27 octobre 1886-27 octobre 2017 : Lat Dior Ngoné Latyr Diop, le dernier damel du Cayor, un héros national controversé

Rédigé par Dakarposte le Jeudi 26 Octobre 2017 à 11:40 modifié le Jeudi 26 Octobre 2017 11:42

Lat Dior Ngoné Latyr Diop, dit Lat Dior, résistant et patriote, se comparait lui-même à « un arc que l’on peut ployer mais que l’on ne peut rompre ». Dernier damel (roi) du royaume du Cayor, il lutta toute sa vie contre les volontés expansionnistes des autorités coloniales. Son abnégation et son amour de la patrie font de lui une des grandes figures de l’histoire du Sénégal et de l’Afrique. Il disait souvent :« Je veux vivre digne et généreux ». 

LE ROYAUME DU CAYOR

Le royaume du Cayor (de gay-i-dior, « ceux du sable ») s’est développé entre le milieu du XVe siècle et 1886, le long de la côte entre la rive gauche du fleuve Sénégal et le sud de la presqu’île du Cap-Vert, englobant le site de Dakar. 

À l’origine tributaire du royaume de Diolof, le Cayor connut son premier monarque, Diéthé Fou Ndiogou Fall, en 1549. Ce premier damel (roi) sera suivi de trente autres. 

A l’époque, pour accéder au pouvoir, il fallait impérativement faire partie du cénacle des sept familles nobles à succession matrilinéaire du royaume. Les guerriers venaient pour l’essentiel de la population même du Cayor, mais le royaume désirant agrandir son effectif de combattants avait également dans ses rangs des ex-prisonniers élevés au rang de guerriers. 

Cependant, si imposante et bigarrée qu’elle soit, l’armée y compris les ex-prisonniers avait fait allégeance au roi et lui était d’une fidélité sans faille. 

 
DAMEL À VINGT ANS

Lat Dior naît en 1842 à Keur Amadou Yalla dans la province sénégalaise du Cayor. Son père s’appelait Sahhewer Sokhna Diop. Sa mère, une Linguère (les Linguères étaient des sœurs, des cousines, des tantes ou des mères du roi en place) se nommait Ngoné Latyr Fall. 

A la mort de son frère aîné qui devait selon la coutume succéder au roi en place, Lat Dior fut intronisé damel en 1862. En fin stratège, il initia aussitôt nombres d’alliances et mésalliances avec ses voisins qui lui valurent moult inimitiés. 

Mais le pouvoir colonial s’employa à l’écarter d’un trône qui lui revenait pourtant de droit : Mafiodo Fall fut proclamé damel, représentant aux yeux des colons le double avantage d ’être favorable à leur politique et aisément manipulable. 

Lat Dior, révolté, livra à Ngol Ngol une première bataille sans merci qui laissa les troupes coloniales et celles de Mafiodo exsangues. Victoire de courte durée car les troupes françaises désireuses de laver l’affront reviendront avec de l’armement lourd et moderne : mitrailleuses lourdes et canons. Ce genre d’armement n’avait encore jamais été utilisé en sol africain. 
SÉJOUR DANS LE SINE

En 1864 à Loro, suivant l’ordre donné par Faidherbe, les troupes coloniales et leurs alliés attaquèrent Lat Dior et ses troupes. Ces derniers furent défaits, obligeant ainsi le jeune damel déchut à chercher refuge au Rip, dans le Sine. 

Cette région était à l’époque gouvernée par Maba Diakhou Ba qui, bien qu’ayant signé des accords avec les Français, lui offrit volontiers l’hospitalité sans toutefois l’aider à reconquérir son trône. 

Auprès de Ma Ba Diakhou, Lat Dior, qui était de tradition Tièddo donc animiste, se convertit à l’islam afin de rentrer dans ces bonnes grâces et devint son premier lieutenant en bataillant contre les sérères animistes afin de leur imposer la religion musulmane. Durant ces années Lat Dior livrait également bataille contre les forces coloniales, dont les exactions provoquaient migrations et exodes de populations entières et nourrissaient chaque fois un peu plus le sentiment d’urgence à les bouter hors du Cayor. 
 
