Ancien technicien à Air Afrique et dans l'armée de l'air sénégalaise, l'expert aéronautique Al Hassane Hann pointe la gestion de Philippe Bohn, qui a récemment démissionné (ou a été limogé) de son poste de directeur général d'Air Sénégal. Parmi ses griefs contre le manager français, la panne de l'A330 supposé neuf.
Comment avez-vous accueilli le départ de Philippe Bohn de la direction d'Air Sénégal SA ?
Cela m'inspire beaucoup de choses. Air Sénégal avait débuté avec deux ATR-72. Il semblerait que l'un des appareils ait heurté un oiseau en provenance de Ziguinchor. Un incident qui l'avait finalement cloué au sol. Par la suite, pendant l'hivernage, il y a eu ce coup de vent qui avait endommagé l'autre ATR. Maintenant, le nouvel avion A330 tombe subitement en panne. On nous parle de joint qui immobilise un avion prétendu neuf pendant 10 heures, pour une compagnie qui débute. Pour les profanes, peut-être, ils ont des explications à donner, mais pour nous, c'est inexplicable. C'est totalement inacceptable dans le secteur de l'aviation civile.
La faute à qui ?
L'avionneur qui a fourni cet appareil doit donner des explications. L'avion est tout neuf, et si le moteur qui est aussi censé être tout neuf aussi, rencontre ce genre de dysfonctionnements après seulement quelques mois d'exploitations, ça pose un énorme problème. Les joints, tels qu'ils sont conçus, sont approuvés et certifiés. Ils doivent être remplacés après un certain nombre d'heures de fonctionnement. Et la durée est assez longue.
En dehors de cette panne d'avion supposé neuf, que peut-on reprocher à Philippe Bohn ?
Il y avait déjà d'énormes problème au niveau de la compagnie, des mésententes entre le personnel et la direction générale. S'il s'y ajoute maintenant ces genres de panne et des désagréments causés à tous ses passagers, cela pose un énorme problème pour une compagnie qui se doit d'être compétitive.
"Nous avons énormément de cadres au niveau de la diaspora qui sont capables de revenir pour redorer le blason d'Air Sénégal"
Donc à l'arrivée Philippe Bohn n'était pas un bon choix ?
Quand il a été promu directeur général de Sénégal Air, beaucoup de voix se sont élevées. Il faut rappeler que d'après son cursus, il n'est pas étranger à la firme Airbus ni à la compagnie Air France. Donc, amener des avions d'Airbus à Air Sénégal, un partenaire d'Air France, en plus bombarder un homme de ce consortium-là directeur général de la compagnie Air Sénégal, cela pousse à poser un certain nombre de questions liées notamment à la souveraineté de la compagnie sénégalaise. C'est là où le bât blesse. Parce que les gens se demandent pourquoi le Sénégal ne peut pas avoir un personnel qui lui est propre, un personnel essentiellement sénégalais. Il y a un élan de patriotisme qui a une très grande importance dans ces cas de figure. Quand il y a des problèmes, les gens sont censés se retrouver, se concerter, faire des sacrifices même pour relever ensemble les défis.
Bohn quitte la direction, Ibrahima Kane, un Sénégalais, ancien directeur général du Fonds souverain d'investissements stratégiques (Fonsis), prend sa place. Mais pour faire décoller Air Sénégal, il faudra sans doute plus qu'un changement à la tête de la compagnie.
Vous savez une compagnie aérienne, c'est les avions et les missions. Des missions avec un remplissage acceptable des appareils. Il ne sert à rien de faire voler des avions à vide ou à moitié pleins. Et pour cela, il faut une politique. C'est tout un processus, il faut des investissements dans un premier temps. Même les gens font appel à des subventions, dans les limites tolérés par l'organisme de l'aviation civile internationale. Tout ceci, pour acquérir de la clientèle et la fidéliser.
Au-delà de la politique de marketing que la compagnie doit faire, elle doit aussi s'ouvrir à la clientèle avec la manière la plus généreuse possible. C'est ce que faisait la défunte Air Afrique.
Cette unique compagnie nationale se doit d'être à équidistance de tous les Sénégalais. Malheureusement, depuis Air Sénégal international, puis Sénégal Airlines et aujourd'hui, Air Sénégal SA, nous ne recevons qu'une piètre image de ces compagnies. Il y a énormément de problèmes. Nous avons énormément de cadres au niveau de la diaspora qui sont capables de revenir servir le pays à travers la compagnie pour redorer son blason.