L’ombre d’un crépuscule, un Timis, disent les Wolofs, s’abat sur le Sénégal au moment ou il devrait célébrer dans l’allégresse générale la découverte d’hydrocarbures en quantités commerciales massives sous ses eaux et ses terres. Comment éviter la malédiction des ressources, débat incontournable n’en déplaise à ceux qui veulent l’empêcher ? Quelles sont les conditions dans lesquelles les nouvelles richesses naturelles devront-elles ou non bénéficier à notre nation et non à quelques individus, comme hélas cela semble être le cas….
Une clarification s’impose, avant d’aller plus loin. Le pétrole et le gaz sont des métiers complexes et on peut a priori se demander si, en m’exprimant à leurs propos, je ne fais pas qu’ajouter du bruit au bruit sur les questions pétro-gazières. En quoi ai-je une légitimité pour en parler.
C’est à la vérité par un pur concours de circonstances qu’un ami nigérian m’a entrainé dans ce secteur il y a bientôt vingt ans, alors que nous nous trouvions dans le hall d’un grand hôtel new yorkais. Ayant constaté que beaucoup de gens venaient vers moi, dont des dirigeants de grands pays, y compris le sien, il me fit savoir que si je demandais du pétrole on m’en donnerait.
Plus tard, ayant obtenu une interview à Vienne avec Docteur Rilwanu Lukman, l’alors Secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), je devins son ami au point qu’il me fit visiter les lieux les plus stratégiques de l’institution et prit l’habitude de m’inviter souvent dans la capitale autrichienne. Un soir, chez lui, après dîner, il me dit: nous pouvons aider le Sénégal à avoir une nouvelle raffinerie et à avoir du pétrole et du gaz. J’appelais sur le champ, vers 20 h Gmt, le President Wade qui me remercia après avoir parlé avec mon ami.
Choux blanc !
Une lettre fut rédigée pour être envoyée au Président du Nigeria d’alors, Olusegun Obasanjo (j’en garde une copie annotée de Wade). C’est alors que Macky Sall, simple conseiller technique, entre en jeu. A mon insu, il se rendit avec un groupe de personnes à Abuja pour solliciter d’Obasanjo ledit pétrole à partir de la lettre rédigée selon les termes de Lukman.
Hélas pour lui, il fit choux blanc. Il m’appela alors que je me trouvais dans mon appartement à Londres, pour me dire: ‘’Nous sommes à Abuja mais les autorités de la Compagnie nigériane des hydrocarbures ont refusé de nous donner une réponse favorable; le President Wade m’a demandé de voir ce que tu peux faire’’.
Sur ce, j’appelle mon contact qui décide de prendre les choses en mains. Se trouvant par chance à Abuja, il amène la délégation sénégalaise et apporte solution au problème.
J’ai gardé ma proximité avec les hydrocarbures depuis lors, en tentant par des formations et par des rencontres-conférences de comprendre ce qu’il en retourne. Une année de Master en pétrole et gaz à Genève et la participation à des travaux organisés a l’institut français du pétrole (Ifp) et à l’Agence internationale de l’énergie (Aie) n’ont sans doute pas encore fait de moi un expert de ces questions complexes, ni même la lecture assidue des auteurs les plus pointus là-dessus, tels que Daniel Yergin, auteur du Prix et de la Quête, deux des grands livres consacrés à ces sujets.
Conflits d’initiés et d’intérêts
Il n’empêche: j’en sais maintenant un bout. Et de ce que j’en sais, la plus importante dimension est la nécessité d’éviter les conflits d’initiés et d’intérêts. Or, c’est ce que le régime de Macky Sall, dès juillet 2012, a fait en laissant son frère entrer dans le secteur de conserve avec un personnage pour le moins bizarre. Ce Frank Timis, j’ai fait sa connaissance à distance par le plus pur hasard, quand un fonds d’investissement asiatique m’a signé un contrat pour enquêter sur lui. Ce qu’un de mes ex-collègues Sierra Léonais, basé à Londres, fit avec diligence puisque le sujet était centré sur ses activités dans son pays ou, avec le President Ernest Bay Koroma, il serait en deal.
Quand j’appris au même moment que Timis venait de se faire octroyer un bloc pétrolier, sous le régime de Wade, je n’avais pas hésité à dire publiquement sur la Tfm que nos ressources étaient bradées.
Arrivé au pouvoir sur une promesse de changer les choses, quelle ne fut la surprise des experts de voir que Macky Sall, au lieu d’éloigner Timis de notre pot de miel, le lui donna avec en bonus l’association avec son frère.
