Les abords de la salle Al Akbar, entre Niarry Tally, Ben Tally et Sicap, étaient toujours débordants d’animation. Une foule bigarrée de jeunes, d’adultes et d’adolescents y traînait dès les premières heures de l’après-midi. C’était au milieu des années 1970. La belle époque du 7ème art au Sénégal ! On se rendait en bande de joyeux drilles ou en famille dans les dizaines de salles de la capitale. Rien qu’à Dakar, on dénombrait une quarantaine de cinémas et près de 80 dans tout le pays. Jusqu’au début des années 1990, le cinéma constituait l’une des principales distractions des jeunes. Que l’on habitait Castors, Dieuppeul, Grand Dakar, Colobane, Sicap, Ben Tally, Médina, Hlm, Niarry Tally, Fass, Gueule Tapée ou Pikine, on se plaisait à s’engouffrer dans les salles obscures pour s’émerveiller devant les images en technicolor racontant des histoires merveilleuses et abracadabrantes. Les jeunes de l’époque avaient adopté ce célèbre adage de la Sidec (Société sénégalaise d'importation de distribution et d'exploitation cinématographique) : « Quand on aime la vie, on va au cinéma ». Ils squattaient les alentours des salles dont les noms rendent nostalgiques ceux qui, à l’époque, baignaient dans l’insouciance de l’adolescence ou empruntaient allègrement les chemins de l’âge adulte : Al Akbar, Liberté, Magic, El Mansour, Roxy, Rex, Club, Le Paris, Plazza, El Hilal, Vox…, autant de salles gérées par les sociétés Comacico et Secma.
C’était le bon vieux temps, dans une ville de Dakar peu peuplée, sans embouteillages, aux rues et avenues propres, aux jardins fleuris et où il faisait bon vivre. Un Dakar que ne connaissent pas les jeunes nés entre les années 1980 et 2000. Des films mythiques étaient projetés dans les salles : « Baks » de Momar Thiam, « Le bracelet de bronze » de Tidiane Aw, « Xala » d’Ousmane Sembène, « Njangaan » de Mahama Johnson Traoré, « Le pull-over rouge » de Michel Drach, « Sacco et Vanzetti » de Giuliano Montaldo, « I comme Icare » d’Henri Verneuil et tant d’autres longs-métrages qui faisaient rire aux éclats ou verser des larmes de tristesse. Les programmes étaient même disponibles dans les pages du journal « Le Soleil », seul quotidien à l’époque, qu’on consultait avant d’aller en « matinée ou en « soirée ».
Les salles de cinéma, c’était toute une ambiance. On y sentait une odeur de cigarettes et de parfum bon marché, mélangée à celle de la sueur des centaines de personnes qui s’y entassaient. Il y avait aussi ces applaudissements, ces rires et ces cris d’indignation de spectateurs qui commentaient les scènes comme s’ils en étaient les véritables protagonistes. Des « trafiquants » de billets, à la mine patibulaire, jouaient des coudes et intimidaient les cinéphiles massés devant les guichets, pour acheter des dizaines de billets revendus plus chers. Ces colosses, communément appelés « bandits cinéma », circulaient au milieu de la foule bigarrée en craint à tue-tête : « billet 100, billet 100, billet 100 ! ». Et à force de répéter inlassablement cette phrase, nous avions l’impression d’entendre : « bissan, bissan, bissan ! ». Et ça nous amusait énormément.
Il y avait toute une activité commerciale autour des salles. Une véritable opportunité pour les mamans des quartiers environnants. Elles y vendaient des beignets sucrés, des acaras pimentés, des crèmes glacées, des bonbons de toutes sortes et, surtout, des « pains boulettes » dont nous raffolions. Les salles étaient toujours remplies, surtout les week-ends, et deux films étaient projetés par séance. Nous étions aux premiers balbutiements de la télévision et rares étaient les foyers qui disposaient d’un poste téléviseur. Alors les autorités profitaient des séances de cinéma pour faire leur propagande, avec les fameuses « Actualités sénégalaises » où l’on montrait presque toujours les voyages officiels du président Senghor à l’étranger. Ceux qui n’avaient pas les moyens de sa payer un billet faisaient du « bourlé » ou de la resquille en trompant la vigilance des vigiles. Les moins téméraires patientaient jusqu’au moment de l’entracte pour acheter un billet à moitié prix que revendaient ceux qui ne souhaitaient pas regarder le second film. Quant aux moins chanceux, ils attendaient la fin de la séance, lorsque les portes s’ouvraient, pour apercevoir les dernières images, juste avant le générique.