DAMEL DU CAYOR ET TEIGNE DU BAOL

Ma Ba Diakhou succomba en 1867 durant la bataille de Somb dirigée contre Bour Sine Coumba Ndofène, grand chef des sérères animistes. A sa mort, Lat Dior revient au Cayor en s’appuyant sur les captifs royaux et la confrérie des Tidjanes (disciples du conquérant El Hadj Omar), fermement décidé à reconquérir son trône. Devant l’enthousiasme et la ferveur que soulevaient son passage, le pouvoir colonial se vit contraint de lui confier un poste de « chef de canton ». De fait Lat Dior était redevenu damel. Au bout de quatre ans, les Français signèrent même un traité de paix avec lui qui était alors au faîte de sa puissance. Lat Dior annexa alors le royaume du Baol afin de porter la double couronne de damel du Cayor et teigne (duc) du Baol. Les français essayeront en vain de miner son pouvoir.. 

La situation se prolongea ainsi jusqu’en 1878 lorsque les Français décidèrent d’utiliser les terres du Cayor afin de construire la ligne de chemin de fer Dakar – Saint-Louis et de développer la culture de l’arachide. Lat Dior opposa un véto catégorique à ce projet en appelant tout son peuple à la révolte. 
LA FIN DU ROYAUME

Fin 1882-début 1883 éclata la guerre entre les troupes de Lat Dior et celles de la colonie. Les français disposant d’armements plus sophistiqués et de moyens supérieurs, Lat Dior eut recours à la ruse : attaques surprises, guets-apens, attaques ciblées, embuscades, pour saper le moral de l’adversaire et le maintenir dans un épuisant état d’urgence. 

Malgré les coups portés à l’ennemi, Lat Dior fut contraint de quitter le Cayor en 1884 et de chercher refuge auprès d’Alboury Ndiaye, roi du Djoloff, réputé pour sa vaillance et sa science de la guerre... 

Les Français s’empressèrent d’installer sur le trône du Cayor un roi sans envergure, Samba Yaya Fall, très vite remplacé par Samba Laobé Fall à cause du courroux du peuple. Mais ce dernier autorisera la construction du chemin de fer et placera officiellement le Baol sous protectorat français. Les Français s’octroyaient ainsi une large bande de terre longeant le littoral et purent inaugurer le chemin de fer en 1885. La collaboration zélée de Samba Laobé Fall ne fut toutefois pas récompensée puisqu’il succomba près de Tivaouane sous les balles des lieutenants Chauvet et Spitzer agissants sous ordre des autorités françaises. Les autorités françaises supprimèrent le titre de damel et s’employèrent à diviser le royaume du Cayor en six provinces distinctes... 

Lat Dior devint alors interdit de séjour au Cayor. Il leva vite une armée afin de lutter contre les forces coloniales. Mais le 26 octobre 1886, à Dekhlé, face à une colonne de spahis commandés par le capitaine Valois, Lat Dior, quarante-quatre ans, dernier roi du Cayor, tomba ainsi que deux de ses fils et soixante-dix-huit de ses compagnons d’armes. 

 
Le royaume de Cayor disparaît avec lui. 

LA LÉGENDE DE LAT DIOR

On raconte que l’homme, le résistant, l’indomptable guerrier, fut tué par une balle en or tout spécialement fondue pour lui car les balles classiques n’avaient sur son corps aucun effet... 

Lat Dior avait six chevaux préférés, l’un d’eux se nommait Lityin ce qui signifie épervier et un autre Suusa-up-kaani ce qui voulait littéralement dire « couscous de piment ». Une statue de l’un deux, Malaw, se trouve sur une place de la rue Malick Sy à Dakar. 

 
 
 
 
 
 
 
   
Cheikh Amidou Kane
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