Ceux, comme lui, qui prennent les blocs sont des dealers; ils ne cherchent qu’à les avoir sur leur bilan comptable afin de se faire coter en bourse et d’en tirer le maximum pour disparaitre ou de vendre à plus puissant qu’eux.
C’est ce qui s’est passé. Des dizaines de milliards de francs Cfa qui devaient tomber dans les caisses publiques du Sénégal se sont retrouvés dans les comptes privés de ce conglomérat formé autour de Timis-Sall.
Bonus de signature envolé
S’y ajoute la privation du Sénégal de son bonus de signature – d’autres milliards. Les professionnels sénégalais des hydrocarbures ont choisi de faire l’autruche en disant que pour augmenter son attractivité le Sénégal n’a pas inclus ces bonus dans sa politique pétro-gazière, mais que les entreprises qui prennent les blocs petro-gaziers peuvent faire du social (une insulte à notre intelligence là ou d’autres pays, moins attractifs, exigent le paiement de cette prime admise dans la réglementation qui fait office de meilleure pratique).
Au total, en ajoutant les errements nombreux dans le secteur du pétrole, en mélangeant les genres, en faisant d’un acteur du secteur son conseiller spécial, avec le risque d’un autre conflit d’intérêt, en laissant son frère s’en mêler, en permettant à un aventurier, presque apatride, de faire partie des premiers bénéficiaires d’une manne qui revient au peuple sénégalais, Macky Sall a engagé le Sénégal sur la voie de la malédiction de ses ressources.
Le dire n’est pas être méchant, c’est souligner le danger qui pointe à l’horizon: tous les pays qui se sont inscrits dans cette logique ont fini par la pauvreté, les conflits, et la perte de contrôle de leurs ressources.
C’est surtout lui dire de demander à son frère de s’effacer et de rembourser mais aussi de créer les conditions d’un dialogue national, transparent et inclusif pour que nos hydrocarbures soient ce qu’elles doivent être: une chance pour le Senegal. Et non pas une chance pour des Kosmos, Cairns, Timis, Aliou Sall et autres acteurs masqués.
En partageant cette lettre depuis les bords de la mer du Nord, en Ecosse, dans cette petite localité de Dundee, je garde en mémoire les réussites en matière de gestion vertueuse de pétrole et de gaz ayant fait de l’Ecosse, de la Norvège, des Emirats Arabes Unis, du Koweit ou encore de l’Arabie Saoudite des terres qui peuvent offrir les pistes vers la bénédiction des ressources en hydrocarbures…
Une clarification s’impose, avant d’aller plus loin. Le pétrole et le gaz sont des métiers complexes et on peut a priori se demander si, en m’exprimant à leurs propos, je ne fais pas qu’ajouter du bruit au bruit sur les questions pétro-gazières. En quoi ai-je une légitimité pour en parler.
C’est à la vérité par un pur concours de circonstances qu’un ami nigérian m’a entrainé dans ce secteur il y a bientôt vingt ans, alors que nous nous trouvions dans le hall d’un grand hôtel new yorkais. Ayant constaté que beaucoup de gens venaient vers moi, dont des dirigeants de grands pays, y compris le sien, il me fit savoir que si je demandais du pétrole on m’en donnerait.
Plus tard, ayant obtenu une interview à Vienne avec Docteur Rilwanu Lukman, l’alors Secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), je devins son ami au point qu’il me fit visiter les lieux les plus stratégiques de l’institution et prit l’habitude de m’inviter souvent dans la capitale autrichienne. Un soir, chez lui, après dîner, il me dit: nous pouvons aider le Sénégal à avoir une nouvelle raffinerie et à avoir du pétrole et du gaz. J’appelais sur le champ, vers 20 h Gmt, le President Wade qui me remercia après avoir parlé avec mon ami.
Choux blanc !
Une lettre fut rédigée pour être envoyée au Président du Nigeria d’alors, Olusegun Obasanjo (j’en garde une copie annotée de Wade). C’est alors que Macky Sall, simple conseiller technique, entre en jeu. A mon insu, il se rendit avec un groupe de personnes à Abuja pour solliciter d’Obasanjo ledit pétrole à partir de la lettre rédigée selon les termes de Lukman.
Hélas pour lui, il fit choux blanc. Il m’appela alors que je me trouvais dans mon appartement à Londres, pour me dire: ‘’Nous sommes à Abuja mais les autorités de la Compagnie nigériane des hydrocarbures ont refusé de nous donner une réponse favorable; le President Wade m’a demandé de voir ce que tu peux faire’’.
