L’absence de combats pouvait laisser croire que la Casamance, une région du Sénégal, s’acheminait vers la paix. Mais un projet minier risque de rallumer un conflit jamais vraiment éteint.
Belle unanimité, pour une fois, au sein du MFDC, le mouvement indépendantiste casamançais. Toutes les factions de la rébellion se sont prononcées contre l’exploitation de zircon à Niafrang, près de la frontière gambienne. «C’est une déclaration de guerre, les armes parleront», prévient Mamadou Nkrumah Sané, le Secrétaire général du MFDC en exil. Pour le spécialiste du conflit casamançais, Jean-Claude Marut, « il y a un risque pour la paix ».
Pourtant, rien ne semble arrêter la société australienne Astron, basée à Hong Kong. Sur son site internet, elle annonce le démarrage des travaux pour le dernier trimestre de 2017. Le minerai recherché, le zircon, est utilisé dans une large gamme d’activités, de la joaillerie à l’industrie nucléaire.
Fin août 2017, le directeur de la société est venu visiter le site, accompagné d’un convoi militaire impressionnant. Des habitants barraient la route, avec des panneaux proclamant «La Casamance n’est pas à vendre». Ils sont inquiets pour leur environnement. Le zircon doit être extrait des sables lourds de la dune qui protège le village des assauts de l’Atlantique. A ses pieds, s’étend une vaste rizière, assurant la sécurité alimentaire d’une quarantaine de villages.
Un comité de lutte s’est créé, avec le soutien de ressortissants européens installés dans le secteur. Un collectif de scientifiques a lancé une pétition, L’appel de la dune, réclamant une expertise indépendante avant de démarrer les forages. Elle compte parmi ses signataires le très influent Jacques Attali, ainsi que plusieurs personnalités politiques sénégalaises de premier plan.
Les indépendantistes n’ont pas désarmé
Quant à la branche armée du MFDC, elle s’est invitée dans le débat. Bien qu’en sommeil et morcelée, elle n’a pas rendu les armes. Après 35 ans de guerre de basse intensité, l’armée sénégalaise, n’en est toujours pas venu à bout. Les maquisards, repliés sur leurs bases, le long des frontières de la Gambie et de la Guinée Bissau, disposent toujours de suffisamment d’armes pour harceler les forces sénégalaises, même s’ils ont perdu des capacités de repli en Gambie, depuis l’intervention ouest-africaine pour déloger le président Yahya Jammeh.
La future implantation minière de Niafrang est située à portée de frappes de plusieurs de ces groupes armés. Ils sont quatre à se partager le secteur. Leurs chefs s’appellent Prince, Paul Aloukassine, Fatoma Badji, et Salif Sadio.
L’unification de toutes ces factions, toujours souhaitée, jamais atteinte, est souvent considérée comme une étape préalable à un vrai processus de paix. En même temps, elle pourrait conduire à un renforcement de la branche armée, et c’est à cet objectif que travaille, depuis son exil parisien, Mamadou Nkrumah Sané. Selon lui, l’exploitation minière à Niafrang pourrait jouer le rôle de catalyseur. «Des discussions étaient déjà en cours depuis 2014. Elles ont été relancées autour de la question du zircon. C’est l’ennemi qui nous unifiera!», lance-t-il.
En jeu, la conception du développement de la Casamance
Une certitude, l’exploitation minière pourra difficilement démarrer sans une protection militaire constante, comme l’a laissé entrevoir la démonstration de force de fin août 2017. «L’armée ne pourra pas protéger les installations dans la durée, prévient Nkrumah Sané. A l’hostilité des rebelles s’ajoute les liens, les contacts qu’ils entretiennent avec les populations opposées au projet. «On peut s’attendre à des opérations spectaculaires de la part des groupes armés, et il n’est pas impossible que la population elle-même, très remontée contre le projet, ne mène des actions violentes», prévient Jean-Claude Marut.
Au-delà du rapport de forces militaires, ce qui est en jeu dans l’affaire du zircon, c’est la conception du développement de la Casamance. «Deux modèles de société s’affrontent: l’un consiste à faire de l’argent le plus vite possible, quelles qu’en soient les conséquences, l’autre à s’engager dans une logique de développement durable et participatif», explique le chercheur Jean-Claude Marut. Lequel rappelle que le projet minier s’insère dans une longue histoire de pillage des ressources naturelles de la Casamance dans le cadre de la mondialisation.
L’environnement impacté
Pour les scientifiques à l’origine de la pétition, les risques environnementaux ont été sous-évalués. La dune, déjà attaquée par l’érosion, pourrait selon eux se trouver encore plus fragilisée par les forages. Le pompage de l’eau de la nappe phréatique servant à séparer le sable du minerai pourrait entraîner une salinisation des rizières, conduisant à la disparition des ressources alimentaires de plusieurs milliers de personnes, obligées in fine de quitter leurs villages et d’émigrer.
Le géologue sénégalais responsable de l’étude d’impact, Ibrahima Diaw, estime quant à lui que beaucoup de fausses informations sont disséminées par les opposants au projet. «D’une part, il n’y a aucun risque de salinisation, car le pompage n’est prévu que dans la nappe phréatique profonde, située à plus de 150 mètres sous la surface, et celle-ci n’est pas en contact avec les rizières. D’autre part, aucun produit chimique n’est utilisé dans le processus d’extraction», rappelle-t-il.
Une information biaisée, selon les populations
A ceux qui ne voient pas comment la mine peut contribuer au développement de la région, Ibrahima Diaw rétorque que la compagnie a mis un fond social de 240.000 dollars à la disposition des populations. L’exploitation minière sera accompagnée de la construction d’une route, du forage de puits pour l’accès à l’eau potable, de la mise en place d’un éclairage publique et d’une aide à la production et la commercialisation de fruits.
Astron investit dans la communication
Ces projets, pour l’instant, n’existent que sur le papier. Mais pour convaincre les populations, la compagnie Astron utilise tous les ressorts de la communication. Elle a déjà signé un contrat de sponsoring avec l’équipe de football Casa Sport, pour un montant de 90 millions de francs CFA. Jadis haut lieu des revendications indépendantistes, les tribunes du stade de Ziguinchor afficheront désormais leur sympathie pour la firme australienne.
«Les moyens de pression économique sont énormes et l’opinion casamançaise versatile», reconnaît un membre de la diaspora à Paris. Raison pour laquelle la mobilisation prend de l’ampleur parmi les Casamançais de l’extérieur. «La diaspora a un rôle à jouer, elle peut faire changer les choses», ajoute Amadou Sylla, président de l’association SOS Casamance.
Le MFDC, quant à lui, n’est pas imperméable à la corruption, comme les Sénégalais ont pu le constater à l’époque de Wade, lorsque des émissaires allaient rendre visite à différents chefs de maquis avec des valises remplies de billets de banque. Mais il est en mesure de perturber l’exploitation minière, et d’enclencher avec l’armée un nouveau cycle de violences.
Les autorités sénégalaises ont décidé de se lancer dans un projet minier avant d’avoir résolu le conflit. Il n’est peut-être pas trop tard pour se rendre compte qu’un véritable accord de paix fait toujours défaut en Casamance.
Avec Géopolis