Les difficultés financières qui pèsent depuis des mois sur l'administration du président Bassirou Diomaye Faye n'ont pas empêché le ministère des armées, chapeauté par Birame Diop, de conclure fin novembre 2024 un important contrat d'armement. D'une valeur de 317 millions d'euros (208 milliards de francs CFA), celui-ci a été approuvé par le chef d'état-major, le général Mbaye Cissé. Selon des documents "secret-défense" consultés par Africa Intelligence, ce marché vise à fournir une pléthore d'équipements neufs à l'armée de l'air, à la Marine nationale, à la Direction du matériel des armées (Dirmat) ainsi qu'à l'Intendance pendant les trois prochaines années.
C'est la société turque ICC Yapi Yatirim, présidée par Idris Nebi Yilmaz et représentée localement par Cissé Diop, qui a été sélectionnée par Dakar pour superviser la fourniture de cette longue série de matériels. Sur la méthode, ce contrat-programme présente des similarités avec les accords triennaux signés en 2018 et en 2021 entre l'administration de l'ex-président Macky Sall et le cabinet israélien de courtage d'armement AD Trade Belgium (AD Con), de Gaby Peretz (AI du 13/01/22).
Mais contrairement à l'homme d'affaires israélien, qui s'est bâti une solide réputation à Dakar et dans la région, Idris Yilmaz et sa société ne sont pas clairement identifiés dans les cercles restreints du business de défense. Par le passé, l'entrepreneur turc s'était positionné avec Yapi Insaat, une autre de ses sociétés, dans le secteur de l'énergie. Notamment au Mali, sur un projet de construction de centrales électriques. Il est également actif dans les infrastructures avec sa firme Yapi Taahhüt.
Avions, hélicoptères, navires…
Selon les clauses du contrat, l'armée de l'air sénégalaise, commandée par le général El Hadj Niang, doit recevoir deux avions Casa C295. Le premier, dont le coût avoisine 36 millions d'euros, est destiné au transport de troupes et le second, d'une valeur de 64 millions d'euros, à des missions de patrouille maritime. Un appareil qui pourrait se substituer au Falcon 50 de Dassault actuellement mis à la disposition de Dakar par la marine française, mais dont le rapatriement est envisagé dans le cadre du désengagement militaire de Paris (AI du 17/02/25).
Deux hélicoptères Leonardo AW139 doivent aussi être livrés pour 30 millions d'euros. À cela s'ajoutent des services de maintenance pour les drones d'attaque turcs Baykar TB2. Ces derniers sont utilisés depuis plusieurs années dans la plus grande discrétion par l'armée de l'air, notamment en Casamance et dans les régions de Tambacounda et de Kédougou, à la frontière avec le Mali.
Du côté de la marine, sous les ordres du contre-amiral Abdou Sène, la flotte devrait se renforcer avec un bâtiment de soutien logistique et un engin de débarquement d'infanterie et de chars (Edic). Des velléités déjà formulées par le haut commandement sous l'ère Macky Sall.
Épineuse question du financement
Enfin, l'armée de terre, sous les ordres du général Simon Ndour depuis janvier, doit aussi monter en puissance. Il est prévu qu'elle réceptionne une trentaine de véhicules blindés de transport Cobra II, fournis par le turc Otokar, un nombre équivalent de véhicules d'infanterie de combat de type 8x8 munis de canons de 105 mm et une soixantaine d'unités de reconnaissance. Ces acquisitions de matériel roulant sont estimées à plus de 70 millions d'euros. Pour les besoins de l'infanterie, viennent également s'ajouter les commandes de 10 000 carabines M4, de plusieurs centaines de fusils-mitrailleurs légers de type M249 et de mitrailleuses de 7,62 mm et de 12,7 mm.
Demeure l'épineuse question du financement de ce marché, dans une conjoncture économique tendue. Cette commande a été approuvée par le gouvernement sénégalais le 18 novembre 2024, soit quelques semaines après que le Fonds monétaire international (FMI) a gelé un programme de 1,8 milliard de dollars au profit de Dakar. En cause, un audit réalisé sous l'impulsion du président Bassirou Diomaye Faye et de son premier ministre, Ousmane Sonko, qui a révélé que les chiffres de la dette et du déficit communiqués par la précédente administration au FMI avaient été largement sous-estimés (AI du 15/01/25).