Sur ce, j’appelle mon contact qui décide de prendre les choses en mains. Se trouvant par chance à Abuja, il amène la délégation sénégalaise et apporte solution au problème.
J’ai gardé ma proximité avec les hydrocarbures depuis lors, en tentant par des formations et par des rencontres-conférences de comprendre ce qu’il en retourne. Une année de Master en pétrole et gaz à Genève et la participation à des travaux organisés a l’institut français du pétrole (Ifp) et à l’Agence internationale de l’énergie (Aie) n’ont sans doute pas encore fait de moi un expert de ces questions complexes, ni même la lecture assidue des auteurs les plus pointus là-dessus, tels que Daniel Yergin, auteur du Prix et de la Quête, deux des grands livres consacrés à ces sujets.
Conflits d’initiés et d’intérêts
Il n’empêche: j’en sais maintenant un bout. Et de ce que j’en sais, la plus importante dimension est la nécessité d’éviter les conflits d’initiés et d’intérêts. Or, c’est ce que le régime de Macky Sall, dès juillet 2012, a fait en laissant son frère entrer dans le secteur de conserve avec un personnage pour le moins bizarre. Ce Frank Timis, j’ai fait sa connaissance à distance par le plus pur hasard, quand un fonds d’investissement asiatique m’a signé un contrat pour enquêter sur lui. Ce qu’un de mes ex-collègues Sierra Léonais, basé à Londres, fit avec diligence puisque le sujet était centré sur ses activités dans son pays ou, avec le President Ernest Bay Koroma, il serait en deal.
Quand j’appris au même moment que Timis venait de se faire octroyer un bloc pétrolier, sous le régime de Wade, je n’avais pas hésité à dire publiquement sur la Tfm que nos ressources étaient bradées.
Arrivé au pouvoir sur une promesse de changer les choses, quelle ne fut la surprise des experts de voir que Macky Sall, au lieu d’éloigner Timis de notre pot de miel, le lui donna avec en bonus l’association avec son frère.
Ceux, comme lui, qui prennent les blocs sont des dealers; ils ne cherchent qu’à les avoir sur leur bilan comptable afin de se faire coter en bourse et d’en tirer le maximum pour disparaitre ou de vendre à plus puissant qu’eux.
C’est ce qui s’est passé. Des dizaines de milliards de francs Cfa qui devaient tomber dans les caisses publiques du Sénégal se sont retrouvés dans les comptes privés de ce conglomérat formé autour de Timis-Sall.
Bonus de signature envolé
S’y ajoute la privation du Sénégal de son bonus de signature – d’autres milliards. Les professionnels sénégalais des hydrocarbures ont choisi de faire l’autruche en disant que pour augmenter son attractivité le Sénégal n’a pas inclus ces bonus dans sa politique pétro-gazière, mais que les entreprises qui prennent les blocs petro-gaziers peuvent faire du social (une insulte à notre intelligence là ou d’autres pays, moins attractifs, exigent le paiement de cette prime admise dans la réglementation qui fait office de meilleure pratique).
Au total, en ajoutant les errements nombreux dans le secteur du pétrole, en mélangeant les genres, en faisant d’un acteur du secteur son conseiller spécial, avec le risque d’un autre conflit d’intérêt, en laissant son frère s’en mêler, en permettant à un aventurier, presque apatride, de faire partie des premiers bénéficiaires d’une manne qui revient au peuple sénégalais, Macky Sall a engagé le Sénégal sur la voie de la malédiction de ses ressources.
Le dire n’est pas être méchant, c’est souligner le danger qui pointe à l’horizon: tous les pays qui se sont inscrits dans cette logique ont fini par la pauvreté, les conflits, et la perte de contrôle de leurs ressources.
C’est surtout lui dire de demander à son frère de s’effacer et de rembourser mais aussi de créer les conditions d’un dialogue national, transparent et inclusif pour que nos hydrocarbures soient ce qu’elles doivent être: une chance pour le Senegal. Et non pas une chance pour des Kosmos, Cairns, Timis, Aliou Sall et autres acteurs masqués.
En partageant cette lettre depuis les bords de la mer du Nord, en Ecosse, dans cette petite localité de Dundee, je garde en mémoire les réussites en matière de gestion vertueuse de pétrole et de gaz ayant fait de l’Ecosse, de la Norvège, des Emirats Arabes Unis, du Koweit ou encore de l’Arabie Saoudite des terres qui peuvent offrir les pistes vers la bénédiction des ressources en hydrocarbures…