Dans l’affaire Bassirou Faye, le procureur de la République a son inculpé, le doyen des juges tient aussi ses inculpés. Jusque-là, la guéguerre se limitait entre ces deux techniciens du Droit. Et chacun tient son «bon suspect». Mais un troisième larron s’invite dans le jeu. Venu inaugurer les nouveaux pavillons de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), vendredi dernier, Macky Sall a annoncé l’ouverture, en octobre, du procès des présumés meurtriers du défunt étudiant.
D’abord, le chef de l’Etat annonce l’ouverture d’un procès incertain alors que le doyen des juges n’a pas encore clôturé l’instruction du dossier. Pourtant, a déclaré Macky Sall à l’Ucad, «le juge d’instruction qui a en charge ce dossier a bouclé ses investigations. Et le procès se déroulera en octobre». Des propos plus qu’étonnants. Et pour cause, à ce jour, aucune des parties prenantes n’a reçu notification officielle d’une ordonnance de clôture. Bien que n’étant pas maître de l’instruction, ne maîtrisant pas, non plus, le calendrier du fonctionnement des cabinets d’instruction, le chef de l’Etat a quand même prédit la fin d’une instruction. Or, «aucune ordonnance de clôture n’est encore prise par le juge d’instruction pour décider d’un renvoi en procès ou d’un non-lieu. Il est tout à fait prématuré d’avancer une date», renseigne une source judiciaire. Le Président Sall annonce donc un procès incertain car le doyen des juges peut décerner un non-lieu contre tous. «On ne sait même pas si le procès aura lieu car le doyen des juges peut blanchir tous les trois policiers. Il reste beaucoup de choses à faire», explique une partie prenante au procès.
L’instruction n’est pas terminée
Ensuite, le chef de l’Etat semble prendre le réquisitoire définitif du procureur de la République pour l’ordonnance de clôture. En effet, lorsque le doyen des juges a sollicité son dernier avis avant de clôturer l’instruction, le procureur a requis le renvoi en procès de Tombon Oualy et le non-lieu pour Mouhamed Boughaleb et Saliou Ndao. Or, il est communément admis, en Droit pénal, que «les juges (d’instruction ou de siège) ne sont pas liés par les réquisitions du Parquet». En clair, cela signifie que le magistrat instructeur peut passer outre les demandes du procureur.
Certes, pour beaucoup d’acteurs de la Justice saisis de la question, «le président de la République peut avoir l’excuse de ne pas être un juriste pour prédire le calendrier des audiences», mais, selon certains juristes interrogés par Wal Fadjri, «cette confusion entre réquisitoire définitif et ordonnance de clôture est incompréhensible pour une autorité qui dispose de tant de conseillers juridiques».
Le réquisitoire du procureur ne lie pas le juge
En vérité, le procureur est resté dans sa logique en demandant un tel traitement du dossier car il avait béni l’enquête préliminaire de la Division des investigations criminelles (Dic) qui visait, seulement, Tombon Oualy. C’est dans ce contexte qu’il soutenait, lors de sa conférence de presse du 17 octobre 2014 : «Nous tenons le bon suspect.» Ainsi, tout laisse croire que son réquisitoire définitif n’a aucune chance d’être suivie par le doyen des juges, au risque de se désavouer lui-même pour avoir inculpé, par la suite, Boughaleb et Ndao.
Il en était ainsi car le témoin oculaire, l’étudiant Sette Diagne, avait dressé le portrait-robot du vrai meurtrier de Bassirou Faye. Chose pour laquelle le doyen des juges avait, en son temps, estimé que le bon suspect du procureur ne correspondait pas à cette description. «Le procureur ne peut pas reculer. Il avait dit détenir le bon suspect sans pour autant prévoir des circonstances qui permettent un changement de la donne. Nous avons un bon suspect, mais l’enquête peut révéler autre chose», analyse un pensionnaire du Temple de Thémis.
Guéguerre entre le procureur et le doyen des juges
D’aucuns estiment qu’il n’appartient pas au chef de l’Etat de se prononcer sur les affaires qui relèvent de la Justice. Et la raison est toute simple : aux yeux de certains observateurs, «il incarne un pouvoir qui se démarque de la Justice». La preuve, selon eux, de «l’immixtion de l’Exécutif dans le Judiciaire».
