Il s'agit de l'idée selon laquelle il existe des minorités non qualifiées qui prennent des emplois ou des postes à d'autres, souvent des hommes blancs, qui les ont mérités. La politique de revendication des Blancs a une longue histoire aux États-Unis. Ce n'est pas nouveau, mais je pense qu'elle est exploitée différemment de nos jours".

Courtiser le vote des Noirs
Mais si Donald Trump est doué pour dénigrer ses adversaires, rien ne prouve que cette stratégie fonctionne auprès de catégories essentielles – les électeurs indécis, les femmes et les groupes minoritaires.

Dans les mois qui ont précédé le retrait de Joe Biden de la course à la Maison Blanche, Donald Trump a tenté de séduire l'électorat noir en participant à plusieurs événements dans des églises noires et à des rassemblements dans le Michigan, en Caroline du Nord et dans le Bronx, à New York.

Lors d'une apparition dans le Bronx pour annoncer sa coalition "Black Americans for Trump", le candidat républicain a tenté de séduire les électeurs noirs en assimilant ses récentes poursuites pénales à la longue histoire de discrimination à laquelle les Afro-Américains ont été confrontés dans le système de justice pénale des États-Unis.

"J'ai été inculpé une deuxième, une troisième et une quatrième fois et beaucoup de gens ont dit que c'était pour cela que les Noirs m'aimaient bien, parce qu'ils ont été si durement touchés et discriminés", a déclaré Donald Trump.

"Le fait que Trump ait tendu la main aux électeurs noirs sous prétexte d'une certaine parenté, après qu'il a été condamné en justice, n'est pas du tout de bon augure pour les Noirs", a fait remarquer Nadia Brown.

Joe Biden ayant renoncé à se représenter, un certain nombre d'électeurs noirs, qui s'étaient auparavant déclarés déçus par le président démocrate octogénaire et qui penchaient pour Donald Trump, sont désormais prêts à donner une chance à Kamala Harris, selon les médias américains.

Une stratégie contre-productive pour Trump ?

Craignant qu'une campagne identitaire au vitriol contre Kamala Harris ne se retourne contre des groupes démographiques clés, tels que les femmes, les Noirs, les Latinos et les électeurs indécis, les dirigeants républicains ont mis en garde, cette semaine, les membres du parti contre les attaques ouvertement racistes et sexistes.

Lors d'une réunion à huis clos des républicains de la Chambre des représentants mardi, le président du Comité national républicain du Congrès, Richard Hudson, a exhorté les législateurs à s'en tenir à critiquer Kamala Harris pour son rôle dans les politiques de l'administration Biden-Harris, selon l'Associated Press.

"Cette élection portera sur les politiques et non sur les personnalités", a déclaré Mike Johnson, président de la Chambre des représentants, à la presse à l'issue de la réunion. "Il ne s'agit pas d'une affaire personnelle concernant Kamala Harris, a-t-il ajouté, et son appartenance ethnique ou son sexe n'ont rien à voir avec cela."

Mais comment respecter ces consignes avec un candidat aussi imprévisible que Trump ? "La question raciale va poser problème, notamment parce que Donald Trump lance des attaques personnelles ad hominem", estime Nadia Brown. "Les républicains ont déjà parlé de la race et du sexe de Kamala Harris de manière très négative."

De son côté, la candidature de Kamala Harris a également "mobilisé une foule de personnes issues de milieux marginalisés qui ont manifesté leur soutien et donné de l'argent à sa campagne, battant des records de collecte de fonds en raison de leur identité. On peut donc y voir des aspects négatifs et positifs", note l'universitaire. "Il est clair que Kamala Harris suscite l'enthousiasme, c'est stimulant".
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