Alliance des États du Sahel : un an après, l'échec sécuritaire face aux attaques jihadistes

Rédigé par Dakarposte le Dimanche 22 Septembre 2024 à 15:54 modifié le Dimanche 22 Septembre 2024 15:59

Tout juste un an après sa création, l'Alliance des États du Sahel, un pacte de défense mutuelle entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, vient de subir un revers sans précédent lors de la double attaque perpétrée mardi à Bamako par le Jnim, affilié à Al-Qaïda, au cœur de la capitale malienne. Malgré ses dénégations, l'AES fait face à une grave dégradation sécuritaire dans la région.


À Bamako, après le choc vient le temps des questions. Le 17 septembre, l'école de gendarmerie de Faladié puis la base 101 de l'aéroport, deux sites stratégiques de la capitale malienne, se sont retrouvés sous les feux des jihadistes du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Jnim ou GSIM), affilié à Al-Qaïda, dans une double attaque sans précédent.

"La situation est sous contrôle. Les terroristes infiltrés ont été neutralisés", assurait pourtant le général malien Oumar Diarra, chef d'état-major des armées, après la première attaque survenue aux aurores. Quelques heures plus tard, des vidéos filmées par les jihadistes les montraient en train de tirer dans un hall déserté de l'aéroport et d'incendier le réacteur d'un appareil qui semblait appartenir à la flotte officielle. D'autres images montraient d'épaisses fumées s'élevant du hangar présidentiel. Les deux attaques ont fait, selon les premières estimations de sources sécuritaires, au moins 70 morts et plus de 200 blessés.


Une défaite cuisante pour le président de transition malien Assimi Goïta, qui célébrait deux jours avant les "victoires importantes" qui ont "affaibli les groupes armés terroristes" depuis la création de l'Alliance des États du Sahel (AES). Ce pacte de défense mutuelle a été conclu entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso le 16 septembre 2023, pour rétablir la paix dans les trois pays en proie à la violence jihadiste.


Fragilité sécuritaire

"Nous continuons de lutter sans relâche contre toutes les formes de terrorisme, pour défendre l'intégrité de nos territoires et notre souveraineté" déclarait, confiant, Assimi Goïta, président en exercice de l'AES, à l'occasion du premier anniversaire de cette alliance. Il a ensuite annoncé la création d'un passeport biométrique et d'une chaîne d'information commune.


"La réalité a vite rattrapé le discours", analyse Amara Mohamed, sociologue malien, pour qui "une fragilité de l'appareil sécuritaire" a empêché les agences de renseignements d'anticiper les évènements de Bamako. Le jour même, alors que les coups de feu retentissaient dans la ville, Assimi Goïta était en pleine réunion avec une délégation de la confédération des États du Sahel pour discuter défense, mais aussi diplomatie et développement.

Créée à la suite du coup d'État au Niger, le 26 juillet 2023, alors que la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) menaçait d'intervenir militairement à Niamey, l'Alliance des États du Sahel avait d'abord une visée purement sécuritaire, avant de devenir, en juillet dernier, une confédération. D'après les textes de base, les trois pays s'engagent sur un partage d'informations, de renseignement, de coopération et de défense mutuelle.


L'effet de surprise des groupes jihadistes
"L'AES est surtout concentrée sur la protection des bases militaires, plutôt que sur une surveillance accrue des groupes terroristes, pour qui c'est une aubaine", reprend Amara Mohamed. "Il est donc facile pour les jihadistes de s'installer dans la zone des trois frontières [située au Sahel entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, NDLR] ou de descendre à Bamako."

D'après l'ONG Acled (Armed conflict location and event data), qui collecte des données sur les conflits armés, le nombre de civils tués n'a cessé d'augmenter dans les trois pays, faisant plus de 10 000 morts en 2023. Un chiffre qui a triplé depuis 2020. Au Mali, 14 % de la population est désormais exposée au conflit. Vendredi 20 septembre, après avoir subi deux attaques en deux jours au nord-ouest et sud-est du pays, le gouvernement du Niger a annoncé des "des mesures exceptionnelles" de sécurité.


Au Burkina Faso, dans la boucle du Mouhoun particulièrement (nord-ouest), le nombre "d'événements politiques violents" devrait connaître une hausse de 50 % au cours du deuxième semestre 2024, selon les prévisions réalisées par Acled. Le 24 août, plus de 200 civils ont été tués dans l'attaque de Barsalogho, dans le centre-nord du pays. "L'attaque de Barsalogho, comme celle de Bamako [au Mali], relève de l'imprévisible", analyse Amara Mohamed. "Avec un tel effet de surprise, les groupes jihadistes auront toujours un pas d'avance sur les armées de l'AES", explique le sociologue.


Guerre de communication
Pourtant la communication officielle de l'AES n'en démord pas : selon elle, depuis la création d'une force conjointe des États de l'AES début mars, les victoires s'enchaînent dans la région .

"Fin juillet, la Force conjointe de l'AES met pied sur Tin Zaouatine [dans le nord du Mali]. Ainsi, le dernier réduit de la coalition terroriste tombe après Kidal", a-t-on pu entendre alors à la télévision nationale burkinabè. De l'autre côté du front, les membres du Cadre stratégique pour la défense du peuple de l'Azawad (CSP-DPA), groupe indépendantiste à majorité touareg, ont pourtant assuré de leur victoire sur l'armée malienne et ses supplétifs russes.


"Le seul point fort de l'AES, c'est sa communication à outrance", assure encore Amara Mohamed. "Il est difficile de quantifier la part de vérités et de contrevérités dans ce qui est dit." Selon lui, une partie de la jeunesse rurale, galvanisée par la lutte contre l'Occident, croit à ce rêve de liberté et d'indépendance vendu par l'Alliance.



Le jeu des alliances
"Il ne faut pas confondre les batailles contre le CSP-PDA avec celles contre les groupes terroristes", précise encore le sociologue, dénonçant l'amalgame. "Kidal, Tin Zaouatine … C'est politique. Les autorités maliennes pourraient trouver un nouvel accord avec les rebelles, alors que les groupes jihadistes, aux motivations idéologiques, sont fermés aux négociations."

Alors qu'Assimi Goïta accuse l'Ukraine de "se ranger du côté du terrorisme au Sahel" en soutenant le CSP, le partenariat entre la Russie et le Mali s'annonce lui, moins efficace que prévu.

Le jeu des alliances ne s'arrête pas là. Le 1er septembre, les groupes indépendantistes du Nord-Mali (CSP-PDA) ont annoncé mutualiser leurs forces avec le Front patriotique de libération (FPL), mouvement rebelle nigérien. Quant au gouvernement de Niamey, il a préféré garder un pied dans la Cédéao en rencontrant une délégation du Nigeria fin août, avec qui il partage une frontière sensible.

Si les deux pays ont signé un protocole d'accord visant à renforcer leur coopération sécuritaire, le Niger ne compte pas pour autant s'éloigner ses deux voisins putschistes. Mercredi, une délégation de fonctionnaires parlementaires s'est déplacée à Ouagadougou, tout comme les Maliens l'ont fait avant eux. Avec pour objectif la création prochaine d'un parlement de la confédération de l'AES.








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