En proie à une situation budgétaire particulièrement délicate, les autorités sénégalaises sont depuis en discussion avec l'institution afin de convenir d'un nouveau programme. Des pourparlers qui contraignent Dakar à faire preuve d'une certaine transparence sur sa gestion financière, alors que le FMI refuse pour l'heure de s'engager sur un calendrier précis concernant le futur accord. Contacté pour vérifier que ce coûteux contrat lui a été notifié par le gouvernement sénégalais, le FMI n'a pas donné suite.
Relation spéciale
Le montage financier du deal interpelle également. En effet, le contrat mentionne une convention conclue en juin 2024 entre le ministère des finances sénégalais, dirigé par Cheikh Diba, et une entité baptisée Eminova Holdings International. Celle-ci est chargée de rémunérer la société ICC Yapi Yatirim en fonction de l'avancée des livraisons, par l'intermédiaire de la banque Kuveyt Türk Katilim Bankasi. Basé à Londres, Eminova, qui se présente comme une société de capital-investissement reconnue, est dirigé par l'homme d'affaires turc Hayri Sahin Ozdemir. L'entreprise n'a toutefois déclaré aucune activité significative depuis son inscription dans le registre du commerce britannique, en 2021.
La conclusion de ce marché de défense s'inscrit dans le sillage d'un vaste rapprochement esquissé d'abord entre Macky Sall et le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Symbolisé par la signature de contrats d'envergure dans le domaine du BTP au profit d'entreprises comme Summa, ce partenariat privilégié a été maintenu par Bassirou Diomaye Faye, qui s'est rendu en visite officielle à Ankara en octobre 2024.
À Dakar, cette relation spéciale est incarnée par Nur Sagman, ancienne "Madame Afrique" du président Erdogan, qui a été nommée ambassadrice au Sénégal en 2023. Désireuse de renforcer les liens entre les deux pays dans le domaine sécuritaire, Nur Sagman a contribué à organiser la venue à Dakar, mi-mars, d'une délégation de la Savunma Sanayii Baskanligi (SSB, l'agence turque de l'armement), emmenée par son directeur, Haluk Görgün. À plus long terme, l'ambassadrice planche aussi sur un potentiel déplacement de Recep Tayyip Erdogan au Sénégal, qui s'articulerait autour d'une tournée africaine que le président turc compte effectuer en 2025.
Pierre-Elie de Rohan Chabot, Maxime Paszkowiak
Africa Intelligence
C'est la société turque ICC Yapi Yatirim, présidée par Idris Nebi Yilmaz et représentée localement par Cissé Diop, qui a été sélectionnée par Dakar pour superviser la fourniture de cette longue série de matériels. Sur la méthode, ce contrat-programme présente des similarités avec les accords triennaux signés en 2018 et en 2021 entre l'administration de l'ex-président Macky Sall et le cabinet israélien de courtage d'armement AD Trade Belgium (AD Con), de Gaby Peretz (AI du 13/01/22).
Mais contrairement à l'homme d'affaires israélien, qui s'est bâti une solide réputation à Dakar et dans la région, Idris Yilmaz et sa société ne sont pas clairement identifiés dans les cercles restreints du business de défense. Par le passé, l'entrepreneur turc s'était positionné avec Yapi Insaat, une autre de ses sociétés, dans le secteur de l'énergie. Notamment au Mali, sur un projet de construction de centrales électriques. Il est également actif dans les infrastructures avec sa firme Yapi Taahhüt.
Avions, hélicoptères, navires…
Selon les clauses du contrat, l'armée de l'air sénégalaise, commandée par le général El Hadj Niang, doit recevoir deux avions Casa C295. Le premier, dont le coût avoisine 36 millions d'euros, est destiné au transport de troupes et le second, d'une valeur de 64 millions d'euros, à des missions de patrouille maritime. Un appareil qui pourrait se substituer au Falcon 50 de Dassault actuellement mis à la disposition de Dakar par la marine française, mais dont le rapatriement est envisagé dans le cadre du désengagement militaire de Paris (AI du 17/02/25).
