Libération quotidien est revenu dans son édition d'hier sur les dernières « pépites » des rapports 2016, 2017 et 2018-2019 de l’Inspection générale d’Etat (Ige).
Des « comptes bancaires clandos » débusqués
En fouillant dans les comptes du Fonds d’impulsion de la recherche scientifique et technique (First), les vérificateurs ont mis en cause des pratiques inédites. Lors des contrôles, il est apparu que, durant la gestion 2016, 67% des crédits du First (611,126 millions de Fcfa), dont la mission consiste à financer la recherche scientifique, ont servi à financer le fonctionnement de diverses structures du ministère de tutelle. A ce titre, il a été acquis notamment du carburant, des consommables informatiques ainsi que des billets d’avion pour des missions à l’extérieur.
Par ailleurs, d’autres manquements ont été relevés dans la gestion du compte bancaire irrégulièrement ouvert au nom du Fonds. Il s’agit d’un retrait non justifié de 15,245 millions de Fcfa en 2015, du défaut d’identification de bénéficiaires de chèques et d’une absence de justification, par le gérant du compte, de certains versements.
Cette ouverture de «compte clando» est aussi décriée au ministère de l’Education nationale. Le 18 juillet 2001, le Directeur de l’administration générale et de l’équipement (Dage) a ouvert, sans autorisation du ministère des Finances, un compte dénommé «Dage Dao» exclusivement alimenté par les recettes issues de la vente des dossiers d’appel d’offres. Ce compte, hors contrôle, a permis de régler des dépenses non répertoriées, d’accueillir des versements de contributions de partenaires au développement entre 2012 et 2016 etc.
Le constat a été aussi fait au niveau du Commissariat à la sécurité alimentaire (Csa) où il n’a pas été établi, lors des investigations, que les « caisses d’avances » mises en place dans les inspections régionales et les comptes bancaires ouverts au nom de cette direction avaient été autorisés par le ministre chargé des Finances.
Deux comptes cachés dans des mutuelles d’épargne
Les mêmes dérives avaient cours dans l’exécution du Projet de promotion des emplois verts logé à la Direction des financements verts et des partenariats. Ce projet figure dans la composante 3 du Programme de renforcement et de consolidation des acquis (Pcra) appelée «renforcement des capacités techniques et d’intégration des acteurs dans la gestion des ressources naturelles ». Pour l’exécution de ce projet, le point focal a ouvert, sans autorisation, deux comptes dans deux mutuelles d’épargne et de crédit pour y domicilier des fonds du Pcra destinés au financement des emplois verts.
Avec la première mutuelle, il a signé un protocole d’accord le 13 mai 2014 (sans approbation des ministères des Finances, de l’Environnement et des bailleurs) par lequel il s’engageait à verser à cette structure 300 millions de Fcfa. Ce montant a été réduit à 150 millions de Fcfa.
Les avenants numéros 2 et 3 ont intégré, dans les dépenses à payer par cette mutuelle, la prise en charge des activités de suivi des projets pour 8,9 millions de Fcfa et le financement du projet de maraîchage et de pépinières forestières pour 10 millions de Fcfa. Deux autres avenants ont été signés pour autoriser…la prise en charge de « missions » à l’extérieur du Sénégal.
Au total, cette mutuelle a reçu un montant de 160, 021 millions de Fcfa. Elle a financé 25 projets sur 56 dossiers examinés pour un montant de 156,384 millions de Fcfa. Aucune preuve de remboursement des crédits n’a été produite.
Avec la seconde mutuelle, le point focal a également signé un protocole d’accord non daté et non approuvés par les ministères précités et par le bailleur, en vertu duquel il met à sa disposition 200 millions de Fcfa. Cette mutuelle a financé 20 projets, selon le bon vouloir du point focal, pour 135 millions de Fcfa. Le reste de l’argent a « couvert » des frais de mission.
L’Anacim « offre » des véhicules à son personnel
A l’Anacim, un programme d’acquisition de véhicules dénommé «Car plan » a été initié par le directeur général au profit du personnel. Il est financé, par l’agence, à hauteur de 70% sous forme de subvention aux employés. Selon l’Ige, les bénéficiaires de cet avantage n’y avaient pas droit. Des dysfonctionnements ont été aussi notés lors de la mise en place du programme, notamment dans la procédure d’adoption et d’approbation des budgets des exercices 2016 et 2017 de l’agence. Il apparaît, à cet effet, que l’organe délibérant n’a pas disposé de tous les éléments d’appréciation qui lui aurait permis d’apprécier l’opportunité et la base légale du programme.
