À l'approche des JO Paris 2024, l’évacuation des sans-abri s’est amplifiée en Île-de-France

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 13 Juin 2024 à 13:35 modifié le Jeudi 13 Juin 2024 13:39

Le collectif Le Revers de la médaille a récemment publié un rapport sur la condition des personnes à la rue en Île-de-France durant l’année pré-olympique. Les acteurs associatifs dénoncent depuis des mois un "nettoyage social" en amont des JO cet été, ce que les pouvoirs publics réfutent. Plusieurs documents consultés par France 24 semblent, pourtant, dessiner une méthode des autorités pour gérer les publics les plus précaires avant et pendant les Olympiades. Enquête.


Dans l'ombre de l'allumage solennel de la flamme olympique en Grèce, le 16 avril, quelque 300 personnes étaient évacuées dès le lendemain du plus grand squat de France à Vitry-sur-Seine, au sud de Paris. L'évacuation de cette ancienne usine désaffectée coïncide très exactement avec la date symbolique des 100 jours avant le début des JO Paris 2024.

Il s'agit là de la troisième grande opération de délogement organisée en Île-de-France depuis le début de l'année 2023. Avant Vitry, environ 400 occupants ont avaient déjà été évacués du squat "Unibéton" - situé aux abords de l'actuel site du village olympique à l'Île-Saint-Denis - en avril 2023, ainsi que près de 200 personnes du squat de Thiais en juillet 2023.

Ces évacuations, entre autres opérations de police ciblant les sans-abris, ont rapidement interpellé les acteurs qui viennent en aide aux personnes en situation de précarité. Au point que plus de 80 associations se sont rassemblées dans le collectif Le Revers de la médaille en octobre 2023, pour dénoncer un "nettoyage social" en cours dans les rues franciliennes à l'approche des JO.

"Il y a plusieurs faisceaux d'indices qui nous permettent d'utiliser ce terme de 'nettoyage social'", explique Paul Alauzy, porte-parole du collectif et coordinateur à Médecins du Monde. "Les opérations d'évacuation ne sont pas nouvelles, elles n'ont pas été créées en vue des Jeux olympiques. Mais ce qui a changé à leur approche, c'est la fréquence d'évacuation des lieux occupés et l'envoi systématique des personnes évacuées dans une autre région française."

Pour dessiner un tableau d'ensemble de cette action des pouvoirs publics, les différentes composantes du Revers de la médaille ont rassemblé leurs retours de terrain (sur la période avril 2023 - mai 2024), dans un rapport publié le 5 juin. "Plusieurs indicateurs laissent penser que les JOP [Jeux olympiques et paralympiques] agissent comme un accélérateur des dispersions et éloignements" des personnes précaires, expliquent-ils notamment.

Depuis plus d'un an, plusieurs publics sont la cible des autorités : les sans-abris, les migrants, les Roms, les travailleuses du sexe ou encore les usagers de drogues. "Pour faire une belle ville de carte postale, on éloigne et on invisibilise", déplore Antoine de Clerck, coordinateur du Revers de la médaille. "Ce que nous observons sur le terrain fait écho à ce qu'il s'est passé lors de précédents JO à l'étranger : on ne veut pas que les populations les plus exclues soient visibles des caméras et des touristes."

Nette accélération des évacuations durant la période pré-olympique
Les pouvoirs publics, quant à eux, réfutent depuis plusieurs mois toute corrélation entre la politique d'évacuation mise en place et la tenue des prochaines olympiades dans la capitale française. "Cela n'a rien à voir avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), il n'y a pas de nettoyage social", a notamment déclaré en mars dernier Amélie Oudéa-Castéra. Et la ministre des Sports et des JOP d'expliquer au sujet de l'évacuation des sans-abris hors de l'Île-de-France : "Cette politique d'hébergement d'urgence vise à répartir l'effort sur le territoire. [...] Des opérations de ce type sont menées régulièrement, ce n'est pas dicté par l'agenda olympique et paralympique."

Le maire d’Orléans accuse l’Etat de vouloir cacher les SDF et les migrants pendant les JO.