Deux hélicoptères Leonardo AW139 doivent aussi être livrés pour 30 millions d'euros. À cela s'ajoutent des services de maintenance pour les drones d'attaque turcs Baykar TB2. Ces derniers sont utilisés depuis plusieurs années dans la plus grande discrétion par l'armée de l'air, notamment en Casamance et dans les régions de Tambacounda et de Kédougou, à la frontière avec le Mali.
Du côté de la marine, sous les ordres du contre-amiral Abdou Sène, la flotte devrait se renforcer avec un bâtiment de soutien logistique et un engin de débarquement d'infanterie et de chars (Edic). Des velléités déjà formulées par le haut commandement sous l'ère Macky Sall.
Épineuse question du financement
Enfin, l'armée de terre, sous les ordres du général Simon Ndour depuis janvier, doit aussi monter en puissance. Il est prévu qu'elle réceptionne une trentaine de véhicules blindés de transport Cobra II, fournis par le turc Otokar, un nombre équivalent de véhicules d'infanterie de combat de type 8x8 munis de canons de 105 mm et une soixantaine d'unités de reconnaissance. Ces acquisitions de matériel roulant sont estimées à plus de 70 millions d'euros. Pour les besoins de l'infanterie, viennent également s'ajouter les commandes de 10 000 carabines M4, de plusieurs centaines de fusils-mitrailleurs légers de type M249 et de mitrailleuses de 7,62 mm et de 12,7 mm.
Demeure l'épineuse question du financement de ce marché, dans une conjoncture économique tendue. Cette commande a été approuvée par le gouvernement sénégalais le 18 novembre 2024, soit quelques semaines après que le Fonds monétaire international (FMI) a gelé un programme de 1,8 milliard de dollars au profit de Dakar. En cause, un audit réalisé sous l'impulsion du président Bassirou Diomaye Faye et de son premier ministre, Ousmane Sonko, qui a révélé que les chiffres de la dette et du déficit communiqués par la précédente administration au FMI avaient été largement sous-estimés (AI du 15/01/25).
En proie à une situation budgétaire particulièrement délicate, les autorités sénégalaises sont depuis en discussion avec l'institution afin de convenir d'un nouveau programme. Des pourparlers qui contraignent Dakar à faire preuve d'une certaine transparence sur sa gestion financière, alors que le FMI refuse pour l'heure de s'engager sur un calendrier précis concernant le futur accord. Contacté pour vérifier que ce coûteux contrat lui a été notifié par le gouvernement sénégalais, le FMI n'a pas donné suite.
Relation spéciale
Le montage financier du deal interpelle également. En effet, le contrat mentionne une convention conclue en juin 2024 entre le ministère des finances sénégalais, dirigé par Cheikh Diba, et une entité baptisée Eminova Holdings International. Celle-ci est chargée de rémunérer la société ICC Yapi Yatirim en fonction de l'avancée des livraisons, par l'intermédiaire de la banque Kuveyt Türk Katilim Bankasi. Basé à Londres, Eminova, qui se présente comme une société de capital-investissement reconnue, est dirigé par l'homme d'affaires turc Hayri Sahin Ozdemir. L'entreprise n'a toutefois déclaré aucune activité significative depuis son inscription dans le registre du commerce britannique, en 2021.
La conclusion de ce marché de défense s'inscrit dans le sillage d'un vaste rapprochement esquissé d'abord entre Macky Sall et le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Symbolisé par la signature de contrats d'envergure dans le domaine du BTP au profit d'entreprises comme Summa, ce partenariat privilégié a été maintenu par Bassirou Diomaye Faye, qui s'est rendu en visite officielle à Ankara en octobre 2024.
À Dakar, cette relation spéciale est incarnée par Nur Sagman, ancienne "Madame Afrique" du président Erdogan, qui a été nommée ambassadrice au Sénégal en 2023. Désireuse de renforcer les liens entre les deux pays dans le domaine sécuritaire, Nur Sagman a contribué à organiser la venue à Dakar, mi-mars, d'une délégation de la Savunma Sanayii Baskanligi (SSB, l'agence turque de l'armement), emmenée par son directeur, Haluk Görgün. À plus long terme, l'ambassadrice planche aussi sur un potentiel déplacement de Recep Tayyip Erdogan au Sénégal, qui s'articulerait autour d'une tournée africaine que le président turc compte effectuer en 2025.
Pierre-Elie de Rohan Chabot, Maxime Paszkowiak
Africa Intelligence