Aujourd’hui, tout cela est rangé dans les rayons des souvenirs des « vieux » Dakarois que nous sommes. On évoque ce passé avec beaucoup de nostalgie, mais aussi quelques regrets. La capitale ne vit plus vivre au rythme de l’activité culturelle intense autour du 7ème art. Télévisions, lecteurs Dvd et smartphones ont eu raison de ce qui restait comme salles. La plupart d’entre elles ont disparu ou servent à autre chose : Rex a été transformée en dancing (Penc mi), Al Akbar est devenue une église, Liberté et El Mansour sont tombées en ruines, Magic est désormais un centre commercial au milieu du marché des Hlm, un hôtel sera érigé sur le terrain du Paris... C’est le destin d'un cinéma de quartier, « il finira en garage, building ou supermarché », comme le dit Eddy Mitchell dans sa chanson « La dernière séance ». Pourtant, l’industrie cinématographique est très rentable si elle est bien structurée. Il y a quelques décennies, la société publique qui gérait le secteur faisait 200 à 800 millions de FCfa de bénéfices par an. Un pays comme le Nigéria, avec ses 150 millions de spectateurs, a compris ce potentiel économique. Son cinéma, qui produit chaque année pas moins de 2000 films, génère plus de 300 millions d'euros et 300 000 emplois !
C’était le bon vieux temps, dans une ville de Dakar peu peuplée, sans embouteillages, aux rues et avenues propres, aux jardins fleuris et où il faisait bon vivre. Un Dakar que ne connaissent pas les jeunes nés entre les années 1980 et 2000. Des films mythiques étaient projetés dans les salles : « Baks » de Momar Thiam, « Le bracelet de bronze » de Tidiane Aw, « Xala » d’Ousmane Sembène, « Njangaan » de Mahama Johnson Traoré, « Le pull-over rouge » de Michel Drach, « Sacco et Vanzetti » de Giuliano Montaldo, « I comme Icare » d’Henri Verneuil et tant d’autres longs-métrages qui faisaient rire aux éclats ou verser des larmes de tristesse. Les programmes étaient même disponibles dans les pages du journal « Le Soleil », seul quotidien à l’époque, qu’on consultait avant d’aller en « matinée ou en « soirée ».
Les salles de cinéma, c’était toute une ambiance. On y sentait une odeur de cigarettes et de parfum bon marché, mélangée à celle de la sueur des centaines de personnes qui s’y entassaient. Il y avait aussi ces applaudissements, ces rires et ces cris d’indignation de spectateurs qui commentaient les scènes comme s’ils en étaient les véritables protagonistes. Des « trafiquants » de billets, à la mine patibulaire, jouaient des coudes et intimidaient les cinéphiles massés devant les guichets, pour acheter des dizaines de billets revendus plus chers. Ces colosses, communément appelés « bandits cinéma », circulaient au milieu de la foule bigarrée en craint à tue-tête : « billet 100, billet 100, billet 100 ! ». Et à force de répéter inlassablement cette phrase, nous avions l’impression d’entendre : « bissan, bissan, bissan ! ». Et ça nous amusait énormément.
Il y avait toute une activité commerciale autour des salles. Une véritable opportunité pour les mamans des quartiers environnants. Elles y vendaient des beignets sucrés, des acaras pimentés, des crèmes glacées, des bonbons de toutes sortes et, surtout, des « pains boulettes » dont nous raffolions. Les salles étaient toujours remplies, surtout les week-ends, et deux films étaient projetés par séance. Nous étions aux premiers balbutiements de la télévision et rares étaient les foyers qui disposaient d’un poste téléviseur. Alors les autorités profitaient des séances de cinéma pour faire leur propagande, avec les fameuses « Actualités sénégalaises » où l’on montrait presque toujours les voyages officiels du président Senghor à l’étranger. Ceux qui n’avaient pas les moyens de sa payer un billet faisaient du « bourlé » ou de la resquille en trompant la vigilance des vigiles. Les moins téméraires patientaient jusqu’au moment de l’entracte pour acheter un billet à moitié prix que revendaient ceux qui ne souhaitaient pas regarder le second film. Quant aux moins chanceux, ils attendaient la fin de la séance, lorsque les portes s’ouvraient, pour apercevoir les dernières images, juste avant le générique.
Aujourd’hui, tout cela est rangé dans les rayons des souvenirs des « vieux » Dakarois que nous sommes. On évoque ce passé avec beaucoup de nostalgie, mais aussi quelques regrets. La capitale ne vit plus vivre au rythme de l’activité culturelle intense autour du 7ème art. Télévisions, lecteurs Dvd et smartphones ont eu raison de ce qui restait comme salles. La plupart d’entre elles ont disparu ou servent à autre chose : Rex a été transformée en dancing (Penc mi), Al Akbar est devenue une église, Liberté et El Mansour sont tombées en ruines, Magic est désormais un centre commercial au milieu du marché des Hlm, un hôtel sera érigé sur le terrain du Paris... C’est le destin d'un cinéma de quartier, « il finira en garage, building ou supermarché », comme le dit Eddy Mitchell dans sa chanson « La dernière séance ». Pourtant, l’industrie cinématographique est très rentable si elle est bien structurée. Il y a quelques décennies, la société publique qui gérait le secteur faisait 200 à 800 millions de FCfa de bénéfices par an. Un pays comme le Nigéria, avec ses 150 millions de spectateurs, a compris ce potentiel économique. Son cinéma, qui produit chaque année pas moins de 2000 films, génère plus de 300 millions d'euros et 300 000 emplois !