Après s’être autoproclamé le 17 septembre, président du Burkina, à la suite d’un coup d’Etat, Gilbert Diendéré n’a eu d’autre choix que de déposer les armes le 23 septembre. Il déclare ce jour-là à la presse : « « Pour moi, le putsch est terminé, on n’en parle plus. Il faut aller vers la recherche de la paix, vers la recherche de la fraternité et je pense que nous allons y arriver … (…) Le plus gros tort a été de faire ce putsch parce qu’aujourd’hui lorsqu’on parle de démocratie, on ne peut pas se permettre encore de faire des actions de ce genre... Nous avons vu ce qui s’est passé, nous avons su que le peuple n’était pas favorable à cela, c’est pour cela que nous avons tout simplement abandonné (..) Je pense que nous avons tiré les leçons ». Et de déplorer le temps perdu, les morts et d’affirmer qu’il assumera ce qui s’est passé ! Sic ! Une déclaration que l’on pourrait qualifiée de « pitoyable », comme le font les internautes burkinabè, si ce coup d’Etat ne s’était pas soldé par 17 morts et de nombreux blessés, et s’il ne révélait pas de dangereuses pratiques des dirigeants français et de certains dirigeants de la CEDEAO.
Aux dernières nouvelles, le désarmement et le cantonnement s’étaient poursuivis dans le calme. Le conseil des ministres s’est réuni au grand complet, si ce n’est le ministre délégué à la sécurité, nommé après une précédente crise grave (voirhttp://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/140815/burkina-faso-nouvelle-tentative-de-destabilisation). Ce conseil a confirmé la dissolution du RSP. Et la justice a bloqué les comptes de plusieurs militaires et personnalités politiques de l’ex-majorité impliqués dans le putsch. Par contre, Gilbert Diendéré n’avait toujours pas été arrêté. Le Chef d’Etat major de l’armée avait déclaré, de son côté « S’agissant de son emploi futur, c’est une question qui relève du pouvoir politique et judiciaire » (Source :http://burkina24.com/2015/09/23/le-chef-detat-major-general-des-armees-annonce-la-reintegration-de-larmement-du-rsp/), appelant les gens aux calmes et souhaitant à tous une bonne fête de la Tabaski.
Le peuple, particulièrement la jeunesse, se mobilise malgré la répression
Comment en est-on arrivé là ? Les radios avaient annoncé le soir du coup d’Etat que l’armée s’était rallié au coup d’Etat. Difficile de savoir s’il s’agissait d’une nouvelle manipulation de Gilbert Diendéré, comme il a su dans le passé utiliser certains journalistes, ou si l’armée dans un premier temps avait effectivement rejoint le coup d’Etat.
Dès l’annonce du coup d’Etat, la réprobation du coup d’Etat se manifeste dans la rue dans l’ensemble du pays. Les informations qui parviennent de Province montrent petit à petit que l’armée ne bouge pas alors que de nombreuses manifestations se tiennent dans toutes principales villes. A Yako, la maison de Diendéré est même incendiée sans intervention d’aucune force de l’ordre.
A Ouagadougou, de nombreux barrages sont mis en place dans les quartiers à l’initiative de la jeunesse. Le RSP les réprime sauvagement. Ce sont, en effet, les militaires de ce régiment qui ont tué une vingtaine de personnes et blessé une centaine d’autres, pour empêcher les manifestations.
Les fondateurs du Balai Citoyen, Sams’K Le Jah et et Smockey, bien que recherchés ont pu s’enfuir à temps, avant que leurs maisons ne soient attaquées par des soldats. Il en est de même d’Hervé Ouattara leader du CAR (Citoyen africain pour la renaissance), chef du groupe parlementaire des organisations de la société civile du CNT (Conseil national de la Transition), lui aussi, joué un rôle de premier plan lors de l’insurrection. Très vite Smockey appelle à la résistance alors que Sams’K le Jah était annoncé arrêté, avant qu’il ne réapparaisse rapidement. Leur stratégie, s’appuyer sur les clubs qu’ils ont créé dans les quartiers pour multiplier les rassemblements et les barrages afin de déborder le RSP qui ne compte que 1300 soldats. Leur premier communiqué est diffusé le 18 septembre. Ils ne sont pas seuls. De nombreuses associations de la société civile, plus ou moins importantes, se sont crées depuis l’insurrection qui défendent la Transition.