Les interlocuteurs de Wal Fadjri trouvent que le propos du chef de l’Etat est de nature à porter un sacré coup à l’indépendance de la Justice tant chantée sur tous les toits et qui, en vérité, «n’existe que de nom», de l’avis de nombre d’analystes de la chose judiciaire.
Il subsiste un autre problème car ce n’est pas le juge d’instruction en charge le dossier qui détermine le calendrier des audiences. Cet exercice est dévolu au Parquet. «Ce n’est pas le doyen qui fixe l’audience. S’il termine son instruction, il en donne un avis au procureur général qui programme le procès», renseigne un magistrat. Qui ajoute : «La tenue du procès en octobre risque de ne pas respecter le délai d’enrôlement de deux mois. Le doyen des juges n’a pas le calendrier.»
Ingérence
Analysant le discours du président de la République, certains acteurs de la Justice estiment que ce dernier n’a pas la bonne information. Chose pour laquelle ils qualifient ses propos de «déclaration politique assez regrettable». «Il n’a pas été bien informé. Il a fixé une date alors que la question des inculpés n’est pas encore réglée. Le doyen des juges n’a pas encore décidé de qui doit être renvoyé. Qui lui dit que le doyen des juges ne va pas donner un non-lieu pour tous ou un renvoi en procès pour certains ?», s’interroge un membre de l’Union des magistrats sénégalais (Ums). «Il (Macky Sall, ndlr) a cédé à la pression et il met la pression sur le juge d’instruction. C’est une immixtion de l’Exécutif dans le Judiciaire. Même si le juge voulait blanchir Tombon Oualy, la pression pourrait le pousser à ne pas le faire», analyse un avocat membre du Conseil de l’Ordre.
Par ailleurs, la tenue du procès, en octobre, peut être compromise par un éventuel appel du procureur contre une décision (renvoi en procès ou non-lieu) du doyen des juges, s’il ne suit pas la volonté du maître des poursuites. «Le procureur peut faire appel de l’ordonnance de renvoi du doyen des juges quelle que soit la décision. Dans ce cas, le dossier sera renvoyé à la Chambre d’accusation pour trancher la question. Durant cette période, la tenue du procès sera suspendue jusqu’à ce que la Cour d’appel départage le procureur et le juge d’instruction», explique un ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal.
D’abord, le chef de l’Etat annonce l’ouverture d’un procès incertain alors que le doyen des juges n’a pas encore clôturé l’instruction du dossier. Pourtant, a déclaré Macky Sall à l’Ucad, «le juge d’instruction qui a en charge ce dossier a bouclé ses investigations. Et le procès se déroulera en octobre». Des propos plus qu’étonnants. Et pour cause, à ce jour, aucune des parties prenantes n’a reçu notification officielle d’une ordonnance de clôture. Bien que n’étant pas maître de l’instruction, ne maîtrisant pas, non plus, le calendrier du fonctionnement des cabinets d’instruction, le chef de l’Etat a quand même prédit la fin d’une instruction. Or, «aucune ordonnance de clôture n’est encore prise par le juge d’instruction pour décider d’un renvoi en procès ou d’un non-lieu. Il est tout à fait prématuré d’avancer une date», renseigne une source judiciaire. Le Président Sall annonce donc un procès incertain car le doyen des juges peut décerner un non-lieu contre tous. «On ne sait même pas si le procès aura lieu car le doyen des juges peut blanchir tous les trois policiers. Il reste beaucoup de choses à faire», explique une partie prenante au procès.
L’instruction n’est pas terminée
Ensuite, le chef de l’Etat semble prendre le réquisitoire définitif du procureur de la République pour l’ordonnance de clôture. En effet, lorsque le doyen des juges a sollicité son dernier avis avant de clôturer l’instruction, le procureur a requis le renvoi en procès de Tombon Oualy et le non-lieu pour Mouhamed Boughaleb et Saliou Ndao. Or, il est communément admis, en Droit pénal, que «les juges (d’instruction ou de siège) ne sont pas liés par les réquisitions du Parquet». En clair, cela signifie que le magistrat instructeur peut passer outre les demandes du procureur.
