Jeune Afrique : Pourquoi avoir décidé d’être candidat à la présidentielle de 2024 ?
Mahammed Boun Abdallah Dionne : Au départ, je n’étais pas candidat. C’est Macky Sall lui-même qui m’a poussé à être candidat à l’investiture parce que mon parcours l’y autorise : j’ai été son chef de gouvernement pendant cinq ans. Il a fait de même avec Amadou Ba. J’ai de ce fait passé des entretiens, puisqu’un processus avait été mis en place afin de choisir la bonne personne.
Néanmoins, je n’ai pas décidé de me présenter uniquement en réaction à la décision qui a été prise. Si je suis candidat, c’est parce que j’ai mené une réflexion qui m’autorise, à titre personnel, à porter l’espoir de tout un peuple.
Mais en juillet, vous aviez promis de soutenir le choix du président Macky Sall, quel qu’il soit. Qu’est-ce qui a changé entretemps ?
Il faut relativiser. La vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain. Ce qui était vrai avant le 9 septembre ne l’est plus maintenant. Macky Sall a beaucoup fait dans le cadre de la transformation structurelle de l’économie sénégalaise. Mais il faut faire davantage en matière d’industrialisation. Et à l’heure où le pétrole arrive, il faut davantage d’inclusion sociale pour qu’il y ait moins de jeunes tentés de partir à l’aventure.
Vous avez toujours été perçu comme l’homme de confiance du président. Votre dissidence était la moins attendue...
Il n’y a pas de dissidence. Macky Sall est d’abord un frère et un ami. Il m’a appelé à ses côtés pour contribuer au développement du Sénégal et, dans la loyauté la plus totale, j’ai mis en œuvre le maximum de compétences et d’engagement professionnel à son service. J’ai donné le meilleur de moi-même. C’est l’avenir du Sénégal qui nous unissait. Aujourd’hui, il n’est plus candidat. Partant de là, n’importe lequel d’entre nous peut prétendre à à sa succession. Je ne demande pas la permission pour être président de la République.
La rupture est-elle donc consommée ?
Pourquoi y aurait-il une rupture entre lui et moi puisqu’il ne se représente pas ? Mon adversaire s’appelle Amadou Ba, pas Macky Sall, avec qui je n’ai aucun problème.
Pour moi, c’est la patrie avant le parti. C’est le peuple sénégalais qui décidera qui sera le prochain chef de l’État, le 25 février 2024, et j’espère que ce sera moi.
Qu’en est-il alors de votre avenir au sein de la coalition présidentielle ?
La coalition est un véhicule pour collecter les votes ou recueillir des parrainages. Moi je transcende la coalition et je parle directement au peuple sénégalais. Il n’y a que le peuple qui m’intéresse.
Vous avez entamé des discussions avec l’ancien ministre de l’Agriculture, Aly Ngouille Ndiaye, qui n’a pas non plus voulu se ranger derrière le candidat officiel de BBY. Comptez-vous mettre en place une alliance ?
Aujourd’hui, je discute avec Aly Ngouille Ndiaye et beaucoup d’autres candidats. J’ai mis en place ma propre coalition, Dionne 2024. Mais il n’est pas exclu que nous nous réunissions en coalition avec plusieurs autres formations politiques, une fois l’étape des parrainages passée.
Vous n’avez jamais été maire et n’avez pas de fief politique connu. Qu’est-ce qui vous fait dire que vous avez vos chances ?
J’ai longtemps été fonctionnaire international, cadre de la BCEAO [Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest]. J’étais donc inéligible, et la même règle s’applique d’ailleurs aux fonctionnaires des Nations unies.
Ceci étant dit, la fonction du Premier ministre est éminemment politique. J’ai aussi eu le grand honneur de porter les couleurs de la majorité présidentielle lors des législatives de 2017 et j’ai été élu député [ce mandat n’a pas été exécuté puisqu’il était chef du gouvernement au même moment]. J’ai gagné toutes les batailles électorales auxquelles j’ai pris part. Ce n’est pas le cas de tout le monde.
Mais depuis, vous avez disparu de la scène politique...
Après la victoire au premier tour du chef de l’État, Macky Sall m’a demandé de porter une réforme pour la suppression du poste de Premier ministre. Je l’ai mise en œuvre avec la plus grande loyauté et le plus grand engagement. J’ai quitté la primature en 2019 pour être ministre d’État, secrétaire général de la présidence chargé de la coordination gouvernementale pour finalement sortir un an après du gouvernement, sans explication de sa part.
Cette suppression de votre poste n’a-t-elle pas été source de frustration ?
Non ! J’avais en réalité quitté un poste de Premier ministre de la lumière pour devenir en quelque sorte un Premier ministre de l’ombre. Ensuite, pendant mes trois années d’absence, j’ai écrit mon livre [Le Lion, le papillon et l’abeille, aux éditions Débats publics], j’ai aidé Pathé Dione, fondateur du groupe Sunu, dans son projet de rachat de la Bicis et j’ai énormément travaillé sur des questions économiques. Je n’étais pas au chômage !
Que retenez-vous de vos années auprès de Macky Sall ?
Des années excellentes, un challenge collectif au service du Sénégal. Et le président Macky Sall est inattaquable sur son bilan. J’ai joué ma part en tant que son chef de gouvernement.
Vous êtes donc aussi comptable de son bilan...
Oui, je le suis, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de marge de progrès. Je ne suis pas un candidat de la continuité et de l’immobilisme. Moi, je serai un président de la progression et du renouvellement.
Face aux électeurs, que diriez-vous de différent du candidat de la coalition de BBY ?
Qui vous dit que j’ai la même philosophie de développement qu’Amadou Ba ? Je ne me satisfais pas du système multilatéral de coopération tel qu’il existe. Je suis pour des ruptures fortes dans la manière dont l’Afrique est gérée. J’aurais pu ne pas être candidat si j’étais rassuré sur sa vision à lui. Mais je ne le suis pas.
Vous laissez-vous la possibilité de changer d’avis et d’apporter votre soutien à Amadou Ba ?
Si c’était le cas, je serais resté au sein de la coalition au pouvoir. Je ne retournerai pas au sein de BBY.
Pas de soutien non plus lors d’un éventuel second tour ?
Non, mais à chaque jour suffit sa peine. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur les parrainages. Et j’espère que les autorités de ce pays seront transparentes et qu’elles laisseront participer tous les candidats qui passent cette étape.
Craignez-vous que votre dossier ne soit retoqué aux parrainages ?
Je travaille pour passer toutes les étapes, et j’entends bien franchir le premier tour et même battre celui qui sera en face de moi au deuxième. Je n’engage pas de combat pour les perdre.
Jeune Afrique