Les appels à la résistance se sont multipliés. Notons surtout, dès le 17 septembre, ceux des organisations syndicales qui appelaient à la grève générale, et de la CCVC (Comité contre la vie chère) qui rassemble d’autres associations de la société civile plus anciennes, aux capacités de mobilisation importantes. Le CCPP (Cadre de concertation des partis politiques), constitué par les membres de l’ex-chef de file de l’opposition politique appellent aussi le 18 septembre à la « désobéissance civile » pour faire échec au Coup d’Etat « jusqu’au rétablissement de l’ordre institutionnel de la Transition ». L’UNIR/PS (Union nationale pour la renaissance, parti sankariste), membre du CCPP a continué quotidiennement à appeler à la résistance active.
Le rôle clé déterminant joué par Cheriff Sy, l’homme de la situation
Là-dessus, le Président du Conseil national de la Transition, entré lui aussi dans la clandestinité, ne tardait pas à réapparaitre en publiant rapidement des communiqués. Le Président Michel Kafando et le Premier ministre Issac Zida, étant détenus par le RSP, Cheriff Sy, dès le 17 septembre, se proclame le Président de la Transition par intérim. Il appelait « le Chef d’Etat major des armées et les chefs d’Etat major des différentes régions militaires à prendre immédiatement toutes les dispositions » pour faire cesser la « forfaiture » d’un « groupe armé ».
Il publie, ensuite, chaque jour une déclaration, renouvelant son appel au Chef d’Etat Major de l’armée. Et dès les premières informations reçues sur les discussions en cours avec la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (voirhttp://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/210915/burkina-le-projet-de-sortie-de-crise-de-la-cedeao-reprend-les-revendications-des-putschistes) il dénonce immédiatement le projet d’accord, qui, comme nous l’avons vu, reprenait une bonne partie des revendications des putschistes, et revenait à tourner le dos aux institutions de la Transition.
Cheriff Sy est le fils du général Baba Sy, très respecté au Burkina y compris dans l’armée, pour sa droiture et son intégrité. Sans doute, ce détail a-t-il eu une certaine importance aux yeux de l’armée, et pour le Chef d’Etat major des armées. Non seulement, ces appels redonnaient un d’espoir à ceux qui s’étaient mobilisés. Ce coup d’Etat a créé un profond découragement alors que l’on semblait aller aux élections sans trop de difficultés. Mais surtout, l’espoir pouvait renaitre. Un retournement de l’armée contre le RSP paraissait crédible. Reconnaissons à Cheriff Sy un certain culot, mais c’est dans les moments historiques que se révèlent les grands hommes politiques. Il a pris les bonnes décisions au bon moment.
Cheriff Sy avait par ailleurs d’autres atouts. Il est issu de la mouvance sankariste. Il a été à l’origine, avec Norbert Tiendrebeogo, récemment décédé, des premières initiatives pour la création d’un parti sankariste, peu de temps après que le pays n’adopte une Constitution en 1991. Assez vite il jeta l’éponge quand il se rendit compte que les dirigeants politiques qui se proclamaient des idéaux de Thomas Sankara, n’étaient pas crédibles, ou bien qu’ils allaient se perdre dans d’interminables querelles de personne. Il a présidé le comité d’organisation du 20ème anniversaire de l’assassinat de Thomas Sankara qui connut, un grand succès, malgré le manque cruel de moyen. Une double raison d’être apprécié par la jeunesse, et plus largement dans la société civile, sa filiation sankariste doublé de son refus d’entrer en politique.
Il s’investit, au début des années 90, dans le journalisme et créa le premier journal qui osait rendre hommage à Thomas Sankara. Il participa à la création du Centre de presse Norbert Zongo qui a joué un très grand rôle pour la libéralisation de la presse, dont il a été jusqu’à une période récente, le co-Président. Il était jusqu’à la Transition, Président des éditeurs de presse privée au Burkina Faso puis Président du forum des éditeurs africains de presse. On comprend donc pourquoi c’est lui qui a été élu Président du Conseil national de la Transition. Il vient de démontrer ses qualités d’homme d’Etat.