Certes, pour beaucoup d’acteurs de la Justice saisis de la question, «le président de la République peut avoir l’excuse de ne pas être un juriste pour prédire le calendrier des audiences», mais, selon certains juristes interrogés par Wal Fadjri, «cette confusion entre réquisitoire définitif et ordonnance de clôture est incompréhensible pour une autorité qui dispose de tant de conseillers juridiques».
Le réquisitoire du procureur ne lie pas le juge
En vérité, le procureur est resté dans sa logique en demandant un tel traitement du dossier car il avait béni l’enquête préliminaire de la Division des investigations criminelles (Dic) qui visait, seulement, Tombon Oualy. C’est dans ce contexte qu’il soutenait, lors de sa conférence de presse du 17 octobre 2014 : «Nous tenons le bon suspect.» Ainsi, tout laisse croire que son réquisitoire définitif n’a aucune chance d’être suivie par le doyen des juges, au risque de se désavouer lui-même pour avoir inculpé, par la suite, Boughaleb et Ndao.
Il en était ainsi car le témoin oculaire, l’étudiant Sette Diagne, avait dressé le portrait-robot du vrai meurtrier de Bassirou Faye. Chose pour laquelle le doyen des juges avait, en son temps, estimé que le bon suspect du procureur ne correspondait pas à cette description. «Le procureur ne peut pas reculer. Il avait dit détenir le bon suspect sans pour autant prévoir des circonstances qui permettent un changement de la donne. Nous avons un bon suspect, mais l’enquête peut révéler autre chose», analyse un pensionnaire du Temple de Thémis.
Guéguerre entre le procureur et le doyen des juges
D’aucuns estiment qu’il n’appartient pas au chef de l’Etat de se prononcer sur les affaires qui relèvent de la Justice. Et la raison est toute simple : aux yeux de certains observateurs, «il incarne un pouvoir qui se démarque de la Justice». La preuve, selon eux, de «l’immixtion de l’Exécutif dans le Judiciaire».
Les interlocuteurs de Wal Fadjri trouvent que le propos du chef de l’Etat est de nature à porter un sacré coup à l’indépendance de la Justice tant chantée sur tous les toits et qui, en vérité, «n’existe que de nom», de l’avis de nombre d’analystes de la chose judiciaire.
Il subsiste un autre problème car ce n’est pas le juge d’instruction en charge le dossier qui détermine le calendrier des audiences. Cet exercice est dévolu au Parquet. «Ce n’est pas le doyen qui fixe l’audience. S’il termine son instruction, il en donne un avis au procureur général qui programme le procès», renseigne un magistrat. Qui ajoute : «La tenue du procès en octobre risque de ne pas respecter le délai d’enrôlement de deux mois. Le doyen des juges n’a pas le calendrier.»
Ingérence
Analysant le discours du président de la République, certains acteurs de la Justice estiment que ce dernier n’a pas la bonne information. Chose pour laquelle ils qualifient ses propos de «déclaration politique assez regrettable». «Il n’a pas été bien informé. Il a fixé une date alors que la question des inculpés n’est pas encore réglée. Le doyen des juges n’a pas encore décidé de qui doit être renvoyé. Qui lui dit que le doyen des juges ne va pas donner un non-lieu pour tous ou un renvoi en procès pour certains ?», s’interroge un membre de l’Union des magistrats sénégalais (Ums). «Il (Macky Sall, ndlr) a cédé à la pression et il met la pression sur le juge d’instruction. C’est une immixtion de l’Exécutif dans le Judiciaire. Même si le juge voulait blanchir Tombon Oualy, la pression pourrait le pousser à ne pas le faire», analyse un avocat membre du Conseil de l’Ordre.
Par ailleurs, la tenue du procès, en octobre, peut être compromise par un éventuel appel du procureur contre une décision (renvoi en procès ou non-lieu) du doyen des juges, s’il ne suit pas la volonté du maître des poursuites. «Le procureur peut faire appel de l’ordonnance de renvoi du doyen des juges quelle que soit la décision. Dans ce cas, le dossier sera renvoyé à la Chambre d’accusation pour trancher la question. Durant cette période, la tenue du procès sera suspendue jusqu’à ce que la Cour d’appel départage le procureur et le juge d’instruction», explique un ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal.