Quel regard jetez-vous tout d’abord sur le contexte assez tendu entre acteurs, à moins d’un mois moins du référendum ?
Nous sommes dans un contexte qui est envahi par la passion. Je pense que le premier appel qu’il faut lancer pour que nous puissions véritablement travailler dans le sens des intérêts de notre pays, c’est d’abord de dépassionner le débat. Il faut que chacun comprenne que c’est l’avenir de notre pays qui est en jeu. Ce ne sont pas nos intérêts personnels qui doivent être pris en compte, mais ceux de notre cher Sénégal qui doit être placé au-dessus de tout. J’invite tout le monde à une introspection pour que chacun comprenne qu’aujourd’hui, c’est l’avenir du pays qui est en jeu. Le président de la République a eu à inviter la Cnri à faire un certain nombre de recommandations, à la suite d’un travail de consultations menées sur l’ensemble du territoire national, lequel lui a permis de tâter le pouls des populations pour connaître leurs attentes par rapport à ce qui pourrait faire avancer notre pays en matière de démocratie. Dans tous les pays du monde, il en a toujours été ainsi. Les démocraties avancent de manière progressive. Tout ne s’obtient pas de manière rapide et brutale. Je suivais un documentaire sur Gandhi et on y voit l’évolution du combat qu’il a mené et qui a conduit à l’indépendance de l’Inde et au renforcement de sa démocratie. Nous ne pouvons pas échapper à cette démarche. Mais la différence, c’est qu’en un moment donné, les dirigeants de ces pays ont pu surmonter ces passions-là. Ils ont eu un esprit de dépassement par rapport aux passions qui entouraient les sujets de discussions pour pouvoir se retrouver autour de l’essentiel. La clé de l’évolution des pays se trouve à ce niveau-là. Mais si chacun ferme les oreilles, campe sur ses positions, malheureusement cela pourrait déboucher sur des situations catastrophiques pour le pays. C’est cela qu’il faut éviter. Je voudrais inviter dans un premier temps les uns et les autres – avant même qu’on arrive à la discussion sur le contenu des sujets –à comprendre que c’est l’avenir du Sénégal qui est en jeu, celui de notre démocratie. Notre pays a toujours été cité en modèle par rapport aux processus démocratiques.
Le dialogue est-il la voie obligée pour dépassionner le débat ?
Aucun problème ne peut être résolu sans concertations. Aujourd’hui, il y a une cristallisation des positions. Il faut qu’on dépasse cette situation et qu’on en arrive à pouvoir discuter autour des sujets qui peuvent faire avancer le pays.
Donc, on ne peut pas être dans des positions maximalistes qui ne sont bonnes ni pour le pays ni pour les acteurs de la société, que ce soit les partis politiques ou les organisations de la société civile. Je suis plutôt favorable qu’il ait un esprit de concertation et de dialogue. D’autant plus d’ailleurs, que la plupart de ceux qui disent qu’ils vont voter « non », sont des acteurs du 23 juin. Je suis membre fondateur du M23 avec Alioune Tine, Mame Adama Gueye et autres. Nous avons des positions différentes par rapport à une situation politique. Ce qui est tout à fait normal. C’est tout à fait normal. Il peut même arriver que, dans un pays, des gens ne soient pas d’accord sur un point, mais cela ne doit pas remettre en cause le principe fondamental de sauvegarder les valeurs républicaines et tout ce qui doit nous unir et consolider notre Etat de droit.
Selon vous, autour de quels points le dialogue devrait-il s’articuler ?
Il faut partir d’abord de l’idée que le président de la République a préconisé un certain nombre de mesures. Il faut voir quelles sont ces mesures. Est-ce qu’elles remettent en cause les principes de la démocratie ? Ceux qui disent « oui » confortent la proposition du Président de la République, mais ceux qui disent « non » aussi devraient partir de l’idée que si le « non » devait l’emporter, quelque part ils se seraient auto-flagellés. Parce que la plupart des points qui figurent sur les propositions faites par le président de la République, ont été dans un passé récent réclamés par ceux qui, aujourd’hui, appellent à voter « non ». Est-ce qu’en votant « non », ils ne se seraient pas eux-mêmes sanctionnés par rapport à des choses qu’ils ont toujours réclamées. Je pense c’est là où il faut faire preuve de réalisme et de responsabilité.
A supposer, par exemple, que le « non » l’emporte, on va continuer à avoir un Président élu pour 7 ans et une Assemblée nationale qui n’aura aucun droit de regard sur l’évaluation des politiques publiques. Ce qui est actuellement le cas. Or, ne serait-ce que pour cela, tout le monde devrait voter « oui ». Et pourtant, je connais des gens qui sont dans ce mouvement du «non» et qui sont pour l’élargissement des structures qui peuvent évaluer l’Etat, notamment l’Assemblée nationale. Mais pourquoi refuseraient-ils cette option qui leur est offerte, au seul principe qu’on n’a pas introduit la rétroactivité de la réduction du mandat. Cette rétroactivité est un des éléments d’un cercle de 15 points qui vont créer les conditions d’une avancée extraordinaire par rapport au renforcement de notre système démocratique, au cas où le «oui» l’emporterait. Je pense que c’est là qu’on devait plutôt réfléchir.
