Il n'était ni en terrasse d'un café, ni au concert du Bataclan, ni au Stade de France. Sans doute, en grand amoureux du ballon rond, regardait-il le match amical opposant la France à l'Allemagne, ce soir du 13 novembre.
Personne ne le saura jamais. Stéphane Hache, 52 ans, compte parmi les 130 victimes des attentats de Paris et de Saint-Denis. Mais une cruelle ironie du sort a voulu qu'il meure, seul, dans le petit studio qu'il occupait à Paris, passage Saint-Pierre-Amelot (XIe ), victime d'une balle perdue.
Alertés par des amis sans nouvelles depuis la veille, les pompiers l'ont retrouvé samedi dernier, au lendemain des attentats, dans ce petit appartement au premier étage qui faisait face à la sortie de secours du Bataclan. Son corps sans vie gisait à terre, atteint d'une seule et unique balle qui l'a touché dans le dos. Selon les premières constatations, celle-ci, vraisemblablement tirée par les assaillants, a ricoché sur le balcon avant de l'atteindre par la fenêtre ouverte. « C'est la malchance dans la malchance », soupire Philippe, son ami d'enfance.
«On n'aura jamais de réponse»
Stéphane a-t-il été directement visé par les terroristes ? A-t-il vu qu'on allait lui tirer dessus et tenté de s'éloigner de la fenêtre ? Ou faisait-il demi-tour pour aller aider les rescapés qui, par dizaines, fuyaient la salle de concerts ? « On n'aura jamais de réponse. Mais le résultat est le même : on nous a enlevé quelqu'un de cher. On sait juste que la balle l'a atteint tout près du cœur. Au moins, il n'a pas souffert... » se console Benoît, un autre ami qui le côtoyait dans le monde de la restauration depuis vingt-cinq ans. Stéphane et lui travaillaient pour des traiteurs haut de gamme, assurant des réceptions pour des clients de luxe, particuliers ou institutionnels. « On a servi tous les présidents depuis Mitterrand, avant ou après qu'ils accèdent à l'Elysée. C'était un grand pro, exigeant avec lui-même comme avec les autres, qui pouvait recadrer sèchement des petits jeunes, mais c'était sa façon de transmettre. Il avait la rigueur du métier à l'ancienne, celle qu'il avait acquise à l'école hôtelière », détaille Benoît. « Quelqu'un aussi d'une grande bonté, reprend-il, qui souriait toujours malgré les emmerdes de la vie. » « Stéphane, c'était la classe et l'élégance en toutes circonstances, y compris dans son habillement », racontent aussi tous ceux qui l'ont connu, dont Philippe, son frère de cœur.
Fils d'ouvriers, Philippe et Stéphane ont grandi ensemble dans la ceinture rouge de la banlieue parisienne, dans une grande barre HLM de la rue des Agnettes, à Gennevilliers. « Je vivais au numéro 12 et lui au 16, on était nés le même jour et on était tout le temps fourrés ensemble, à tel point que sa mère nous appelait les jumeaux ! » se remémore Philippe. Les deux compères partagent les mêmes écoles, leurs sacs de billes, vivent leurs mercredis au rythme des activités sportives proposées par la mairie communiste : gymnastique au sol et parties de foot endiablées. « C'était un passionné, il était incollable, capable de vous parler en détail d'une rencontre de la Coupe du monde de 1930 », raconte son copain d'enfance, admiratif.
Il avait tenté de refaire sa vie au Canada
Après une rupture amoureuse difficile il y a trois ans, Stéphane Hache avait tenté de refaire sa vie au Canada, puis à Montpellier et aux Sables-d'Olonne, pour se rapprocher de sa mère qui s'est établie il y a plusieurs années dans la station balnéaire.
« C'était un personnage », relate, émue, Elodie, 36 ans. Cette employée du restaurant Mercure des Sables, où Stéphane travaillait cet été en tant qu'extra, évoque d'emblée « une carrure, une prestance », chez celui qu'elle surnommait affectueusement « George Clooney », « à cause de sa magnifique chevelure poivre et sel ». « Il se définissait lui-même comme un vieux gars au grand cœur, et ça lui va parfaitement », dit-elle, en larmes. « Sa voix résonne encore dans ma tête, lâche la jeune femme, ces airs de Frank Sinatra qu'il fredonnait à longueur de journée... »
C'est « le cœur lourd », poursuit Elodie, que Stéphane Hache avait fait ses adieux, en septembre, faute d'avoir déniché un emploi à la hauteur de ses compétences. Il avait alors retrouvé à Paris son copain Benoît, avec qui il partageait l'amour du vin et de la bonne chère. « Il repartait de zéro, explique son ami. Mais il était déterminé et avait prévu d'acheter un appartement pour ses vieux jours dans le XIe, un quartier qu'il aimait beaucoup. Je l'ai d'abord hébergé chez moi, puis, pour qu'il ait son indépendance, mon amie lui a prêté son appartement. » Ce même studio dans lequel Stéphane Hache a trouvé la mort et dans lequel il vivait, ultime coup du sort, depuis seulement deux semaines.