Ils sont dix. Dix corps sans vie, ensanglantés, allongés à même le sol ou sur des brancards usés. Certains sont recouverts d’un drap, d’autres non. Tous ont été tués par balles depuis mercredi 16 septembre au soir, au début du coup d’État des militaires du régiment de sécurité présidentielle (RSP) contre le régime de transition. Dans la morgue de l’hôpital Yalgado, ces victimes des putschistes sont pour la plupart des jeunes d’une vingtaine ou trentaine d’années.
Quelque 80 blessés en trois jours
Au services des urgences, le personnel médical tente difficilement de faire face à l’afflux des victimes. Avec l’appel à la grève générale lancé jeudi matin après l’annonce de la prise du pouvoir par les hommes du général Gilbert Diendéré, la majorité des infirmiers, médecins et chirurgiens sont absents. Des internes en médecine et du personnel en fin de formation ont été appelés en renfort pour épauler ceux qui sont toujours à leurs postes. « Nous avons reçu environ 80 blessés en trois jours, essentiellement des personnes touchées par balles », affirme un membre de l’équipe médicale.
Il y a là des jeunes hommes, mais aussi un petit garçon de sept ans et une grand-mère sexagénaire
Dans les couloirs des urgences, les blessés se remettent de leur opération ou attendent des soins, étendus sur des matelas. Ceux qui ont des blessures plus graves sont installés dans des chambres décrépies. Il y a là des jeunes hommes dans la force de l’âge, mais aussi un petit garçon de sept ans et une grand-mère sexagénaire, touchée, comme la plupart des blessés, à une jambe.
« Tu mérites la mort, mais c’est ton jour de chance »
C’est le cas de Soumaïla, 30 ans. Jeudi matin, alors que le général Diendéré venait d’être proclamé président du Conseil national pour la démocratie (CND), il était dans le quartier de Laarlé, dans le centre de la capitale, avec un petit groupe de manifestants. Un groupe de militaires du RSP à motos a alors chargé, provoquant un mouvement de foule. Les balles fusent. Une lui traverse le mollet. « Ils sont ensuite passé à côté, alors que j’étais allongé par terre, raconte-t-il. L’un d’entre eux m’a dit : ‘Tu mérites la mort, mais c’est ton jour de chance’. Puis ils sont partis, laissant plusieurs blessés derrière eux. »
Amadou a vécu le même sort. Jeudi matin, lui aussi est dans la rue pour dénoncer le coup d’État. Il fait partie d’un groupe de jeunes rassemblés devant le stade municipal. Une patrouille du RSP les prend en chasse. L’étudiant de 25 ans arborant un tee-shirt « Nous avons chassé Blaise Compaoré » tente alors de se réfugier chez le Mogho Naba, roi traditionnel des Mossis et figure respectée au Burkina. « Je n’ai pas eu le temps de rentrer dans la cour. Ils nous ont tiré dessus à bout portant », explique-t-il allongé sur son lit d’hôpital, une perfusion dans le bras. Il est gravement atteint à la cuisse mais s’en sortira.
Les sapeurs-pompiers à l’oeuvre
Épaulés par les membres de la Croix-Rouge burkinabè, les sapeurs-pompiers continuent, eux, à ramener des blessés à l’hôpital Yalgado. Si la situation semblait plus calme ce samedi dans le centre-ville de Ouagadougou, la tension était toujours perceptible dans certains quartiers, où des manifestants continuaient à défier la garde présidentielle en érigeant des barrages sur les routes ou en brûlant des pneus. En fin d’après midi, trois pick-up d’hommes en armes du RSP étaient positionnés place de la Révolution, haut-lieu de la contestation populaire lors de l’insurrection contre Blaise Compaoré, pour empêcher toute tentative de rassemblement.
Le couvre-feu, fixé de 19h à 6h du matin, est toujours en vigueur.