Le Sénégal…indemnise Richard Attias pour un marché bidon non approuvé
Mais tout ceci n’est rien par rapport aux manœuvres inouïes qui ont permis d’enrichir sans cause Richard Attias. Le contrat scandaleux qui lui a été attribué, dans le cadre de l’organisation du sommet de la francophonie après celui de l’Oci, n’était que la face visible de l’iceberg. En effet, le marché relatif à la gestion de l’événementiel et de la communication, signé entre la Délégation générale à la Francophonie (Dgf) et Richard Attias, a fait l’objet de deux avenants approuvés par l’autorité compétente. Le premier n’a pas d’incidence financière. Le second concerne la fourniture et l’installation d’un chapiteau de 2400 m2 au niveau du Cicad. Un projet de troisième avenant concernant l’équipement et l’aménagement du Cicad n’a finalement pas été approuvé. Il a, néanmoins, été exécuté et payé par…voie d’indemnisation. D’après l’Ige, « cette indemnisation a été effectuée en l’absence de pièces justificatives précisant la nature des biens et services objet de la commande et attestant de leur livraison ou exécution ». En effet, les « pièces justificatives » du mandat concernant cette opération ne sont constituées que du protocole d’accord d’indemnisation ainsi que d’un état de paiement produit par le délégué général. Il y est joint, par ailleurs, une attestation de bonne exécution de travaux délivrée à Richard Attias pour l’exécution de ce marché. Au total, révèlent les vérificateurs, le paiement a été fait en l’absence d’un procès-verbal de réception ou d’un certificat administratif et, encore moins, d’une facture définitive revêtue des mentions de liquidation et de certification.
Ucg et Entente Cadak-Car : 8 employés ont retiré 780,841 millions entre 2012 et 2015
Cette bamboula des plus ordurières sur les ressources publiques est aussi perceptible en scrutant les relevés bancaires de l’Ucg- qui avait aussi un compte caché- et de la défunte Entente Cadak-Car. En effet, plusieurs chèques ont été émis au nom d’agents de ces entités qui ont ainsi retiré d’importantes sommes d’argent. Au total, entre 2012 et 2015, 8 employés ont retiré 780,841 millions de Fcfa. Saisis par les inspecteurs pour se justifier, les concernés confirment avoir effectué ces opérations sur instructions du directeur général de l’Entente ou du coordonnateur de l’Ucg.
La mafia des ordures
Pire, les entreprises chargées de la collecte et de la mise en décharge des déchets solides urbains étaient payées selon des prix unitaires qui variaient en fonction de l’éloignement du département concerné du site de Mbeubeuss : Dakar et Rufisque : 9240 Fcfa la tonne ; Guédiawaye : 8580 Fcfa la tonne et Pikine, 7524 Fcfa la tonne.
D’après l’Ige, pour les besoins du paiement des sommes dues aux entreprises chargées de la collecte et de la mise en décharge des déchets solides indument appelées par les acteurs du nettoiement « concessionnaires », l’ancien coordonnateur de l’Ucg avait mis en place, le 16 novembre 2015, une commission interne composée de quatre agents. Cette commission était chargée notamment de la certification des services effectués par ces entreprises et de la validation de l’état de paiement établi après contrôle des factures des « concessionnaires ». Pour l’établissement de sa facture mensuelle, une entreprise applique, au poids total des ordures mises en décharge par ses camions, le prix unitaire correspondant à la zone de collecte. Ce poids est obtenu en consolidant les tickets de pesée délivrés à Mbeubeuss. Le montant hors taxe obtenu est majoré de la taxe sur la valeur ajoutée (18%), pour arrêter le total toutes taxes comprises de la facture, déposée auprès du maître d’ouvrage du programme.
Les prix unitaires ont connu une progression au cours des années. Ainsi, ils sont passés entre 1977 et 2006, de 4637 Fcfa à 5500 Fcfa la tonne de déchet collectée et évacuée à Mbeubeuss. Toutefois, une évolution spectaculaire a été notée en 2006 avec un concessionnaire rémunéré à raison de 33.000 Fcfa la tonne pour des services limités aux communes de Dakar-Plateau et de Médina alors que les prix étaient maintenus en l’état pour les autres. Selon l’Ige, ces prix ne découlent pas d’une évaluation objective du coût des prestations réellement effectuées.
Libération quotidien