Ces reformes nécessaires des institutions d’un pays pauvre comme le Sénégal : le cas de l’Assemblée nationale

Rédigé par Dakarposte le Lundi 31 Octobre 2016 à 17:03 modifié le Lundi 31 Octobre 2016 17:17

Avec Dakarmatin


L’Assemblée nationale a procédé à sa rentrée parlementaire qui consacre la reprise des activités des députés  pour l’année 2016-2017. Le travail de député est exaltant, c’est une mission publique d’une importance inestimable et des responsabilités honorifiques en ce sens qu’elle offre une occasion rare de servir la patrie et de représenter le peuple. Malheureusement, le député sénégalais n’a pas l’air de saisir cette portée. La fonction parlementaire apparaît comme une banalité, dépouillée de tout son caractère républicain. Le député semble être dans une « jouissance » personnelle de son énorme salaire, de ses milliers ou centaines de litres de carburant, de ses voitures de luxe et de bien d’autres avantages. Le député est inutilement bavard dans les médias et se permettant même toutes formes d’incivilités à l’hémicycle: invectives, injures, bagarres…Ceux de la majorité renoncent volontairement à leur indépendance et exécutent à la lettre les ordres de l’exécutif. Les lois sont votées selon le bon vouloir du Président de la République ou selon les intérêts crypto-personnels et politiciens des partis politiques.  A l’état actuel,  l’Assemblée nationale n’est pas à la hauteur de ses missions.  Pire, elle a renoncé à participer  à l’effort fiscal si précieux pour un pays pauvre comme le notre en ne reversant pas au trésor public les impôts prélevés des députés. 

Dans un article publié le 25 décembre 2013 dans le site d’information en ligne Seneplus et titré « Ce que coûte un député sénégalais », le journaliste Saliou Gueye informait que cette 11éme législature coûte 25 milliards au peuple sénégalais. Il indiquait que le président de l’Assemblée nationale gagne 8 millions mensuels, a à sa disposition une caisse noire de 50 millions par mois, 2 voitures (un 4X4 et un C5) et 10.000 litres de carburant par mois.  Les membres du bureau de l’Assemblée nationale (un nombre de16) et les 2 présidents des groupes parlementaires ont chacun un salaire mensuel de 3 millions, 2 voitures (un 4X4 et un C5) et 1000 litres de carburant par mois. Les 11 présidents de commissions ont chacun un salaire mensuel de 1.6 millions, 1000 litres de carburant par mois et une voiture. Quant aux députés simples, le salaire mensuel est de 1.3 millions,  ils bénéficient d’une voiture et d’une dotation mensuelle en carburant de 300 litres.

Ce traitement princier des députés me semble indécent à double titres ; d’abord parce que les députés travaillent très peu (absentéisme, faible participation aux travaux des commissions, peu de commissions d’enquêtes parlementaires, endormissement dans l’hémicycle…) et ensuite, parce que le Sénégal est un pays très pauvre (parmi les 25 pays les plus pauvres en 2015).  Devant une telle réalité, il devient nécessaire d’apporter des bouleversements heureux à travers des reformes courageuses et révolutionnaires dans cette institution.

 

Réduire radicalement le confort associé au poste de député
Revoir le mode de rémunération : l’idée des « indemnités de service », qui a déjà été soulevée est pertinente. L’idée est de mettre en place une motivation de base (ou salaire de base) commune à tous les députés y compris à ceux du bureau. A cette somme, seront  ajoutées des primes de fonction (membres du bureau, commissions et groupes parlementaires) et/ou de participation aux travaux de l’assemblée nationales en donnant plus de valeur aux primes de participation aux travaux des commissions. La prime sera accordée à la seule condition que le député ait assisté à toute l’activité parlementaire concernée. Cette pratique réduirait l’absentéisme, animerait davantage les commissions et rendrait plus productif le travail de l’assemblée nationale.
Mettre fin à l’octroi systématique de voiture et de carburant aux députés. Que fait un député avec 10.000, 1000 ou 300 litres de carburant ou 2 voitures ? Il faudra mutualiser le carburant et les voitures et ainsi mettre en place un parc d’automobiles des députés. Le parlementaire qui souhaite faire un déplacement pour une mission précise, doit formuler une demande argumentée. Une fois accordée, la voiture doit être utilisée exclusivement pour cette mission. Ainsi tout autre détournement d’objectif (transport des parents, des amis ou des militants) fera l’objet de sanctions. Cette mesure a une portée écologique car  réduirait le nombre des voitures 4X4 dont le potentiel de pollution est élevé.
Supprimer (ou réduire et encadrer)  la caisse noire du président de l’assemblée nationale. C’est incompréhensible que dans un pays aussi pauvre, on puisse mettre autant d’argent à la disposition d’une seule personne sans dispositif de contrôle (une comptabilité par exemple) prévu par la loi.
Vendre l’hôtel des députés qui ressemble davantage à une maison close. Son existence n’est pas justifiée, comme tout travailleur, le député a des revenus pour trouver son propre logement.
Ces réformes permettront à l’état de faire des économies qui pourront être orientées vers le financement de projets de développement. La réduction de ce confort rendrait aussi à la fonction parlementaire son sens militant et ainsi replacer le service désintéressé au cœur de l’activité politique.

 

Favoriser l’efficacité du travail parlementaire

Le député est un agent de l’état, donc un travailleur qui ne doit pas se soustraire de certaines obligations inhérentes au travail. Pour une Assemblée nationale efficace et travailleuse, les mesures ci-après sont nécessaires.
L’incompatibilité de la fonction parlementaire de toute autre activité lucrative (privée, élective ou nominative), au risque de perte son poste de député.
L’obligatoirement pour tout député d’avoir un diplôme ou une qualification lui permettant de savoir lire et écrire le français, la langue officielle de travail, parce que les documents administratifs sont écrits en cette langue. Au même titre que le ministre, il est nécessaire que le député  sachent lire, écrire et comprendre le contenu des textes qu’il est invité à juger afin de rendre efficace son travail de député. Cette mesure facilitera le travail parlementaire et réduirait significativement le temps consacré inutilement aux éloges et aux compliments.
 

Revoir le système représentatif 

Il est temps de se poser des questions sur notre système de démocratie représentative c'est-à-dire son adéquation avec les attentes des citoyens à les représenter. La délégation de pouvoir par le peuple aux députés a produit jusque là des résultats décevants. Le député ne fait toujours pas ce que la population aurait souhaité qu’il fasse. Dés lors ne faudrait-il pas trouver des formules idoines de légiférer sans l’intermédiaire d’élus « inutiles » ? Le système des assemblées populaires ne devraient-il pas être exploré en remplacement des députés ? Beaucoup d’autres pistes existent sans doute. Il est tant de poser ce débat, d’opérer des réformes  pour plus de conformité entre les délibérations de nos élus et les légitimes attentes des populations délégatrices de pouvoir. 

 

Reformer c’est aussi déconstruire des pratiques et défaire des habitudes. C’est souvent un exercice impopulaire qui nécessite du courage, des sacrifices et du patriotisme. L’Assemblée nationale en a besoin pour assumer son  rôle de premier ordre dans l’évolution économique et  démocratique de notre pays. Réformons-la, donc,  pour la vider de son confort et de son folklore et la rendre plus efficace et plus efficiente !

 

Dr Serigne Ndame Dieng

Chirurgien dentiste

Premier coordonnateur adjoint de la Fédération provisoire LDR/Yeesal de Paris,

chargé de la vie politique et de la communication.
Cheikh Amidou Kane
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