Le vote du « non » au référendum n’est-il un moyen pour l’opposition de prendre sa revanche sur Macky Sall ?
Mais il ne faut pas qu’on considère ce référendum-là comme une simple sanction qu’il faudrait infliger à un président de la République avec lequel on n‘est pas d’accord. J’ai comme l’impression qu’il y a une confusion de cible. Il faut différencier les attaques contre Macky Sall de la volonté de renforcer la démocratie. Si on veut faire mal à Macky Sall en votant « non », cela reviendrait à se faire mal en ne votant pas pour des principes qu’on a toujours défendus.
Et si la question de la rétroactivité était posée par l’opposition et la société civile comme préalable au dialogue ?
Cela nous ramènerait au Conseil constitutionnel. Le président de la République a fait ce qu’il devait faire, en consultant le Conseil constitutionnel. Cette institution lui a donné un avis ou une décision, selon l’interprétation qu’on peut lui donner. Mais en matière de jurisprudence, jamais dans l’histoire politique du Sénégal, un président de la République n’a eu à contester ou revenir sur un avis ou une décision du Conseil constitutionnel. Pourquoi le Président Macky Sall serait-il le premier à le faire ? En respectant l’avis ou la décision du Conseil constitutionnel, il s’est conformé à la loi. Il s’est conformé à l’orthodoxie, aux pratiques qui ont toujours été en vigueur dans notre pays. Je crois qu’il est resté fidèle à l’esprit que les dirigeants responsables ont toujours adopté. Maintenant, il ne va pas revenir sur une décision que le Conseil constitutionnel lui a déjà indiquée. Je pense que, ça ne serait pas une bonne décision que de revenir sur ce que le Conseil constitutionnel a décidé. Je crois que le Président devrait plutôt leur faire comprendre qu’aucune des quinze décisions prises ne remet en cause les principes de la démocratie. Au contraire, toutes ces décisions renforcent le principe de la démocratie. Mais pourquoi rejeter cela ? Tout simplement parce que la rétroactivité n’a pas été acceptée.
Qu’est-ce que vous répondez au front du « non » qui affirme qu’il y a des non-dits parmi ces 15 mesures qui seront soumises au référendum. Ils parlent même de suppression du second tour … ?
Il n’est pas question de supprimer le second tour. Il n’y a pas de sous-entendus, quand bien même ils auraient pensé le contraire. Justement ce serait une occasion pour que des éclaircissements leur soient donnés. Il n’y a pas de question de valeur à ce niveau. Il peut arriver qu’on puisse apprécier la bonne foi de quelqu’un sur la base d’échanges qu’on peut avoir avec lui et qu’on ne peut pas révéler, malheureusement. Mais je reste convaincu que depuis le début, le Président a toujours voulu sauvegarder sa parole en respectant ses cinq ans. Cela lui a toujours posé un problème de conscience de devoir se conformer à un avis que ne serait en adéquation avec ce qu’il avait promis. Je suis convaincu que le Président a eu du mal à ne pas se conformer à la décision qu’il avait prise et que le Conseil constitutionnel a jugé anticonstitutionnelle.
En appelant au dialogue autour des réformes, le Président n’est-il pas en train de lâcher prise face à la pression de l’opposition qui appelle à voter Non au référendum ?
C’est d’abord mal connaître le Président que croire qu’il va céder à une pression de cette nature. Au contraire, je pense que c’est une attitude de responsable, de leader que faire preuve d’ouverture. C’est ça le rôle d’un leader. C’est la démonstration qu’on n’a pas en face un dictateur. Ce n’est pas qu’il a conscience d’être dans une situation de faiblesse, alors pas du tout. Mais il part du principe que lorsqu’on dirige un pays, une communauté, il faut toujours prendre du recul, au besoin, et se dire qu’il est de mon devoir de me concerter avec les autres, quelle que soit la situation. Je crois qu’il est dans cette logique. Abdou Diouf a eu à le faire par le passé. C’est le cas aussi pour le président Senghor. Récemment en France, le Président Hollande, après les attaques terroristes, a eu à appeler l’opposition au dialogue y compris ses adversaires les plus farouches pour échanger avec eux. Cela fait partie des principes fondamentaux du management d’un Etat.
Cet appel au dialogue touche-t-il aussi les leaders d’opinion ?
Nous sommes dans une démarche qui doit conduire à dépassionner le débat. Pour qu’on en arrive à plus de sérénité, il faudrait que tous ceux qui sont soucieux de l’intérêt de ce pays se retrouvent. Ca peut être dangereux de voir un pays se déchirer pour des choses par rapport auxquelles ils sont tous demandeurs. Nous tous, nous sommes demandeurs d’un renforcement de la démocratie. L’opposition demande à voter « non » sur des points dont elle est la première bénéficiaire. Le statut de l’opposition, l’implication de l’Assemblée nationale dans l’évaluation de suivi des politiques publiques, la société civile etc. Tous ces points, ce sont les partisans du « non » qui en ont été les précurseurs. Il faut que les gens en viennent à de meilleurs sentiments. Ils ont encore du temps pour pouvoir continuer la lutte sur d’autres formes, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Voter « non », c’est voter contre les intérêts de la démocratie.