Le CEDEAO a-t-elle voulu maté le peuple burkinabè comme la CEE a humilié le peuple grec ?
On est en droit de se poser la question. Une bonne partie des présidents africains de l’Afrique de l’Ouest ne se sentent-ils menacés par la Transition ? Plusieurs d’entre eux ont déjà renoncé, après l’insurrection du Burkina, à modifier la Constitution ce qui leur aurait permis de se maintenir au pouvoir. Blaise Compaoré voulait aussi modifier la constitution, c’est ce qui l’a perdu. Ce sont pour la plupart ces mêmes présidents de pays de la CEDEAO qui ont porté aux nues Blaise Compaoré, « un homme de paix » disaient-ils, « le médiateur » qu’ils ont choisi pour désamorcer les conflits de la région. N’oublions non plus son rôle, aux côtés des rebelles ivoiriens, qui ont pris les armes contre le Président Gbagbo, et qui se sont rangés derrière Alassane Ouattara l’ami de l’ancien président du Burkina. Gilbert Diendéré avait signé des certificats de destinataire final d’armes au nom du Burkina, pour contourner ainsi l’embargo imposé par l’ONU à la Côte d’Ivoire, ces armes étant en réalité destinées aux rebelles ivoiriens. Ouattara, de par la position de son pays est des poids lourds de la CEDEAO.
Cette communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ne remet en cause ni la domination économique des puissances occidentales, ni le modèle libéral, ni le Franc CFA, ou bien timidement, qui donne à la France la maitrise de la politique monétaire de la région
Surtout la CEDEAO s’était prononcé contre le code électoral voté par Conseil National de la Transition, qui excluait les dirigeants des partis de l’ex majorité. Ouattara faisait campagne contre le code électoral burkinabè, comme le révèle le bimensul burkinabè Mutations (voir http://mutationsbf.net/index.php/politique/304-sommet-de-l-ua-le-president-ivoirien-en-campagne-contre-le-code-electoral-burkinabe). La CEDEAO avait demandé au Burkina d’y renoncer. Comme nous l’avons vu, le pays ne s’est pas soumis. Le Conseil Constitutionnel a appliqué le code éelectoral. Un camouflet pour la CEDEAO !
Alors que le Burkina est devenu en quelques années un important producteur d’or, la Conseil National de la Transition, a voté un nouveau code minier aux retombées bien plus importantes pour le pays que le précédent. Les multiples problèmes, rencontrés durant la transition ont empêché une bonne communication sur son contenu. Mais que penseront les citoyens des pays de la CEDEAO, s’ils comparent leur code minier avec celui en cours dans leur pays ? Ils risquent bien de demander des comptes à leurs propres dirigeants.
Voilà quelques éléments rendant crédibles l’idée que de nombreux présidents de la région voulaient en finir avec la transition.
Difficile de ne pas penser à la Grèce qui tient le haut de l’actualité depuis plusieurs mois. Le peuple grec remettait en cause les orientations de la CEE et son caractère anti-démocratique. Plusieurs témoignages, dont celui de Varoufakis, ont confirmé la thèse d’une volonté de la CEE de ne pas parvenir à un accord équilibré, mais plutôt de saboter toute tentative d’accord pour asphyxier la Grèce et l’humilier. Le Burkina n’était pas dans cette situation, mais nous avons souligné dans notre précédent article combien le premier projet d’accord de la CEDEAO, en donnant pratiquement raison aux putschistes, auraient signé la fin de la Transition. Ce qui aurait été une humiliation pour le peuple du Burkina qui avait retrouvé sa dignité lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014.
Les masques sont tombés. Les négociateurs du projet d’accord, Sall et Yayi Boni, ont été désavoués. Il a fallu les remplacer lors de la cérémonie officialisant le retour des institutions de la Transition. C’est le Président du Niger Mahamadou Issoufou qui l’a présidé.
A suivre…