🗣️ “Il n’y a pas de nettoyage social.” répond @AOC1978. La ministre des Sports et des JO affirme que la politique d’hébergement d’urgence “n’a rien à voir avec les Jeux.” pic.twitter.com/wZmwLw6drg

— Complément d'enquête (@Cdenquete) March 28, 2024
Cette méthode soulève, cependant, des inquiétudes. Dès le début de l'année, la Défenseure des droits, Claire Hédon, a annoncé lancer une enquête indépendante à propos de "l'éviction de l'espace public de personnes jugées 'indésirables' en amont des (JO)" ainsi que de "l'orientation des personnes sans-abri vivant à Paris vers des sas d'accueil temporaires régionaux". Son rapport n'était pas encore rendu public au moment de l'écriture de cet article.

Le rapporteur spécial de l'ONU sur le logement convenable, Balakrishnan Rajagopal, a quant à lui interpellé la France sur le sort "des groupes marginalisés" en avril dernier. "Les expulsions pour embellir Paris avant [les JO] sont similaires à ce que la Chine, l'Inde ou bien d'autres ont fait avant d'autres méga-événements. Comment la France justifie-t-elle cela ?", a-t-il interrogé sur X.

Par ailleurs, plusieurs données chiffrées - issues de retours de terrain d'associations - semblent aller à l'encontre des propos de la ministre des Sports, montrant une nette accélération des évacuations durant la période pré-olympique par rapport aux années précédentes.

Les arrêtés d'évacuation municipaux et préfectoraux conduisant à des expulsions ont plus que triplé en trois ans en Île-de-France. On en dénombrait 15 sur la période 1er mai 2021 - 30 avril 2022, et près de 50 entre le 1er mai 2023 et le 30 avril dernier, selon des données de l'Observatoire des expulsions de lieux de vie informels. Le Revers de la médaille relève la "forte propension des autorités franciliennes" à recourir à ce mécanisme - qui représente près de 40 % du total des expulsions dans la région sur l'année pré-olympique.

Les chiffres des "mises à l'abri", des expulsions avec une proposition d'hébergement souvent temporaire, connaissent également une nette accélération en région parisienne. Le Collectif accès au droit (CAD) - qui effectue ce travail de collecte depuis 2015, et dont France 24 a pu consulter les données détaillées - en a recensé 14 en 2021-2022, 17 en 2022-2023 et 27 entre avril 2023 et avril dernier.

"Cette accélération de la cadence des mises à l'abri et des évacuations de squats concorde avec l'arrivée des JO", relève Théo Férignac, membre du CAD. "Et même si ce n'est pas un message assumé officiellement par les pouvoirs publics, on voit bien par ces chiffres la volonté de voir le moins de campements possible à Paris cet été."

Contactée à ce sujet par France 24, la mairie de Paris rappelle que "l'hébergement d'urgence est une compétence de l'État : ce sont eux qui planifient et organisent les opérations d'évacuation qui ont lieu sur le territoire parisien." Et de préciser que "la doctrine de la Ville de Paris repose sur un principe simple : pas d'éviction sans solution de prise en charge et conduite des opérations dans le respect des personnes et de leurs biens."

La préfecture de police de Paris répond, quant à elle, qu'en tant que "chargée de la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens", elle "procède à des mesures d'évacuation adaptées, nécessaires et proportionnées pour maintenir l'ordre, la salubrité et la sécurité publics sur le territoire de l'agglomération".

En sas d'accueil temporaire, "je me sentais prisonnier"
La cadence des mises à l'abri s'est aussi accélérée en raison de la mise en place d'un dispositif par les pouvoirs publics, le 13 mars 2023. Le ministère de l'Intérieur et le ministère du Logement ont alors conjointement adressé une circulaire "avec effet immédiat" à l'attention des préfets de région et de département.

Ce document détaille les "lignes directrices pour la prise en charge administrative et l'orientation des personnes mises à l'abri au sein de sas d'accueil temporaire". Depuis, toutes les régions françaises - sauf les Hauts-de-France et la Corse - ont vocation à recevoir des personnes évacuées d'Île-de-France pour une durée limitée de trois semaines.

Ces sas, d'une capacité de 50 personnes maximum, sont situés à Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Besançon, Rouen ainsi que dans les alentours de Rennes, Strasbourg, Orléans et Angers. Leur objectif est officiellement d'"assurer un examen systématique des situations administratives et la fluidité des parcours d'hébergement, en lien, le cas échéant, avec l'examen d'une demande d'asile ou d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour".
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